Kinshasa succursale: ce que la musique belge doit au Congo
Agitée, tourmentée, la relation entre le Congo et la Belgique est aussi complexe que touffue. Tentative de résumer une histoire musicale d’une richesse inouïe, remplie de tubes et d’expériences passionnantes.
Import-export (5/8): Chaque semaine de l’été, gros plan sur ce que la musique made in Belgium doit à ses communautés venues d’ailleurs.
New York, milieu des années 70. Dans son loft installé sur Broadway, David Mancuso a pris l’habitude d’organiser des soirées qui deviendront vite légendaires, avec ses mix improbables. Ce soir-là, il met la larme à l’oeil de plusieurs danseurs en glissant dans sa sélection un titre étrange, une musique religieuse venue d’ailleurs: la Missa Luba. Signé des Troubadours du Roi Baudouin, elle deviendra un classique du Loft. Et même au-delà: disque cité par Jimmy Page (Led Zeppelin) parmi les dix qui ont changé sa vie, il sera également mentionné par les Clash dans Combat Rock, tandis que Pier Paolo Pasolini utilisera le Kyrie et le Gloria dans L’Évangile selon Saint-Matthieu.
Le disque est l’oeuvre d’une chorale d’une quarantaine de jeunes chanteurs de Kamina, dans l’ancien Katanga. Le groupe a été fondé en 1955, à l’occasion de la visite du Roi Baudouin au Congo-Belge par le père Guido Haazen. Un esprit clérical assez ouvert pour admettre des rythmes africains traditionnels -alors encore souvent considérés comme impies- dans ses chants de messe en latin (en 1965, il quittera d’ailleurs les ordres). Le premier « tube » mondial congolais de l’Histoire est donc le fait d’une chorale locale, coachée par un missionnaire franciscain flamand. Difficile de trouver plus symbolique pour aborder l’enchevêtrement des relations belgo-congolaises…
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Entre les ex-colonisés et les ex-colonisateurs, l’histoire n’a forcément jamais été simple. Mais près de 60 ans après l’indépendance, l’axe Kinshasa-Bruxelles continue de vibrer avec une tonalité toute particulière. Même si chacun a pris ses distances, les échanges n’ont jamais cessé.
En 1975, par exemple, c’est à nouveau sur la piste de danse que cela se passe. Comme pour prolonger la messe du père Haazen, l’album de Black Blood débute également par une ode à Jésus (Jesus, He Is My Brother). Mais cette fois en mode disco. À la tête du groupe, il y a Steve Banda Kalenga, citoyen zaïrois, entouré de musiciens angolais. Ils chantent notamment Marie-Thérèse ou encore l’incroyable Avenue Louise. Mais c’est avec une face B qu’ils vont cartonner. Elle est signée Jean Kluger et Daniel Vangarde (le père de Thomas, moitié de Daft Punk), sous le nom des Yamasuki’s. A.I.E. (A Mwana), c’est son titre, a en effet été d’abord composé comme un pastiche asiatique. Trempé dans une sauce afrodisco à peine moins kitsch, Black Blood en fera un tube international, lui-même repris plus tard par les Anglaises de Bananarama…
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En fait, dès le début des années 50, musiciens congolais et belges se filent les bons tuyaux. En 1953, le jazzman Bill Alexandre débarque à Léopoldville (Kinshasa). À la tête de la CEFA (Compagnie d’Enregistrement du Folklore Africain), Bill Alexandre constituera un groupe dont fera partie notamment Augustin Moniania « Roitelet ». Surtout, cet adepte de Django Reinhardt, qu’il a pu accompagner sur scène, introduira la guitare électrique sur la scène congolaise -notamment auprès d’un certain François Luambo, alias Franco, futur pape de la rumba avec son TP OK Jazz. Encore aujourd’hui, du côté de Matonge, à Bruxelles, une photo d’une session d’enregistrement de l’époque -Alexandre, fine moustache, short et chemise blanc colonial, au milieu de ses musiciens congolais- est reproduite sur la vitrine du restaurant l’Horloge du Sud…
Récit afropéen
Ce ne sont que quelques rues, mais, encore aujourd’hui, Matonge, à Ixelles, reste le lieu de rendez-vous privilégié de la diaspora congolaise. Non seulement en Belgique, mais dans toute l’Europe. La position du quartier est stratégique. Situé pas loin de l’ambassade de la RDC, Matonge accueille aussi dès 1969 la Maison africaine, vers laquelle se dirigent la plupart des étudiants congolais. Une boîte de nuit jouera également un grand rôle dans la vie de Matonge. Chaussée de Wavre, le Mambo sera le phare des nuits kinoises made in Bruxelles. Ouvert par Henri Hockins Kadiebwe, il accueillera non seulement les Congolais de Belgique, mais aussi les dignitaires mobutistes de passage, et surtout les stars de la rumba.
Et puis, il y a naturellement la galerie d’Ixelles. Au début des années 70, avec l’inauguration de l’ensemble commercial de la Toison d’or, les commerces s’y vident petit à petit. La plupart des enseignes sont alors reprises par des Congolais, qui lancent cafés, épiceries et autres salons de coiffure. Bernadette Aningi fait partie de ces nouvelles « forces vives ». Elle est arrivée en Belgique au milieu des années 60, avec ses enfants, après que son mari, blanc, Cyrille Daulne, a été tué par des rebelles Simba. À Ixelles, elle lance rapidement son premier café. Marie Daulne, sa fille, se souvient: « Elle faisait partie de ce groupe de mamas qui ont commencé le commerce à Matonge. C’était à une époque où il n’y avait pas grand-chose pour les gens afro. Dans son établissement, rue de la Paix, elle passait donc de la chanson française, du disco, du funk mais aussi de la rumba congolaise, de la salsa, du merengue, etc. »
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Plus tard, Marie Daulne reproduira son propre mix avec le groupe Zap Mama. « Le projet est né d’un besoin de reconnaissance. Je voulais que cette vitalité, cette énergie que ma mère et ses copines déployaient soit représentée. Je voulais rendre visible un monde qui restait largement invisible, en passant par un média -la musique- qui n’impose rien, mais infuse lentement les esprits. » Marie Daulne constitue un groupe vocal délibérément féminin et métissé, « avec des Belges, des Congolaises, des Marocaines, etc., qui mélangeraient du lingala avec un oufti!, de l’anglais ou des mots arabes. » Inspiré notamment des chants pygmées, le premier album de Zap Mama sort en 1991, sur Crammed. Poussé par la vague « world music », il fait un carton. Deux ans plus tard, il bénéficiera même d’une édition américaine, chez Luaka Bop, le label de David Byrne. Il reçoit un nouveau titre: Adventures in Afropea, consacrant la vision d’un mix afropéen prônée par Marie Daulne.
L’album est en outre produit par Vincent Kenis. Quelques années auparavant, celui-ci participait déjà à la fusion d’Aksak Maboul et des Tueurs de la lune de miel, ou grattait la guitare sur le cultissime Noir et Blanc, de Bony Bikaye, Hector Zazou et CY1, avant de se charger plus tard d’enregistrer les secousses « tradimodernes » de groupes comme Konono n°1, Kasai All Stars ou encore Staff Benda Bilili. Un fameux CV…
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Des racines et des ailes
Est-ce que Pump Up the Jam est un morceau hip-hop? Un tube planétaire, cela ne fait aucun doute. Mais un titre rap? Pas vraiment. À l’instar du Mais vous êtes fous de Benny B, la composition de Jo Bogaert est d’abord un hit dance, sur lequel vient se greffer un phrasé rap. En l’occurrence, il est à mettre au crédit de Ya Kid K, alias Manuela Kamosi, une Belgo-Congolaise qui expliquera s’être notamment inspirée des stars congolaises de Zaiko Langa Langa (et de leur manière de prononcer le mot « pompe » en lingala). En 1989, quand sort le single, Kamosi devient ainsi la première pop star belge métisse. À ceci près: ce n’est pas elle qui apparaît sur la pochette et le clip, mais la mannequin Felly Kilingi. Sans doute « passe »-t-elle mieux que l’interprète originale et son look b-boy de garçon manqué… Dès la vidéo suivante -celle de Get Up (Before the Night Is Over)-, le « biais » est réparé: Kilingi ne fait plus qu’un caméo, laissant Ya Kid K prendre les commandes.
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L’anecdote en dit cependant beaucoup. Sans le vouloir, elle illustre bien la timidité avec laquelle les enfants de l’immigration congolaise vont monter dans le train hip-hop. Moins franchement en tout cas que les jeunes Belges ou Marocains. « Quand j’ai commencé, c’était très dur de rencontrer des gens issus des milieux congolais », explique notamment Pitcho. Né en 1975 à Kinshasa, Laurent Womba Konga de son vrai nom est arrivé en Belgique à l’âge de six ans. Avant de devenir acteur (notamment pour Peter Brooke) et metteur en scène, il a fait ses armes sur la scène rap bruxelloise, au sein du collectif Souterrain, avec son propre groupe Onde de choc, ou dans des projets comme Héritage. « Mais pendant très longtemps, je n’ai pas dit à ma famille que je faisais du rap. J’ai attendu que la télé s’en charge (rires). Vouloir devenir musicien n’était pas très bien vu, pour une immigration congolaise qui était d’abord le fait d’intellectuels, souvent persuadés qu’ils allaient rentrer rapidement au pays. » Que le hip-hop soit né dans la communauté afro-américaine du Bronx n’a pas forcément aidé. Que du contraire. « Il y a longtemps eu ce truc chez les musiciens africains de dire que le rap, « ce n’est pas à nous, cela ne nous concerne pas, on n’est pas des Américains ». Comme s’il y avait une espèce de noblesse à préserver, celle d’être d' »authentiques » Africains. » Paradoxalement, c’est pourtant via le rap US que Pitcho va découvrir un certain nombre de héros panafricains -de Lumumba à Thomas Sankara…
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C’est que, de par sa nature même, le hip-hop est fait d’aller et retours, d’échanges et d’emprunts. À la fois « chaîne d’info » et divertissement, il est autant un récit collectif qu’une narration personnelle. La démarche de quelqu’un comme Baloji, par exemple, suit à peu près ce même schéma. Né à Lubumbashi, arrivé gamin en Belgique, il a fait ses armes au sein du groupe liégeois Starflam -auteur du premier disque d’or du rap belge-, avant de filer en solo. Sur ses trois albums perso, le rappeur passe son temps à disséquer les liens entre Belgique et Congo, en évoquant notamment son propre parcours chahuté.
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C’est aussi, pour tout ou partie, la démarche de rappeurs comme G.A.N. (ex-Gandhi) ou encore Badi, qui n’hésite pas à se dire belgicain, « soit 100% belge, 100% congolais ». Et puis, il y a évidemment le cas de Stromae. Certes, Paul Van Haver est métisse belgo-rwandais. Mais il n’a jamais caché son attirance pour la culture congolaise. La preuve avec le tube Papaoutai dont le fameux riff de guitare est signé Dizzy Mandjeku, héros de la rumba, qui a notamment officié au sein de l’orchestre OK Jazz, avant de tourner aujourd’hui avec Baloji.
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Que Stromae ait bouleversé le visage de la pop francophone est une évidence. On sait aujourd’hui qu’il aura débloqué également toute la scène hip-hop locale. Un paysage rap où, cette fois, les artistes aux racines congolaises sont omniprésents. Caractéristique de cette nouvelle génération: une capacité à revendiquer à la fois son héritage familial et son ancrage belge. Né William Kalubi à Kinshasa, la superstar Damso peut rapper à la fois le titre Bruxelles Vie et Kin La Belle. On peut encore citer Isha (243 Mafia, référence au préfixe téléphonique de la RDC) ou la révélation Kobo, qui a notamment été tourner le clip de Nostalgie/Succès dans la capitale congolaise. Pareil chez les filles avec Coely, Lous & The Yakuzas ou encore Shay. Sur son dernier album, elle chante notamment BXL, « mon beau rivage, Porte de Namur, quartier Matonge ». C’est là que Vanessa Lesnicki de son vrai nom est née et a grandi. C’est aussi là que son grand-père congolais est mort en 2013. Son nom? Tabu Ley Rochereau, l’un des géants de la rumba…
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1960. Alors que la délégation congolaise négocie l’indépendance du Congo avec la puissance coloniale belge autour d’une « table ronde », Grand Kallé enregistre avec son groupe African Jazz le morceau Indépendance Cha Cha, à Bruxelles même. Citant les principaux négociateurs et futurs dirigeants du pays (Joseph Kasavubu, Patrice Lumumba…), le titre reste aujourd’hui encore une sorte d’hymne officieux du géant africain.
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Cinquante ans plus tard, Baloji le réinterprétera à sa manière. En 2010, le rappeur liégeois décide en effet de partir à Kinshasa pour enregistrer de nouvelles versions de plusieurs titres de son premier album solo Hotel Impala (dont Tout ceci ne vous rendra pas le Congo). Dans la foulée, il y glisse également Le Jour d’après/Siku You Baabaye, qui revient sur le morceau de Grand Kallé. Le riff de Dr Nico est toujours là, mais le ton a changé. Critique, le rappeur interroge désormais le demi-siècle de souveraineté retrouvée – » Mon pays est un continent émergent/bâti en moins de 50 ans« .
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