Critique | Musique

La Femme chante en espagnol

3,4 / 5
© JD Fanello
3,4 / 5

Album - Teatro lúcido

Artiste - La Femme

Genre - Pop

Label - Born Bad / Disque Pointu

Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Sur Teatro Lúcido, le quatrième album de La Femme, Sacha Got et Marlon Magnée jouent avec le paso doble, le reggaeton, le flamenco et des castagnettes. Hola, que tal?

Jour de sortie. Jour de fête. C’est dans l’arrière-salle d’un restaurant parisien, non loin de la Gare du Nord, que La Femme, fraîchement revenue des États-Unis, a fixé rendez-vous pour causer de Teatro Lúcido. Un album qui joue avec les codes et féminise dans tous les sens du terme les musiques espagnoles et latinos.

Pourquoi avoir décidé d’enregistrer un album en espagnol?

Sacha Got: On a grandi à côté de l’Espagne, mais je ne m’étais jamais trop intéressé à sa musique. Quand je suis retourné il y a quelques années m’installer à Biarritz, j’ai commencé à réécouter le paquito que je pratiquais dans mon enfance lors des férias. J’avais envie d’un retour aux sources, de me reconnecter à mes origines. Et je me suis senti très attiré par la musique espagnole. Le flamenco, mais aussi la musique classique, le paso doble. J’ai réalisé un premier voyage de deux semaines à Madrid et Séville. Je me suis fait des potes là-bas. Et je suis parti m’installer chez un fan du groupe super sympa pendant un mois. J’ai aussi vadrouillé. Grenade, Cadix, puis aussi Tanger, Gibraltar… J’ai commencé à traîner avec des Espagnols, à parler en espagnol, à écrire des morceaux en espagnol. On y est retourné avec Marlon pour terminer notre album précédent, Paradigmes. J’avais un plan pour louer une maison dans le petit village de Padul. Comme lui aussi, au même moment, il avait commencé à écrire des morceaux en espagnol, on a fini par se retrouver avec un album. Ce disque est un hommage à la culture hispanique et à une période de notre vie.

Il ressemble à quoi ton séjour en Espagne?

Beaucoup de sorties, beaucoup de soirées. Mais j’étais déjà en quête de musique. J’avais pour but de m’acheter une guitare classique. Et là-bas, c’est le berceau. C’est à Grenade que tu as les meilleurs luthiers. J’avais mon ordi, une carte son et un micro. Je me suis mis à faire des maquettes. J’ai assisté aussi à des soirées flamenco. C’est marrant parce que moi, j’avais en tête les Gipsy Kings qui passaient chez Michel Drucker quand j’étais petit. Une fois, mes parents m’avaient emmené à un concert.

Je m’étais fait chier pendant trois heures sur un siège. À 12 ans, tu veux écouter du rap, du punk. Mais quand tu es dans un bar un peu sombre et perdu de Séville avec une vieille qui chante, qui pleure, qui gueule et des gens qui tapent dans les mains autour, c’est tout de suite beaucoup plus authentique et pittoresque. Elle disait que son fils était en train de mourir, qu’il était malade. Le flamenco est une espèce de blues espagnol. Il parle de trucs super tristes pour évacuer les drames, pour extirper la peine. Ça me renvoie à La Nouvelle-Orléans, à Memphis, à des régions assez rudes, assez pauvres. Ça va aussi avec le peuple gitan qui est persécuté, qui est systématiquement en exil. Tu sens que c’est fort. C’est un truc avec lequel ils ne rigolent pas. Ça m’a pris aux tripes. Je suis vraiment tombé amoureux de la culture, de l’architecture, des gens.

© National

Elle avait été importante pour toi cette Espagne étant gamin?

Entre mes 16 et mes 18 ans, j’étais plus attiré par l’Angleterre et les États-Unis. L’Allemagne, Berlin. Je n’avais qu’une envie, c’était de partir pour Londres ou Los Angeles. Des villes à la mode où il y a du rock. L’Espagne, j’ai toujours grandi à côté. Mais pour moi, les Espagnols, c’était des mecs qui avaient des mulets et qui écoutaient de la techno. Je ne me reconnaissais pas du tout là-dedans. D’ailleurs, j’étais nul en espagnol à l’école. Ça ne m’intéressait pas du tout.

Sur l’album, il y a du religieux, de l’anarchiste, du militaire… Comment as-tu géré ta découverte de la musique espagnole?

Je suis assez obsessionnel comme mec. Et donc, je me suis mis à en écouter beaucoup, dans tous les styles. J’ai assisté à des cérémonies. Notamment à la Semaine Sainte à Séville, qui m’a beaucoup marqué et qu’on peut entendre sur le premier morceau. Je me suis intéressé de près à tous ces folklores, aux musiques de corridas et de cérémonies militaires. Tren de la vida est inspiré des chansons de la révolution anarchiste espagnole. Il y a beaucoup de chanteurs de cette époque que j’adore. C’est très pur. Sur l’album, il y a des guitares classiques, des trompettes, des castagnettes. Mais on a modernisé. Je me suis aussi intéressé à la Movida, cette scène madrilène des années 80, de la fin du franquisme. Quand ça recommençait à être la teuf en Espagne. Des trucs new wave et punk comme Alaska ou Ataque de Caspa. J’adore redécouvrir des choses comme ça qui ont été fossilisés. Resaca est un morceau très new wave qui aurait pu être chanté en français. Fugue italienne commence avec une intro à la Orange mécanique. Il y a des sonorités d’Amérique latine aussi. De la musique brésilienne, du reggaeton qu’a amené Marlon. Ça touche un peu à tout le spectre de ce qu’on a pu écouter, de ce qui nous a inspirés en terme de folklore et de musique traditionnelle. C’est un grand tout qui part de l’Espagne.

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Le désir était aussi de moins chanter?

Pas du tout. Mais de base ce n’est pas notre langue et on a un accent de merde. Du coup, si je prends en charge deux morceaux, les autres, ce ne sont que des filles. Il y a une chanteuse mexicaine, une autre du Panama, un groupe qui s’appelle Adios Amores. Chaque disque qu’on fait, c’est toujours un vrai bordel avec plein de pistes, plein d’instruments, plein de gens. On ne pense jamais à la scène quand on compose. On arrive toujours à s’adapter. Pour nous, l’album est une fin en soi. Ce n’est pas un moyen de donner des concerts..

Les chansons parlent de quoi?

Marlon Magnée: Il y en a qui sont portées sur l’alcool. Resaca par exemple parle d’une gueule de bois. Tu as des chansons d’amour aussi. Contaminado évoque une relation toxique. Teatro Lúcido raconte que quand une vague se déforme, une autre se reforme. Que quand ton cœur te dit de revenir, une voix te dit de partir. Parce qu’elle ne t’aime pas.

Encore?

Ouais. En fait, on a juste fait des traductions de nos vieilles chansons

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