La double vie de Caleb Landry Jones
Tout juste auréolé du prix d’interprétation masculine au festival de Cannes, Caleb Landry Jones se la joue Syd Barrett, Marc Bolan et Jack White sur un album à nouveau remarquable… Rencontre.
Ils ne sont pas nombreux les mecs capables de se montrer aussi passionnants sur leurs disques que sur les écrans. Dans un passé récent, on pense en vrac à Donald Glover alias Childish Gambino (surtout à sa série Atlanta), et à Quentin Dupieux alias Mr. Oizo, son électro et ses films à la poésie absurde. On se souvient aussi de Dead Man’s Bones, le groupe du cascadeur chauffeur de Drive Ryan Gosling… Caleb Landry Jones est en train, mine de rien, de se faufiler dans ce cercle très fermé. Jones sort un deuxième album aussi convaincant que le premier, marqué par le glam et le cabaret (Syd Barrett rencontre Marc Bolan, Ray Davies et Jack White), et vient de recevoir le prix d’interprétation masculine à Cannes pour Nitram. L’histoire entre solitude et frustration de Martin Bryant, l’auteur du massacre de Port-Arthur en Tasmanie… 35 morts et 37 blessés.
« Je ne sais pas pourquoi on me propose toujours des rôles de mecs bizarres et torturés. J’ai un jour vu une interview de Johnny Depp dans laquelle il parlait de Marlon Brando. Brando lui disait qu’on n’avait qu’un certain nombre de visages dans nos poches. Je ne sais pas. Peut-être que je n’en ai qu’un seul… Je pense que j’en ai deux. Peu importe combien de nez, de perruques je porte… Quand je suis arrivé à Los Angeles, je pensais que je ne jouerais que dans des comédies. Vraiment. Et je n’ai jamais décroché ces auditions. J’étais plutôt le gosse qui tire sur les oiseaux dans les arbres de son jardin pour se marrer. Des trucs du genre. C’est comme ça. Il y a une intensité que je veux donner à mes personnages en tout cas, inspiré par quelques acteurs que j’admire. »
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Une intensité qu’on retrouve aussi dans ses albums. Chez Jones, le rock et le cinéma semblent inextricablement liés. « Quand je me suis mis à bosser sur Nitram, son réalisateur Justin Kurzel m’a envoyé beaucoup de musique australienne. Il m’a fait découvrir plein de trucs punks et écouter un tas de morceaux des années 90 et 80. » Caleb s’emballe sur le groupe de métal Armoured Angel et les Powder Monkeys, se met à chanter Colour Television d’Eddy Current Suppression Ring, et avoue entre parenthèses qu’il a enfin commencé à apprécier Nirvana grâce à l’écoute de Bleach. « L’idée était de comprendre l’Australie quelque part. Le mâle australien. L’Australien tout court. La musique fait partie de la société de manière plus profonde qu’on le pense. Justin m’a envoyé un tas de choses pour préparer le tournage mais comme j’écoute et joue de la musique, elle a été une base importante pour moi. Elle possède en elle l’esprit d’une région, d’un pays à un moment donné. Elle est dans l’air. » En attendant, en Australie, des victimes ont lancé une pétition pour stopper la sortie du film. « À mon avis, beaucoup pensaient qu’on allait glorifier la violence alors qu’on avait des intentions opposées. Je trouve que le sujet a été abordé de manière très responsable et intelligente. Certains des autres films de Justin sont très violents, donc ça a sans doute encore renforcé les préjugés. Je n’ai quasiment rien regardé qui soit lié aux tueurs de masse. Ce qui nous intéressait, c’était l’essence de cette personne. La normalité de cet être. »
Sans filtre
Chez Landry Jones, la musique a des vertus thérapeutiques voire salvatrices. Comme l’herbe qu’il consomme en abondance, elle lui donne l’impression de ralentir le temps et les émotions. « Quand je me bats contre un truc, la musique est le meilleur moyen d’y faire face de manière positive. Elle me permet de prendre ce qui m’arrive, ce qui me submerge et de l’utiliser pour en faire quelque chose plutôt que de m’asseoir dessus et de le laisser me pourrir le cerveau. Quand je suis rentré d’Australie, j’ai passé du temps avec ma petite amie et mes potes et j’ai fait autant de musique que je le pouvais. Ce genre de rôle est tellement épuisant que tu as besoin de quelque chose pour en sortir. La musique me permet notamment de disparaître d’une certaine manière après un tournage. De me libérer des trucs trop encombrants. »
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Les chansons de Gadzooks Vol. 1 ont été écrites en 2019 à Albuquerque alors que Landry Jones jouait un robot créé par Tom Hanks pour prendre soin de son chien (Finch). L’acteur connaît bien la ville. Il y avait tourné dans son tout premier film, No Country for Old Men, et quelques épisodes de Breaking Bad. « Mes grands-parents n’habitent pas très loin. Ils vivent dans les montagnes du Nouveau-Mexique. Je ne sais pas s’il y a quelque chose de la région dans ce disque. Peut-être un bout de ce désert toujours au coin de la rue. Je pense que l’album a plus de couleur que le sable mais je suis certain que ces grandes étendues arides sont là quelque part. »
Caleb parle sans filtre. Ponctue ses réponses de grands éclats de rire. Il dit avoir beaucoup aimé De Stijl et White Blood Cells des White Stripes, leur dynamique, leurs gros riffs de blues et la voix de monsieur Jack. Il se souvient, ado, avoir vu Devendra Banhart sur scène. « Ils ressemblaient tous à des acteurs porno. Je m’étais dit: putain, on est bien loin de leur album Niño Rojo … » Et quand on lui parle de Ty Segall, il rebondit sur Marc Bolan. « J’aime beaucoup les Kinks aussi. Je me souviens très bien les avoir découverts via Rushmore et le cinéma de Wes Anderson. Quand j’ai commencé à fouiller, il y a avait tellement de leurs morceaux que j’avais déjà entendus… J’ai fini par me dire que presque tous les films avaient en eux une chanson des Kinks. »
Caleb Landry Jones a enregistré son nouvel album avec les mêmes gens et les mêmes aspirations que le précédent: ne pas cracher sur la moindre idée, voir où elles mènent avant de leur fermer la porte, laisser de la place à l’intuition même si elle peut être effrayante, utiliser le chaos, les erreurs et s’en nourrir. Sa copine a signé la pochette qui renvoie à King Crimson et n’est pas sans rappeler Le Cri de Munch. « Elle avait cette idée de visage en train de crier, de pleurer. À la fois de la joie, de la colère… Tout en un. Une espèce de libération extrême. »
Caleb Landry Jones, Gadzooks Vol 1, distribué par Sacred Bones/Konkurrent. ****
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