Julie Ackermann: “L’hyperpop est une pop extrême pour des temps extrêmes”

Dorian Electra, icône hyperpop. © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

C’est l’un des livres les plus stimulants sortis cette année. Avec Hyperpop – la pop au temps du capitalisme numérique, Julie Ackermann pose un regard aussi critique que passionné sur l’un des derniers courants musicaux vraiment novateurs.

Née au début des années 2010, sur le Net,  l’hyperpop consiste -comme son nom l’indique- en une version maximaliste de la pop. L’idée? Singer les codes du mainstream pour mieux le faire imploser. La démarche n’est pas sans ambiguïtés, l’hyperpop revendiquant à la fois sa sincérité et le droit à l’artifice; moquant le néo-libéralisme digital tout en devant son nom à une playlist d’un géant suédois du streaming… Une ambivalence qui a encore pris une autre dimension en 2024, avec la sortie en grandes pompes de l’album posthume de Sophie, icône du genre, et, surtout, le couronnement de Charli XCX, it girl hyperpop devenue superstar globale.  

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Comment définir l’hyperpop ?

Le plus simple est de la décrire comme une vision extrême de la pop. Il faut imaginer par exemple une version de Britney Spears en accéléré ou sous stéroïdes. Pour aller un petit peu plus loin, on peut dire que c’est un genre qui prend les motifs caractéristiques de la pop dominante -les mélodies accrocheuses, les productions très lisses, l’esthétique glamour, ses obsessions pour la jeunesse-, et qui va les pousser à l’extrême. Cela étant dit, l’hyperpop n’est pas pour autant une simple satire. Elle revendique aussi une certaine sincérité.   

C’est ce que vous appelez la post-ironie?

Oui. Pendant longtemps les artistes critiquaient le monde en posant sur lui un regard ironique. Au fil du temps, on a toutefois bien dû se rendre compte que cette tactique ne marchait plus du tout, parce qu’elle était systématiquement récupérée par ce qu’elle critiquait: les multinationales, l’économie néolibérale, les grandes marques, etc. En ce sens, la post-ironie entend renouer avec une forme de sincérité. Même si cette ambition n’est pas évidente. Notamment parce que l’environnement digital est complexe et comporte énormément de couches de sens…

Quelles sont les caractéristiques purement musicales de l’hyperpop? L’utilisation de l’autotune?

J’aime bien voir l’hyperpop comme la rencontre entre un versant des musiques électroniques expérimentalesAphex Twin, Autechre, etc.- et la pop des années 2000 –Britney Spears, Ke$ha, etc. Pour parler de l’autotune en particulier, il intervient dans la fascination qu’ont les artistes hyperpop pour l’artificialité. Il y a l’idée qu’on peut être vraiment authentique en utilisant des artifices. Ce qui rappelle l’esthétique camp, qui n’hésite pas à se maquiller, se travestir, pour exprimer qui on est vraiment. À cet égard, l’autotune est utilisé comme une espèce de make-up camp, mais à la sauce digitale. En soi, la technologie n’est pas propre à l’hyperpop -elle est utilisée à peu près partout aujourd’hui. C’est l’usage qu’elle en fait.

C’est-à-dire?

De base, l’autotune a été imaginé pour lisser et corriger les voix. Grâce à l’autotune, n’importe qui peut chanter juste. Dans l’hyperpop, il va plutôt servir à brouiller l’identité de l’artiste, notamment le genre de sa voix. Ou flouter la frontière entre voix humaine et robotique, entre voix humaine et  animale. En gros, il va introduire une sorte de confusion dans des divisions qui régissent le monde depuis longtemps. Comment? À nouveau en exagérant les sonorités. Par exemple, une artiste comme Hannah Diamond va utiliser l’autotune pour créer des voix hyper féminines, à tel point qu’elles ne le sont quasi plus. Un autre artiste non-binaire, Dorian Electra, va pouvoir changer de genre d’une chanson à l’autre, voire au sein d’un même morceau. De la même manière, le pitch (la hauteur tonale, Ndlr) va être également utilisé pour augmenter les aigus. Là aussi pour brouiller les repères. On ne sait plus s’il s’agit d’un homme ou d’une femme qui chante. Voire un bébé -on parle souvent de baby voice pour ces voix hyper pitchées. À nouveau, c’est une manière d’un peu casser la connexion entre la voix et le corps -auquel, a fortiori dans la pop, les artistes sont souvent reliés. On ne sait pas toujours bien qui chante. Mais on s’en fiche. L’idée est que la voix est un endroit où l’on peut créer de toutes pièces de nouvelles identités temporaires.

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Ce floutage des genres fait-il de l’hyperpop une culture queer?

En tout cas, c’est important de rappeler que l’hyperpop est née dans cette culture. C’est vrai qu’aujourd’hui le visage mainstream de l’hyperpop est celui de Charli XCX. Une artiste qui a toujours eu un gros public queer. Mais qui est une femme cisgenre et hétérosexuelle. Par contre, si l’on s’attarde sur ceux qui ont posé les bases du courant, c’est difficile de ne pas relever une surreprésentation des personnes queer ou transgenres par rapport à d’autres styles musicaux. Je pense évidemment à une artiste comme Sophie ou Laura Les du duo 100 Gecs. Si l’on regarde l’histoire du label PC Music, elle s’est construite également en s’appuyant sur une communauté très queer.  Un peu à l’instar du disco qui est né dans des cercles gay, avant de devenir hyper populaire.

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La popularité de l’hyperpop s’est accélérée avec la pandémie. Pourquoi?

Avec ses morceaux hyper actifs, l’hyperpop restituait l’effet cocotte-minute qu’a produit le confinement chez beaucoup de personnes, cloîtrées chez elles. C’est aussi une période où le mouvement se « structure », et organise des fêtes en ligne, à un moment où tout le monde est devant son écran. Et puis, je crois aussi que c’est une musique qui reflète bien notre expérience d’hyper connexion: le fait d’avoir plein d’onglets ouverts, de sauter du coq à l’âne, etc.

Dans votre livre, vous faites le lien entre l’hyperpop et la pensée accélérationniste.

La philosophie accélérationniste part du principe que l’on vit dans un régime capitaliste dont il est impossible de sortir, puisqu’il a cette capacité de récupérer chaque critique. À partir de là, l’idée n’est pas de chercher la rupture mais d’intégrer le système et de le pousser jusqu’à ses limites. C’est une posture politique. Mais on peut la transposer à la musique. Au lieu d’aller au front -par exemple en créant une musique très calme et atonale, qui renouerait avec des instruments acoustiques et un imaginaire pastoral-, la stratégie est d’intégrer le format pop qui peut parler à un maximum de gens, tout en le dynamitant de l’intérieur, en le poussant dans ses retranchements. Cette stratégie a évidemment ses limites. Quand Charli XCX sort une publicité avec H&M et Samsung, est-ce vraiment encore une critique du système? Même sous couvert de post-ironie? 

Julie Ackermann


© DR

2015 Publie son premier post Instagram

2018 Diplômée de Sciences Po

2019-… Écrit pour plusieurs catalogues d’art contemporain et différents magazines culturels (Mouvement, Les Inrocks, Beaux Arts Magazine, Antidote ou encore Audimat) 

2024 Sortie de Hyperpop – La Pop au temps du capitalisme numérique, chez Façonnage éditions

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