Portrait: Billie Eilish, icône pop de la génération Z

Billie Eilish, icône pop de la génération Z. © Kelia Anne MacCluskey
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

À même pas 20 ans, elle affole les compteurs de streams et accumule les récompenses. Icône pop de la génération Z, Billie Eilish sort son deuxième album, Happier Than Ever. Portrait.

À première vue, la séquence est anodine. Elle est tirée du documentaire Billie Eilish: The World’s a Little Blurry, diffusé sur Apple TV au début de l’année. Billie Eilish, 17 ans, vient d’obtenir son permis de conduire. Déjà star, mais encore un peu ado, elle s’apprête à emprunter la voiture familiale pour une première virée en solo. Son paternel lui donne les derniers conseils de sécurité. Elle essaie de cacher son excitation. Lui, ses appréhensions. « Il faut avoir la foi, faire de son mieux et profiter de la vie, philosophe Patrick O’Connell, tout penaud. Puis, il faut vivre dans le déni… Quoi d’autre? » Entre-temps, sa fille a démarré, déjà loin. En route vers le succès planétaire.

Il n’a fallu en effet qu’un seul album, When We All Fall Asleep, Where Do We Go?, sorti en 2019, pour consacrer Billie Eilish comme l’une des plus grandes stars du moment. Aujourd’hui, elle enchaîne avec Happier Than Ever. Dévoilé ce vendredi, il propose seize titres en tout, dont cinq ont déjà fait l’objet de singles, distillés au compte-goutte depuis un an. Même la pandémie n’a pas vraiment entamé la marche en avant de l’Américaine… Au risque de se griller à la lumière d’une hypercélébrité féroce?

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La question prend d’autant plus de relief que le nouvel album de Billie Eilish arrive au moment où une autre star précoce refait l’actualité. Le 20 juillet dernier, Britney Spears occupait encore la Une de Libération. Non pas pour la sortie d’un nouveau disque mais pour la saga judiciaire dans laquelle la chanteuse s’est lancée afin de se libérer de la tutelle à laquelle elle est toujours soumise. Depuis 2008, des pans entiers de sa vie -ses finances, ses fréquentations, et même ses moyens de contraception- sont contrôlés, notamment par son père Jamie Spears. À l’époque, la décision avait été prise suite à une série de frasques hautement médiatisées. Depuis, cependant, comme l’écrit le quotidien, « l’affaire Britney Spears n’est plus une saga individuelle réservée à la presse à scandale. Elle s’inscrit dans un mouvement bien plus large. Son hashtag est #FreeBritney mais il pourrait tout aussi bien être #MeToo. Cette affaire signe la fin des chanteuses objets. » Une ère, continue le journaliste Olivier Lamm,  » à laquelle aucune de ses descendantes, de Taylor Swift à Billie Eilish ou Dua Lipa, n’appartient déjà plus« .

De fait, Billie Eilish a largement contribué à modifier les règles en cours dans le business musical. C’est en tout cas le récit qui a été patiemment construit depuis ses débuts: celui d’une pop star « alternative », visant le grand public tout en cultivant son « étrangeté », icône d’une génération Z à la fois paumée et hyperconnectée.

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Teen spirit

Née le 18 décembre 2001, Billie Eilish Pirate Baird O’Connell a grandi à Los Angeles. Elle est la fille de Patrick O’Connell et Maggie Baird, tous les deux acteurs -on a vu le premier dans des séries comme The West Wing, la seconde au générique de X-Files ou Bones. Avec son frère Finneas, aîné de quatre ans, Billie suit l’école à la maison, leur mère les initiant notamment à la composition. De là à imaginer que la fratrie a été « moulée » pour le show business, il n’y a qu’un pas. Jusqu’ici pourtant, les parents de Billie Eilish ont toujours eu l’air de davantage supporter les envies de leur progéniture que d’en faire un projet d’investissement personnel. Présents, certes, mais attentifs à ce que la machine du business ne broie pas leurs enfants. D’autant que la traversée de l’adolescence s’avérera tumultueuse pour Billie. Sujette au syndrome de la Tourette, elle sombre régulièrement dans un spleen profond, glissant jusqu’à la dépression et l’automutilation. En 2016, son premier single « officiel » a pour titre Six Feet Under, « six pieds sous terre »… Quelques mois auparavant, un autre morceau, diffusé via SoundCloud, a commencé par titiller les oreilles des maisons de disques. Ocean Eyes a été composé par son frère Finneas. Depuis, frère et soeur n’ont jamais cessé de bosser ensemble.

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Un an plus tard, Billie Eilish publie son premier EP, Don’t Smile at Me. On y trouve notamment le titre Hostage, dont le clip est dirigé par un certain Stromae… Comme son homologue belge, l’Américaine tient à garder la main sur tous les aspects de sa carrière. À commencer, évidemment, par sa musique. Publié en mars 2019, When We All Fall Asleep, Where Do We Go? a beau sortir sur le label Interscope, propriété de la major toute-puissante Universal, il a été officiellement enregistré dans la chambre de Finneas. Le démarrage est fulgurant. Dave Grohl, qui a été voir Billie Eilish en concert avec sa fille, n’hésite pas à la comparer à Nirvana. Moins sur la musique -nettement plus lisse que les déflagrations sonores du grunge-, que sur l’impact que celle-ci peut avoir sur le public. Dans les deux cas, it smells like teen spirit

Au programme, pas de bluettes sentimentales. Billie Eilish préfère ruminer son spleen ado. Dans ses chansons, la jeune femme parle déprime, pulsions suicidaires (« I wanna end me« , dans Bury a Friend), faisant mine de noyer ses angoisses dans les anxiolytiques (« Too intoxicated to be scared« , sur Xanny). Dans ses vidéos aussi, elle oublie de sourire, le regard blasé et le nez en sang, des araignées sortant de sa bouche (You Should See Me in a Crown). Jusque dans son look, Billie Eilish tranche avec les codes teen pop habituels. Loin des poses Lolita lascives -remember les couettes et minijupes de Britney Spears-, elle recycle les attributs gothiques, flottant dans du sportswear baggy.

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Et ça marche. Relativement inoffensive, mais légèrement décalée, la musique de Billie Eilish cartonne. Le single Bad Guy -plus d’1,1 milliard de vues sur YouTube -atteint la première place du Billboard américain. En janvier 2020, la nouvelle star remporte les Grammys des cinq catégories dans lesquelles elle est nommée -dont celle d’album et chanson de l’année-, son frère Finneas repartant avec le prix du meilleur producteur. Un triomphe. Quelques jours après la cérémonie, elle sort encore No Time to Die, chanson-titre du prochain James Bond. Eilish n’a pas encore atteint la vingtaine, mais a déjà accompli un parcours phénoménal.

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Vices et vertus du Net

Comment enchaîner après un tel succès? Difficile à dire -au moment d’écrire ces lignes, le label n’avait toujours pas envoyé de lien d’écoute à la presse. Sur foi des premiers singles ou même de son titre, Happier Than Ever semble cependant suggérer une certaine forme d’apaisement. Il reprend, par exemple, un morceau comme My Future. Sorti il y a un an, au plus fort de la pandémie, Billie Eilish chantait « être amoureuse de son avenir« . Elle le faisait de sa voix toujours aussi traînante. Mais avec des accents moins mornes, presque jazzy -elle raconte avoir beaucoup écouté Julie London, Frank Sinatra ou Carlos Jobim. Entre-temps, même l’apparence a changé: fini les colorations émo mélangeant bleu, vert et noir pétrole, place désormais au blond platine à la Marilyn.

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Pour autant, le visage, lui, reste impassible, l’expression un peu blasée, le sourire absent. Une larme coule même sur la pochette de Happier Than Ever. Dans l’entretien accordé récemment au magazine Rolling Stone, Billie Eilish insiste: « Pratiquement aucune des chansons de l’album n’est joyeuse. » À nouveau enregistré en duo resserré avec son frère, mais présenté comme plus personnel, il y est notamment question d’abus et de relations toxiques. Le single NDA évoque les ravages de l’hypercélébrité. « Tu croyais me voir débarquer en limousine?/Impossible, je dois épargner pour ma sécurité. » Plus loin, elle parle de son dernier crush pour un garçon, lui demandant malgré tout de signer un accord de confidentialité (NDA, pour non-disclosure agreement) avant qu’il ne reparte…

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De son côté, le morceau Your Power est une ballade folk minimaliste. Avec des paroles assez explicites que pour cerner la thématique -les rapports de pouvoir-, mais sans pour autant limiter les interprétations. Qu’elle soit sentimentale -« try not to abuse your power« , semble-t-elle répéter à son amoureux. Ou même politique -« how dare you?« , glisse-t-elle, comme un écho à l’exclamation de Greta Thunberg devant les puissants de ce monde. Peut-être même que le pouvoir dont il ne faut pas abuser est le sien, pop star adulée, dont chaque mouvement est analysé, scruté. Exemple en mars dernier: six minutes à peine après avoir posté une photo de sa nouvelle chevelure blonde sur Instagram, le cliché avait dépassé le million de « likes ». Un record.

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La médaille a évidemment un revers. Billie Eilish est née avec Internet, instrument de communication et de viralité sans pareil. Mais aussi système de surveillance impitoyable. Un tribunal permanent, où chaque faux pas mobilise désormais des armées de RP spécialisés dans la communication de crise. Au début de l’été, la chanteuse était ainsi accusée de racisme antiasiatique -sujet particulièrement sensible ces derniers mois aux États-Unis. L’objet du délit? Une vidéo apparue sur TikTok, dans laquelle l’ado alors âgée de treize ans, fait mine notamment de rapper le morceau Fish de Tyler The Creator, dans lequel celui-ci utilise le mot « chink » (l’équivalent de « jaune » ou « chinetoque » en français?). Il n’en faudra pas plus pour que le Net s’emballe. Et que la chanteuse se fende d’un long mot d’excuse sur son compte Instagram.

Autre caillou dans la chaussure à semelle compensée de la mégastar: des reproches de queerbaiting, suite à la vidéo de Lost Cause. Eilish est en effet « soupçonnée » d’avoir feint l’ambiguïté sexuelle à des fins marketing. Dans le clip du single, on y voit Eilish en pleine pyjama party entre copines. Plus délicat encore, ce post Instagram sur le compte de l’artiste, reprenant des photos du tournage, et titré: I love girls. Commentaire banal, outing queer, ou positionnement stratégique? La principale intéressée s’est bien gardée de trancher.

Billie Eilish, dans le clip de Lost Cause, en pleine pyjama party.
Billie Eilish, dans le clip de Lost Cause, en pleine pyjama party.

Le corps sous surveillance

Plus généralement, c’est une bonne partie de son audience qui a tiqué sur le nouveau look de la chanteuse. En particulier celui de vamp fifties arboré dans le magazine Vogue du mois de mai. Sous la moue toujours boudeuse pointe désormais un glamour hollywoodien. D’aucuns reprochent à la chanteuse d’avoir cédé aux impératifs sexy de l’industrie, elle qui avait justement réussi en proposant d’autres codes. Sa réponse: « Faites ce que vous voulez, quand vous le voulez. Fuck tout le reste« …

Visible sur YouTube, l’une des interviews les plus touchantes de Billie Eilish a été réalisée par Vanity Fair. Depuis 2017, le magazine l’interroge chaque année, à la même date, reposant chaque fois les mêmes questions. Comme celle-ci par exemple: « Quelle est la rumeur la plus insistante à votre propos? » En 2020, Eilish y a répondu en revenant sur les photos d’elle, prises par un paparazzi, la montrant sortant de sa voiture en simple short-débardeur. Le cliché volé avait alors fait le tour de la Toile. « Du genre, « hey, Billie Eilish est devenue grosse ». Pas du tout, je suis naturellement comme ça! Vous ne l’aviez juste pas encore vu« , soupirait la jeune femme… Planqué derrière des tenues oversized, dévoilé dans un bustier généreux, ou cédant au confort d’un simple top en pleine canicule, le corps des (jeunes) filles reste décidément l’objet de toutes les attentions. De tous les jugements.

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En 2014, l’autrice Lola Lafon se penchait sur la trajectoire d’une autre enfant-ado prodige, Nadia Comaneci, gymnaste roumaine dont les prouesses ont fasciné le monde entier, la première à obtenir un 10 aux JO de Montréal, en 1976. Quatre ans plus tard, la silhouette de l’athlète, alors âgée de 19 ans, avait forcément changé. Dans La petite communiste qui ne souriait jamais, Lafon rapporte: « « La petite fille s’est muée en femme et la magie est tombée », titre un quotidien français (…) Quelle est cette magie dont ils portent le deuil, un procès hormonal, ce verdict qui enterre un rêve obsédant, celui d’un corps qui, lorsque vous saluiez les juges, n’offrait aucun relief. » Trente ans plus tard, qu’en pense la petite chanteuse qui ne souriait jamais…?

Billie Eilish, Happier Than Ever, distribué par Universal.

En concert le 28/06, au Sportpaleis d’Anvers.

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