La flambée du vinyle: « Les majors sont en train de se tirer une balle dans le pied »
Universal, Sony et Warner ont décidé d’augmenter mondialement le prix de leurs vinyles. Ou quand la musique sur support physique devient un produit de luxe…
« Sans avoir été ni consulté ni même informé préalablement, j’ai appris par voie de presse que la société Warner Music France, qui diffuse mes six premiers albums, va opérer sur le prix du vinyle d’importantes majorations à compter du 12 juillet. Je tiens à signifier que je m’oppose totalement à cette démarche, qui ne peut que contribuer à faire du disque un objet destiné aux privilégiés, et détourner des bacs celles et ceux qui contribuent à faire exister les enregistrements autrement que sous forme de fichiers. » Ces mots, forts et déprimants, sont de Dominique A. Postés au début de l’été sur sa page Facebook. Warner n’est pas le seul à doper de manière spectaculaire le prix de ses vinyles. Universal et Sony aussi sont dans le coup. Augmentation? Le mot est faible. « J’ai eu la blague récemment avec les albums 3 et 4 de Led Zep, explique Fabrice Marotta du magasin Lost in Sound à Liège. Je les achetais à 12 euros 50 pour les vendre à 22 euros 50. Maintenant, ils sont à 24 euros 50 prix d’achat… Des disques annoncés à 14 ou 15 euros que j’avais commandés sont passés à 20 et on me les a envoyés sans même me prévenir. C’est bien simple, je vais devoir acheter le Doors au prix où je le vendais. »
« Sans avoir été ni consulté ni même informé préalablement, j'ai appris par voie de presse que la société Warner Music…
Posted by Dominique A on Friday, July 9, 2021
On ne parle pas ici que de vieux classiques et de back catalogue. Les nouveautés des majors aussi sont désormais vendues à des prix prohibitifs. Le dernier Billie Eilish avoisine ainsi les 40 euros. « J’ai voulu l’acheter à ma femme, explique Dop Massacre, le vendeur le plus célèbre de la FNAC. Mais à ce prix-là, je lui ai recommandé de l’écouter d’abord pour être sûre. Depuis un certain temps, les majors exagèrent. Et tu te dis que c’est encore plus limite quand il s’agit d’un groupe à la mode. »
Les raisons invoquées pour justifier cette flambée? La raréfaction de la matière première et une meilleure rentabilité sur le vinyle. L’argument est léger. Certes, le prix des polymères qui servent à sa fabrication s’est envolé et les usines de pressage, trop rares, sont débordées. Mais le surcoût connu du renchérissement des coûts de fabrication se situerait entre 15 et 20%. Pas de quoi expliquer que le prix de certains albums ait doublé. En attendant, aucune de ces maisons de disques n’a pu/voulu (biffez la mention inutile) s’exprimer sur la question.
« Opportunisme ou suicide commercial, les trois majors françaises du disque ont décidé en cette année 2021 d’une augmentation tarifaire qui, pour deux d’entre elles, dépasse l’entendement. Et malheureusement, certains labels et distributeurs indépendants ne sont pas en reste dans cette escalade. Les prix hors taxes ont pris entre 50 cents et 19 euros (?!) d’augmentation selon les références« , écrivait en juin dans un communiqué le Groupement des disquaires indépendants nationaux (GREDIN), premier syndicat français à défendre la profession.
Pièces de musée…
Jusqu’à quelle somme les mélomanes/passionnés/clients/consommateurs/cochons payeurs seront-ils prêts à mettre la main au portefeuille? « Je suis un gros acheteur, reprend le Dop. J’ai pris l’habitude de réinvestir tous mes cachets de DJ dans des disques et j’ai un pourcentage de ristourne, mais ça fait réfléchir. À ce rythme-là, je finirai par ne plus acheter que des vieux trésors cachés dans les magasins de seconde main. »
« Les labels indépendants restent raisonnables, avec des progressions de 1 ou 2 euros, reprend Fabrice Marotta. Tu auras toujours des passionnés qui achètent des disques mais les majors sont en train de se tirer une balle dans le pied. Je ne comprends pas où elles veulent en venir. En plus, il s’agit d’albums ultra rentabilisés sur lesquels ces maisons de disques ont déjà gagné des millions et des millions. »
Les majors cherchent-elles à compenser des pertes liées au confinement et à la pandémie? Le streaming ne leur a jamais rapporté autant d’argent. Veulent-elles se débarrasser insidieusement d’un support qui marche mais pose des soucis en termes logistiques? Ce serait le cas qu’elles ne s’y prendraient pas autrement. En attendant, le vinyle va devenir inabordable pour une partie de la population.
« Nous, on reste dans notre gamme de prix et on ne compte pas profiter de la situation, commente Damien Waselle, directeur de Pias Belgique. Le vinyle est cher mais il coûte cher à la fabrication. Avec les petits surcoûts, on a augmenté de 1 euro notre prix de vente. Il y a une tension. La demande explose. Et les usines de pressage sont peu nombreuses. Il faut compter entre 18 et 24 semaines de délai pour une nouveauté. On est par exemple tombés à court de l’album d’Arno sorti en mai. On n’aura pas de nouveaux exemplaires avant novembre. L’usine avec laquelle on travaille voulait même arrêter les pressages de couleur parce qu’ils lui font perdre du temps. Si on m’avait dit un jour qu’on revendrait autant de vinyles, je n’y aurais jamais cru. On a retrouvé le goût de l’objet. Mais perso, quand ça dépasse les 25 euros, je me dis que c’est cher. Et au-dessus de 30, je n’achète pas. »
» On ne peut pas se retrouver à vendre des pièces de musée, conclut Fabrice Marotta. Si j’achète à 24 euros, je dois « prendre une marge », ajouter la TVA à 21%, et je passe à 40. 40 balles pour un album… C’est pas de l’or quand même! La France a son syndicat. Il serait peut-être temps d’en créer un en Belgique. De s’inspirer de ce qui se fait dans le livre aussi qui a une TVA de 6% et un prix unique. Il y a définitivement moyen de faire fonctionner la machine pour tout le monde sans tuer le client.«
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