Rencontre avec le rappeur bruxellois Kobo: « Sans Damso, je ne me serais jamais lancé dans la musique »
Freiné par le Covid après un premier album remarqué, le rappeur bruxellois est enfin de retour avec Anagenèse, disque personnel et tourmenté. Nwaar…
Un titre d’album n’est jamais innocent. A fortiori quand il s’agit du premier. À l’été 2019, Kobo sortait le sien. Il était baptisé Période d’essai. Pas vraiment la plus offensive des déclarations d’intention, on l’avouera… Dans une scène rap bouillonnante, particulièrement “compétitive” et crâneuse, elle pouvait même passer pour étonnamment modeste. “C’est un peu ma nature. Je suis quelqu’un d’assez réservé. Et puis, avant ce projet, je ne faisais pas de musique. J’avais conscience d’arriver un peu comme un outsider.”
Trois ans plus tard, le “statut” de Kobo a-t-il changé? À voir. Quand on le retrouve, il affiche toujours le même flegme, posé et attentif. Quel bilan tire-t-il de ses débuts? “Je suis content. Ça m’a permis d’acquérir de l’expérience artistique, scénique, et puis aussi de mieux comprendre les rouages du business. Après, commercialement, ça n’a pas fait un carton. Ça reste plutôt un succès d’estime…” Les louanges de la critique, célébrant sa plume et son univers personnels, portés par des titres comme Nostalgie ou Baltimore, ne se sont en effet pas concrétisées en triomphe public. Pas certain que Kobo en a pris véritablement ombrage. On se demande même si, quelque part, ce rôle d’underdog ne lui convient pas un peu… “Peut-être, oui. Quand vous rentrez dans la musique, il y a quand même toujours un peu cette envie de briller, de réussir. Aujourd’hui, j’espère toujours que ça va accrocher. Mais j’ai aussi appris à prendre les choses comme elles viennent…”
C’est sans doute la leçon de la pandémie. Comme tout le monde, Kobo en a subi directement les conséquences: concerts annulés, promo gelée, etc. Avec cette conclusion: même en allant au charbon, en mettant tous les atouts de son côté -appui d’une major, clips soignés, presse emballée-, vous ne maîtrisez jamais tout à fait votre destin. “Tout à coup, je voyais s’effriter en direct tout ce que j’avais construit.”
Ce n’est pas seulement le projet artistique qui est dans les cordes. Certains proches sont aussi touchés. Puis, il y a le confinement, qui finit de miner Kobo. “Je suis déjà quelqu’un d’assez solitaire. Mais là, j’ai découvert une solitude extrême.” Au bout d’un moment, il décide de briser l’isolement et prend un billet pour retrouver sa famille, à Kinshasa. “Ça faisait dix ans que je n’y étais pas vraiment retourné. C’était très fort.” Kobo y reste durant sept mois. L’occasion de revoir ses parents, mais aussi de prendre du recul, notamment sur sa vie d’artiste. “Ce retour aux sources m’a fait du bien, dans la mesure où il m’a aidé à mieux comprendre certains fonctionnements. Quelque part, le Covid m’a “rendu” le temps que je n’avais plus. J’avais besoin de sortir d’une certaine dynamique où il faut toujours faire plus de vues, plus de streams, sortir un son après l’autre. Ça m’a rappelé qu’il y a d’autres choses dans la vie, plus importantes que la “réussite”, avec tout ce que ça peut avoir de superficiel et d’éphémère.”
In Utero
En rentrant du Congo, en avril 2021, Kobo jette donc les morceaux qui avaient déjà été entamés avant la pandémie, et se lance dans un nouveau chantier. Le résultat constitue son second album. Disponible dès ce vendredi, il a été baptisé Anagenèse. “À l’origine, le mot grec signifie “renaissance”. Mais en biologie, il désigne la transformation lente d’une espèce, tandis qu’en physiologie, ça correspond plutôt à la régénération des tissus détruits. Ça collait bien aux trois thèmes principaux de l’album: la réparation, la transformation et la renaissance. C’est un processus thérapeutique, j’essaie de me soigner à travers la musique.” Loin de la pression du business, Kobo a retrouvé le plaisir de se plonger dans son art. “La vie est belle/pourquoi la gâcher à courir derrière le succès?”, rappe-t-il ainsi sur Movie.
Tous les tourments et les remous intérieurs ne sont pas évacués pour autant. Anagenèse reste un album plutôt sombre. Avant l’éclaircie, Kobo évolue au cœur de la tempête. À l’image du premier single, l’étonnant Fucked Up et sa guitare métal saturée. “Sur l’album, le morceau arrive juste après l’intro. Il représente la violence de la naissance, la transition d’un univers paisible et solitaire, dans le ventre de la mère, vers un monde plus brutal et violent où il va falloir lutter.” Voilà pour la vision d’ensemble, pas franchement optimiste, voire carrément misanthrope. Elle zappe les grands messages politiques ou les références précises à l’actualité, comme par exemple le renouveau de Black Lives Matter -“Quand vous venez d’Afrique, en particulier d’un pays comme le Congo, BLM, c’est tous les jours, pas besoin d’un mouvement ou d’un hashtag viral pour vous le rappeler”. À la place, Kobo a préféré se montrer plus personnel. Il y a quelques années encore, il se présentait le visage à moitié planqué. “Ici, je raconte l’histoire du mec derrière le masque”, ouvrant et fermant l’album avec des extraits audio de ses parents.
Musicalement, Anagenèse lance plusieurs pistes, proposant notamment l’un ou l’autre morceau plus directement inspiré par la rumba congolaise et, surtout, l’afropop nigériane, à l’instar de Mama, Liberté ou Âme sœur, en duo avec K.Zia. Ce dernier titre représente l’une des rares collaborations du disque, avec celle du trompettiste Rémy Béesau et de… Damso. Présent sur Fumée épaisse, le boss du rap made in Belgium est un proche. Kobo est d’ailleurs devenu la première signature de son label TheVie. “Sans lui, je ne me serais jamais lancé dans la musique. C’est lui qui a insisté, à un moment où j’étais encore dans mes “combines”. Il m’a expliqué que l’argent que je faisais dans la rue, je pouvais le gagner avec la musique, que j’avais du talent, une plume et une oreille.” Le patron a toujours raison…
Kobo, Anagenèse, distribué par TheVie/Universal. ***(*)
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