Keiki: quand pop sataniste et groovebox rencontrent une étrange indifférence

Keiki © PG
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

À l’occasion du lancement de l’application Belgium Underground et en collaboration avec PointCulture, Focus revisite durant 10 épisodes l’histoire de 10 albums marquants même si parfois méconnus de l’underground belge. Chanson française, synth-pop, électronique de salon, post-rock et garage-punk mélodique au menu. Épisode 4: Waltham Holy Cross de Keiki, sorti sur Cheap Satanism Records en 2009.

Selon Vincent Satan, l’inénarrable patron du label bruxellois Cheap Satanism Records, il se serait en tout et pour tout vendu moins de 50 exemplaires de Waltham Holy Cross. Comme quoi, les pactes avec le Diable ne sont plus ce qu’ils étaient… Cet album, le deuxième du duo Keiki, aurait pourtant pu cartonner, basé sur une formule simple qu’il est permis de malicieusement résumer comme le résultat de la rencontre d’une PJ Harvey anderlechtoise très portée sur les textes surréalistes et des Beastie Boys de l’album Licensed to Ill (1986); quand les New-Yorkais n’étaient encore qu’un trio de sales gosses martyrisant leurs guitares heavy et cette groovebox responsable de la rythmique basique, sale et rentre-dedans de leurs premières productions. Peu importe ce pitch intriguant, le public s’en est donc foutu. Et continue de s’en foutre. « Keiki n’a pas splitté mais il faut avouer que j’ai connu un certain découragement après de trop nombreux concerts devant trois personnes, explique Dominique Van Cappellen-Waldock, la PJ Harvey en question. Malgré d’excellentes chroniques, Keiki est resté incompris. Je me souviens d’une date à Lons-Le-Saunier où le public a quitté la salle au début de notre set. Il ne restait plus que 2 copains et un enfant (rires). Les gens sont revenus pour le groupe suivant, un clone de Motörhead. Chez nous aussi, il y avait pourtant l’influence de groupes comme Motörhead, Venom et Black Sabbath. Mais c’était plus digéré et les gens ne l’ont pas forcément capté. »

Les critiques, eux, n’ont souvent pas capté de différence fondamentale entre Keiki et The Kills, auquel le duo a souvent été comparé, évidemment à tort (une femme, un guitariste, une boîte à rythmes, forcément…). C’est un petit peu plus compliqué, moins modasse surtout. Il y a donc chez le duo belge une influence punk et métal mais aussi une tentative de rendre pop des textes un peu barjos et d’oser inviter des instruments inattendus dans leur configuration très minimale, comme par exemple le thérémine, un antique bidule électronique aux sons fantômatiques. Leur différence, c’était aussi leur âge, les Keiki étant tous deux plus vieux et beaucoup plus expérimentés que les petits groupes en jeans slims et bonnets noirs lancés à l’époque. Durant les années 90, Raphaël Rastelli, le guitariste, fit ainsi partie du groupe Les Jeunes, issu du collectif La Famille. « C’était une sorte de collectif – mais on n’utilisait pas ce mot-là à l’époque – informel qui rassemblait un nombre variable de groupes rock/punk/alternatifs et électro/indus/EBM, se souvient Dominique Van Cappellen. Stylistiquement, s’y retrouvaient tous ceux en marge de ce qui pouvait, à priori, être considéré comme « vendable » par une maison de disque. À la base, le collectif était assez large mais tournait, de fait, autour de quelques groupes plus actifs que d’autres: René Binamé et les Roues de Secours, Coton Tige, Esgibt! Truncheon, Noise Gate, Les Brochettes, Les Jeunes et Vlot Vooruit. L’idée de départ était de s’entraider à vivre nos trips musicaux respectifs en se passant des structures professionnelles, comme les labels ou les bookers qui, de toutes façons, étaient à cette époque pratiquement inexistants en Belgique et/ou n’auraient pas voulu de nous. »

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Dominique Van Cappellen et Raphaël Rastelli se rencontrent au milieu des années 90 et lancent plus d’un groupe ensemble: Nutshell, puis Naifu et, dans la foulée, Keiki. « Nous avons compris très vite que les acteurs du milieu rock/pop bruxellois faisaient leurs petites affaires entre eux et poussaient leurs poulains, essentiellement des groupes qui faisaient du sous-dEUS, du sous-Oasis et du sous-Grandaddy, se souvient-elle. C’est à cette époque que j’ai aussi rencontré des anciens membres de Crass, le légendaire collectif punk britannique et ça a renforcé mon envie de complètement fonctionner en mode DIY. Avec Naifu, nous avons rejoint le collectif anversois Rarefish et organisé des concerts ensemble. C’est lors du deuxième festival Rarefish aux Ateliers Claus que je me suis liée d’amitié avec le groupe américain Bee and Flower, qui m’a fait rencontrer leurs amis Enablers. Grâce à eux, Keiki a été invité à jouer à San Francisco, Oakland et Los Angeles. Je me souviens d’une date à Korea Town, un quartier de Los Angeles, où a débarqué un public mixte, dont un gars qui portait un t-shirt The Offspring. Dans ma tête je me suis dit « hé merde… » mais en fait ils ont adoré. Je continue à croire que Keiki aurait pu connaître un certain succès en Grande-Bretagne et aux USA, où les amateurs de musique ont des goûts plus éclectiques, moins sectaires. »

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C’est que Keiki a en fait connu un véritable lancement de fusée Ariane du rock belge. La pochette de Waltham Holy Cross, un collage de l’artiste Gélise, proche de La Famille, a ainsi été refusée par iTunes. « On n’a jamais su si c’était à cause de la paire de fesses de la fille ou des couilles du kangourou », en rigole encore Vincent Satan, dont c’était aussi la toute première sortie du label. « J’étais à l’époque très naïf, se remémore-t-il, sarcastique. Je pensais qu’il suffisait d’envoyer les disques à la presse pour qu’il soient chroniqués et je n’ai appris que bien plus tard que pour avoir des chroniques dignes de ce nom, il faut engager des attachés de presse qui harcèlent les journalistes ou graissent la patte de certains. Quelle désillusion (rires). J’ai aussi organisé un concert de Battant, un groupe alors assez hype, avec Keiki en première partie, pour leur donner de la visibilité. Le raisonnement était d’autant plus con de ma part qu’en tant que spectateur, je m’en suis toujours foutu des premières parties (rires). Bref, j’ai organisé un concert avec Battant en tête d’affiche et ça a été un beau fiasco, avec seulement 30 tickets vendus alors que j’avais très mal négocié le cachet, ce qui m’a donc finalement coûté un pont. »

Finalement, comme souvent dans l’underground belge, récent du moins, un projet suit l’autre, les échecs sont encaissés sans trop de douleur et tout le monde passe à autre chose ou continue de creuser. Dominique Van Cappellen: « Keiki est le seul de mes projets dans lequel il y a de l’humour, dans lequel je me permets une certaine excentricité, que ce soit dans les textes ou la musique. Mais Raphaël Rastelli et moi souhaitions aussi rejouer avec un batteur, dans un projet doom et post-metal. Nous avons donc fondé von Stroheim et délaissé Keiki. Et avec von Stroheim, nous arrivons à attirer le public au lieu de le faire fuir (rires). Cela dit, nous avons presque assez de morceaux enregistrés pour un nouvel album de Keiki et si on nous invite à jouer, il y a des chances que nous acceptions. »

En attendant, l’infatigable chanteuse aux multiples projets est désormais surtout suivie au sein du trio Baby Fire, qui ne fait pas fuir grand-monde non plus, avec Isabel Rocher à la batterie et Gaby Séguin à la basse: « Baby Fire a pris une couleur post-punk au fil des ans, principalement suite à la production du deuxième album par Tony Barber, un ex-membre des Buzzcocks. Là, nous venons d’enregistrer notre troisième album. Il a été produit par Pierre Vervloesem, coproducteur du premier album de dEUS et il sortira à l’automne. » Une certaine idée de l’underground, donc. Cumuls. Réseaux. Famille.

Belgium Underground, la nouvelle application de PointCulture, est disponible sur iOS et Android. Infos et téléchargement: www.belgium-underground.be

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