Alors que le groupe bruxellois poussera ses derniers râles ce samedi 13 décembre au Botanique à l’occasion de True Till Death, The Final Concert, Marc Du Marais retrace 40 et quelques années d’underground et de chaos sonore.
Il a un petit côté Billy Childish, comme ça, avec sa moustache et son bonnet. Réalisateur obsédé par les pin-ups et les grosses mécaniques, écrivain collectionneur de photos à ses heures perdues et surtout membre fondateur et grand agitateur de La Muerte, Marc Du Marais, alias Marco Laguna, a fixé rendez-vous au Chaff, resto bar rock’n’roll de la place du Jeu de Balle, pour une interview au long cours. Deux heures de conversation débridée, comme son art.
Pourquoi avoir décidé de raccrocher et de mettre un terme à La Muerte?
Marc Du Marais: Ça, c’est une idée de Didier (NDLR: Moens, guitariste et cofondateur du groupe). Je n’ai pas de réponse. C’est lui qui a décidé de clôturer, de mettre fin à ces années de reformation. Qu’est-ce que ça m’inspire? Pas grand-chose. Je ne sais pas quoi dire. C’est vraiment la question piège. C’était super. On s’est bien marré. Ça s’arrête. On en a bien profité. Je n’en garde que le positif. Toute cette expérience sonore et sonique. Je suis comme ça par rapport à tout. Les fins d’histoire ne me touchent que légèrement. C’est pas mon genre d’avoir une chute de moral quand quelque chose se termine. Didier a décidé. C’est mon pote, je respecte. C’est pas maintenant que je vais me disputer pour des choix, qu’ils soient musicaux ou stratégiques.
Vous aviez mis la clé sous le paillasson une première fois en 1994, avant de vous reformer une vingtaine d’années plus tard…
Marc Du Marais: A un moment, j’ai tourné un long métrage avec l’actrice et mannequin Delfine Bafort. Elle était juste impayable, elle faisait des allers-retours entre New York et Bruxelles. Elle avait accepté de jouer dans mon film, de me donner une semaine de son temps. Deux ans plus tard, quand elle a quitté New York et s’est installée à Gand, elle m’a passé un coup de fil. Elle avait acheté un loft avec son copain et voulait ouvrir un lieu à la new-yorkaise. Un espace pluridisciplinaire avec des expositions, des performances et des concerts sur le principe de la Factory de Warhol. Elle m’explique que son copain aime bien La Muerte, qu’il voudrait qu’on joue quatre morceaux pour l’ouverture des lieux, sur le principe de la performance. Et il fallait réagir très vite, ça s’organisait dans le mois.
Remonter le truc avec les anciens, c’était impossible. Quand on s’était séparés avec Didier, c’était définitif et les autres musiciens avec lesquels on avait joué avaient changé de vie. J’étais prêt à faire une performance de quatre morceaux, mais il fallait que ce soit simple. J’en ai parlé avec Michel Kirby (NDLR: guitariste de Length of Time, Arkangel, Wolvennest), que j’avais vu quelques mois auparavant. C’est lui qui a joué le rôle de chef d’orchestre et qui est allé chercher le reste des musiciens: Christian Z, le batteur de tous ses projets. Tino (De Martino, Channel Zero) parce que c’est aussi un pote de la première heure… On a répété, ça roulait du tonnerre. Et par correction, j’ai appelé Didier pour l’avertir de la situation: «Je sais que tu ne veux pas jouer, mais est-ce que tu me donnes l’autorisation d’utiliser notre nom pour cette performance?» Il me répond qu’il n’y a pas de problème. Et là-dessus, je l’invite à venir à la répète et à se joindre à nous si ça lui plaît. Ce qu’il a entendu tenait plus que la route. Didier n’est pas le genre de mec à exploser de joie quand un truc est bien. Il a dû m’appeler un ou deux jours après en me disant: «C’est top, je viens.» C’était pas du tout prévu. La deuxième vie de La Muerte est le résultat d’un renvoi d’ascenseur.
Pourquoi Michel Kirby?
Marc Du Marais: C’était pour moi la seule et unique solution. C’était un choix évident. On a arrêté le groupe une première fois en 1994. Mais j’ai continué à aller voir des concerts et à suivre la scène bruxelloise. Notamment la scène hardcore de la fin des années 1990 qui était toujours en activité. J’avais assisté à un concert de Length of Time, l’un des nombreux groupes de Kirby, au DNA. Et je dois avouer que j’avais été bluffé. Une reformation de La Muerte n’était pas du tout à l’ordre du jour, mais je suis allé leur dire que j’avais trouvé ça super. Sans arrière-pensée. J’avais repéré d’autres groupes belges, mais le moment venu je me suis dirigé vers celui qui se rapprochait le plus de notre esprit.
Si on remonte à la création de La Muerte, en 1983, quel en était le contexte? L’idée?
Marc Du Marais: Moi, j’avais arrêté Marine en 1982. Après un an sans rien foutre, il y avait quelque chose qui me manquait. Marine, ça avait été météorique. De fin 1979 à début 1982. La création me manquait. La création pure. Faire quelque chose… J’avais vu The Birthday Party à Londres, et puis au Plan K. Et ça m’avait procuré un solide choc. Un choc violent. C’était ça que je voulais faire. C’était juste hallucinant. Ultra violent, sonique, chaotique, charismatique… Avec quatre ou cinq personnalités différentes. La musique, l’imagerie, le concept, l’attitude… Tout, en fait.
Je dois bien avouer que Londres m’a créé. C’est là que j’ai tout appris. J’ai commencé à aller à Londres en 1977. J’avais 18 ans. Avec mon pote Yves Cape, qui était déjà dans le cinéma et est devenu le chef opérateur attitré du réalisateur mexicain Michel Franco et de Bruno Dumont. Comme on avait un peu d’argent, on faisait des allers-retours. A l’époque, la livre sterling était au plus bas, ce qui faisait de nous des rois. Avec notre argent de poche et nos petits boulots, on pouvait s’offrir ces trajets… J’ai découvert là-bas l’esprit du Do It Yourself, les fanzines, les labels indépendants, la culture underground anglo-saxonne. Je dévorais autant du vinyle que du papier ou de la pellicule. Toute cette scène me poussait vers des œuvres obscures. Je partais à la recherche de genres étranges. La marge devenait mon cheval de bataille. On allait voir les films les plus bizarres possibles à l’Electric Cinema. C’est là que j’ai découvert Russ Meyer, Kenneth Anger… Tout le cinéma parallèle, je l’ai découvert à Londres. En plus, il y avait les concerts. Nous passions nos nuits au Vortex, au Marquee, au Hope and Anchor. On allait voir tout ce qui sortait. A Bruxelles, on recevait le NME, tu trouvais tout dans ce journal de rock anglais. C’était un peu notre bible. Quand on allait à Londres, c’était cinémas, librairies, concerts, magasins de disques. La totale. Les Sex Pistols et leur fascinante galaxie –Malcolm McLaren, Vivienne Westwood, Jamie Reid…– m’ont ouvert les yeux sur l’importance et l’implication de tous les médiums. C’était des fameuses expéditions. Train, malle, train… Auberge de jeunesse, hôtel pourri. On essayait de rester trois jours.

C’est lors de ces trips à Londres qu’on a établi plein de contacts. Des contacts qui nous ont aidés avec La Muerte. J’avais fait la connaissance du manager de Bauhaus à l’époque. Londres est un peu comme New York, une ville d’opportunités. Il n’y a pas beaucoup de labels alternatifs en 1982. Et Bruxelles, c’est un peu la préhistoire. La première fois que j’ai vu The Birthday Party, j’étais dans Marine. Il n’était pas question que je monte un autre groupe. Mais quand ils sont revenus au Plan K en 1983, je me suis dit: c’est ça que je veux faire. Quitte à les imiter au départ. Dop Massacre (NDLR: alias DJ Saucisse) savait que je cherchais des partenaires et il connaissait Didier Moens, que moi je ne connaissais pas, mais qui était dans la même recherche. Ça a marché. On a fait une première répète avec un batteur qui s’est encouru après 20 minutes. C’était dément. Les 20 premières minutes étaient incroyables. C’est con qu’on ne les ai pas enregistrées, d’ailleurs. Impro totale. Riff, voix… C’est Didier qui a trouvé les autres membres du groupe. J’étais légèrement plus âgé. Je venais de la scène funky. Tous les gens que je connaissais détestaient The Birthday Party, ou à tout le moins mon idée. Il y a vraiment eu à l’époque une scission avec mes copains. Tous ceux qui étaient branchés La Muerte détestaient Marine.
Avec The Birthday Party, y a-t-il d’autres références que vous verbalisez avant de faire de la musique ensemble?
Marc Du Marais: Je pense qu’on n’a parlé que d’eux. Cette idée d’aller à l’essentiel. Cette dévotion. Après, oui, les Stooges, MC5… Ça s’est enrichi d’autres influences. On n’écoutait pas les mêmes choses Didier et moi. On n’a pas du tout les mêmes goûts. Ce qui nous réunissait, c’était Gang of Four et The Birthday Party. Mais pour le reste… Moi j’ai un passé funky mais en parallèle, je suis à fond sur toute la scène punk et post-punk, qu’elle soit new-yorkaise ou anglaise. J’étais fasciné par la compilation No New York. Ce côté un peu extrême. James Chance and the Contortions, Mars… J’ai toujours été davantage intéressé par ces artistes extrêmes que par la pop et le punk anglais, même si j’en écoutais. J’ai toujours eu un faible pour les Australiens, les New-Yorkais. J’ai pillé un peu partout. Je pense à The Pop Group aussi, dont j’adorais l’attitude. La violence scénique, c’était l’absolu. Mais pour être franc, on n’en a pas discuté une minute avec Didier. On était primitifs, on n’était pas trop dans la réflexion. Quand il y avait réflexion, c’était après. Parce qu’il y avait eu une erreur. On était davantage dans le côté spontané et brutal. Et on n’en discutait pas. On n’a jamais fait deux fois le même concert. Si des attitudes reviennent, elles n’arrivent pas au même endroit, pas au même moment. Et c’est assez trippant. En plus Kirby et Didier ont toujours la bonne idée de m’énerver à changer les sets deux heures avant de monter sur scène…
A quoi ressemble la scène rock belge quand vous arrivez en 1983?
Marc Du Marais: La scène rock belge à l’époque n’était pas du tout dans notre trip. Nous, pour schématiser, on était fascinés par le rock australien. Parce qu’il n’y avait pas que The Birthday Party. Il y avait aussi les Beasts of Bourbon, Crime and the City Solution… Et JG Thirlwell. Il avait cinq projets différents. Quand nous on débarque, la scène rock belge est néopsychédélique. Je pense à des groupes comme les Suédois de The Nomads, un mélange de garage et de psyché. Il y avait les Scarecrows et des projets proto-Cramps comme Melody Massacre, ou post-punk, comme les Names. Il se passe des choses mais c’est souvent bruxello-belge. Ce sont des trucs extrêmement bons mais qui tournent en rond. Il n’y a pas les structures. Jouer en Flandre n’est pas facile. Tous ces groupes avaient un truc on va dire «classique». Quelque chose de pop. Les Names, c’était des chansons. C’était pop, même si c’était chez Factory. Les mecs savaient chanter, ils savaient jouer de la guitare. C’était des compos. Nous, nos compos, c’était tout sauf de la musique. C’était super free. C’était aléatoire.
C’est comme de la magie, c’est la preuve que notre musique est très primitive et simple. Pour moi, c’est une force.
On était détestés de la scène bruxelloise quand on est arrivés. Mais on s’en foutait. On était dans notre truc, passionnés. On y allait à fond. Et on a évité les erreurs de certains. D’emblée, on s’est dit: si ça continue comme ça, on part à Londres pendant un an. A la dure. Dans un premier temps, on a enregistré trois ou quatre morceaux. Je suis parti avec ma cassette en Angleterre. J’ai fait le tour des labels. Et j’avais cette connexion de l’ancien manager de Bauhaus. C’était quand même le cofondateur du label 4AD. Le gars avait un magasin de disques. Il nous a trouvé un deal avec une maison de disques anglaise, Red Rhino. On l’a aussi sorti sur notre propre label en Belgique. On a reçu des super critiques dans la presse londonienne. Et c’était parti. Quand tu as un papier dans le NME, le Melody Maker, des publications lues en Hollande, en Flandre, en Espagne, dans le monde entier pour le New Musical Express, ça aide la machine à se mettre en marche.
Ça semble tellement compliqué aujourd’hui pour les groupes belges de pénétrer le marché anglo-saxon…
Marc Du Marais: Il faut quand même avouer qu’on est tombés dans une période très courte de l’histoire durant laquelle la presse anglaise s’est ouverte à l’Europe. Ça a duré deux ou trois ans et ça s’est très vite refermé. Einstürzende Neubauten, les Young Gods, des groupes suédois comme les Nomads, quelques projets français comme Métal Urbain, Les Tueurs de la Lune de Miel et Front 242 en ont aussi profité…. Après, on s’est fait descendre. C’est le principe de la presse anglaise: ce qu’elle a adulé, il faut à un moment le défoncer. Parce qu’en Angleterre, il y a du monde. Ça se pousse au portillon. Bref, c’est devenu un peu moins enthousiaste, même si on y a encore joué. Il y avait la scène électro. À;GRUMH…, qui vient de Charleroi, était encensé par la presse anglaise. Il y avait une scène aventureuse, mais elle ne l’est pas plus que dix ans après. La presse britannique n’a pratiquement pas parlé de toute la scène hardcore belge et bruxelloise des années 1990, mais ces groupes ont fait le tour d’Europe et du monde.
Ces retours anglais élogieux ont été utiles?
Marc Du Marais: Le soutien de la presse anglaise nous a permis de lancer la machine partout, d’avoir un peu d’argent, d’enregistrer deux maxis, de faire en sorte que les tourneurs s’intéressent à nous. On a commencé à jouer en France, en Suisse, en Hollande, en Espagne…
Le personnel a beaucoup bougé dans La Muerte. Une idée du nombre de musiciens que vous avez employés?
Marc Du Marais: Non, pas du tout. Je n’ai pas tenu de registre. Mais c’est vrai qu’on a usé quelques batteurs.
Il paraît que vous les mettiez systématiquement sur les côtés lors des sessions photos, pour pouvoir recadrer les images si nécessaire, en cas de changement…
Marc Du Marais: Un groupe, c’est une question d’alchimie. C’est une aventure humaine. Parfois, ça coince. Ça ne marche pas, ça ne marche plus. Je me souviens d’un de nos premiers batteurs: il nous a lâchés trois heures avant un concert parce qu’il n’y avait pas de place pour sa petite amie dans la voiture. Qu’est-ce qu’on fait? On a demandé au batteur d’un des groupes qui jouaient avant nous de le remplacer, et le concert a été génial. Je pense qu’il a assuré tout le concert sur le même rythme. Pour moi, c’était dément. Je me souviens d’un bassiste, à Amsterdam, qui a jeté son instrument par terre et a quitté la scène. Il a pris le train, on ne l’a plus jamais revu… Alors on a fait un appel dans le public pour le remplacer. Le mec des Young Gods était là et est monté sur scène… J’aurais pu me passer de tout ça. J’aime que les choses se déroulent bien, je n’ai pas besoin d’un coup de poing dans la gueule pour avoir l’énergie et la rage. Mais c’est comme de la magie, c’est la preuve que notre musique est très primitive et simple. Pour moi, c’est une force.
Qu’est-ce qui nourrit vos textes à l’époque?
Marc Du Marais: Pour les textes, l’imagerie, j’apporte toute ma cinéphilie et toute ma passion pour la littérature. A l’époque, on avait le NME mais aussi Psychotronic, un magazine de cinéma américain qui ressemblait à un fanzine. Ça parlait des films les plus obscurs que la planète a créés, des écrivains les plus maudits. J’ai découvert grâce à ça Harry Crews, James Ellroy. Toute cette littérature de l’autre Amérique, je la découvre par la musique… C’est la musique qui m’amène à aiguiser mes goûts. C’est une littérature que je trouve primitive, violente. Les sujets, souvent à la limite du glauque, me parlent. Il y a le style, le genre, le sujet…
A l’époque, j’étais fasciné par les faits divers dans La Dernière Heure. Très vite, j’ai découpé dans le journal les histoires les plus sanglantes et sordides. Et je trouvais dans cette littérature ce que j’avais dans mon scrapbook. Je suis passé de La DH à Harry Crews. C’est plus stylé, mais je ne renie pas La Dernière Heure. Au contraire, elle m’a beaucoup aidé à écrire mes textes. Avant la littérature, il y avait les salles obscures… A Londres, j’allais à l’Electric Cinema, un bâtiment de style victorien dans son jus, en décrépitude. J’ai découvert là Kenneth Anger, avec Scorpio Rising. Et à la même affiche, il y avait The Wild Angels de Roger Corman. Deux films sur la moto, sur l’univers des Hells Angels. A l’Electric Cinema, j’ai aussi vu Eraserhead de David Lynch. Un petit choc culturel. La séance était à 10 heures du matin, Londres était dans le brouillard. C’était très compliqué de voir ce genre de films à Bruxelles.
Ma passion pour Russ Meyer, c’est à cause de la musique. A cause des Sex Pistols et des Cramps, qui en parlaient énormément. Tu accroches ou tu n’accroches pas, mais tu hallucines devant cet univers complètement cartoonesque. Ce sont les premiers films que je vois qui ressemblent à des dessins animés, une autre de nos influences. Avec La Muerte, sur scène, on n’est pas loin de Tex Avery. On assume notre côté barnum. On fait du rock, on n’est pas des intellos. Le dessin animé est présent dans nos gènes et sur scène. Ce côté grand-guignol. Je trouve qu’on a la même violence que les dessins animés de Tex Avery. Les Tex Avery, c’est extrêmement cruel. Ça fait partie des éléments qui nous sont proches et nous influencent.
Est-ce que vous nourrissiez une quelconque volonté d’effet sur le public? Qu’est ce que vous vouliez provoquer?
Marc Du Marais: Personnellement, absolument rien. Je n’y pense pas, je ne réfléchis pas à ça. Je donne, les gens le prennent ou pas. Je ne calcule aucunement ce que je vais provoquer chez le public. Je m’en fous. La musique, je la fais pour moi. Je la joue sur scène et je suis dans mon truc. Je n’attends rien du public. Souvent les gens sont scotchés. Parce qu’on n’a pas un public qui nous suit, on n’a pas une énorme fan base. Ce sont principalement des gens différents chaque fois. Et je vois qu’ils sont scotchés, ils ne savent pas comment réagir. Et je m’en contrefous. Je suis assez insensible aux bonnes comme aux mauvaises réactions. Si les gens hurlent, tant mieux. C’est plus chouette quand il y a une interaction. Mais qu’il y ait une personne ou 500, je donne autant. Je ne suis jamais déçu du public.
Quelle est la différence entre la première et la deuxième Muerte?
Marc Du Marais: Aucune, je dirais. C’est toujours aussi chaotique. On a beau répéter, ce le sera toujours autant. Les gars doivent me suivre et je ne suis pas facile. Je n’ai pas beaucoup de rigueur. Techniquement, je suis limité. J’ai des faiblesses parfois. En termes de musique, en termes de technique. Mais eux ils sont balèses, vraiment très forts. Et moi je fous le chaos. Ces deux Muerte ne font qu’un pour finir. Il y a toujours eu des changements de personnel. Et là, il y a une maitrise humaine qui fait qu’on est toujours la même équipe depuis onze ans. Je crois que je comprends mieux la musique maintenant. Je suis un peu moins chaotique. En termes de couleurs sonores, on a pris un tournant beaucoup plus heavy, moins garage. Et c’est tout à fait normal: ils venaient de la scène hardcore et il y a avait Tino de Channel Zero, je savais où ils allaient m’amener. Pour être franc, j’aurais voulu qu’ils aillent encore plus loin. Sauf qu’en discutant, Kirby me disait qu’il fallait respecter le son et le travail de Didier, ce qui est tout à fait juste.
Vous avez préfiguré beaucoup de choses. Grunge avant le grunge. Stoner avant le stoner…
Marc Du Marais: C’est juste. Au début, on nous a dit: «Vous faites du Birthday Party.» Ouais, c’était à demi vrai. Ou à demi faux. Parce que quand on écoute, ce n’est pas que ça. Mais on a évolué dans notre son. Et on nous a dit: «On dirait Nirvana.» OK, mais on le faisait avant. Pareil avec le stoner… C’est frustrant quand les gens te prennent pour des suiveurs. Birthday Party, OK, mais le reste… On a balancé ce truc chaque fois avant. Il suffit d’écouter. On n’est malheureusement pas nés américains ou australiens. C’est comme le coup du masque: maintenant, il y a 150 groupes avec des masques, même dans le hip-hop. Mais regarde en 2013 ou en 2014. On était deux… Notre trip de biker aussi. Cette esthétique Hells Angels à notre troisième maxi. Comptez tous les groupes qui ont suivi.
Quel rapport avez-vous entretenu avec l’industrie?
Marc Du Marais: Au début, on n’avait pas le choix. On s’est pris en main tout seuls. On a créé notre label via Paul Delnoy, qui était notre producteur et qui est devenu notre bassiste. On a cherché nous-mêmes nos concerts, on contactait les salles. On a tout fait de manière complètement indépendante, en matière de production, de distribution. Avec les premiers articles dans la presse anglaise, les choses se sont mises en place de manière plus cohérente. On a eu un vrai gros label comme Pias qui nous a pris en main et qui a fait tout le boulot nécessaire pour la promotion. Ils ont été très vite très fort. Ce n’était pas encore la structure d’aujourd’hui, mais ils représentaient toute la scène électronique belge.
Quand on était en Allemagne et qu’on cherchait nos disques, on les trouvait dans le bac Front 242. Il n’y avait pas de groupe comme nous. Dans le genre, on était des pionniers. Donc, c’était compliqué à promouvoir. On n’était pas intégrés dans un mouvement. On était comme une espèce de loup solitaire. Après, on a trouvé un label, un manager qui dégote et gère les concerts, qui chope des tourneurs en Allemagne, en France. On a fait toute l’Europe. On peut même se vanter d’avoir fait l’Olympia. Bérurier noir arrêtait, ils y jouaient trois soirs et ils cherchaient trois groupes européens dont le nom avait une connotation avec la mort. Le premier jour, c’était Les Cadavres, un groupe parisien. Le deuxième, c’était La Muerte. Et le troisième, c’était Die Toten Hosen (NDLR: «les pantalons morts» en allemand). Même si on n’avait rien à voir avec la scène alternative de l’époque, ils nous ont quand même invités. Ça n’a jamais été un but ou un objectif pour nous d’être sur une major. Il y en a pour qui c’est un plan de carrière. Mais pour moi, ce qu’on a eu, c’était juste parfait.

Est-ce que le business a beaucoup changé?
Marc Du Marais: Oui. Tout est un peu plus compliqué qu’avant. La proposition de groupes, quel que soit le genre, est devenue exponentielle. Il suffit de voir la quantité de concerts au Bota, où tu en as tous les jours dans toutes les salles. Et je ne parle pas du Magasin 4, de l’AB, d’Anvers… Quand je vois la qualité de ces groupes en plus… Les musiciens, qu’importe le genre, sont meilleurs qu’avant. Je suis halluciné. Je vais encore voir plein de gigs et je n’ai pas peur de me déplacer à l’étranger. Je me laisse facilement embarquer. J’ai des potes qui me conseillent dans tous les genres. Le garage rock sixties, la soul, le black metal, le hard rock, le jazz… Je suis à l’écoute.
Qu’est-ce qui vous tient en éveil?
Marc Du Marais: La curiosité, la passion de la musique. Et puis, je suis peut-être aussi snob que les Anglais, mais un groupe en général, après deux albums, ça m’emmerde. Donc, je suis constamment à la recherche de la petite pépite, de la nouveauté. Après trois albums, tu as tout dit. Sur le quatrième, tu fais le premier à l’envers. Sur le cinquième, tu mélanges les précédents. On a peut être contourné un peu l’écueil avec La Muerte en ayant deux vies. Mais tu ne peux pas changer radicalement. Tu restes toujours toi.
Est-ce que La Muerte a des héritiers?
Marc Du Marais: Non. J’ai dilapidé tout l’héritage. Je n’ai rien laissé. Après, je vois plein de trucs. Pas des héritiers mais autre chose. Je pense à Instructor, un groupe belge qui organise des concerts au Cobra Jaune. C’est le groupe de la nouvelle scène hardcore belge. Je me trouve des points communs avec eux. L’énergie, l’esprit Do It Yourself. Ils n’ont pas besoin de presse. Ils ont leur réseau, leurs connexions. Même si leur musique n’a rien à voir avec la nôtre, je m’en sens proche et je les trouve dingues…
Qu’attendre de votre dernier concert?
Marc Du Marais: Toujours la même chose. Le chaos sonique. La performance ultime. L’absolu de La Muerte. Je veux que ce soit à la hauteur de tout ce que je viens de te dire. C’est juste ça mon angoisse. Etre méchant.
La Muerte, True Till Death, The Final Concert: le 13 décembre au Botanique, à Bruxelles.