Jazz: le retour aux sources de Roberto Fonseca

Roberto Fonseca, ambiance cabaret tropicana. © ALEJANDRO AZCUY
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Pianiste jazz virtuose, Roberto Fonseca revient à ses racines, avec La Gran Diversión, plongée rétro dans l’âge d’or des musiques afro-cubaines.

C’est tout sauf un scoop: ces dernières années, les musiques latinos ont le vent en poupe. Surtout via le raz-de-marée reggaeton (le Colombien J Balvin, le Portoricain Bad Bunny). Mais pas seulement (la chanteuse r’n’b américaine Kali Uchis, dont le prochain album sera à nouveau entièrement en espagnol). Dans ce grand redéploiement géopolitico-musical, il existe cependant un grand absent: Cuba.

Tout se passe comme si l’énorme influence musicale de l’île -de la salsa au mambo en passant par le son, la rumba, etc.- s’était dissipée. Comme évanouie dans l’air. Le soft power made in La Havane semble ainsi s’être réduit à peau de chagrin, résumé à des clichés de cartes postales. Rencontré dans un hôtel de Bruxelles, Roberto Fonseca ne dira pas vraiment le contraire. “À La Havane, vous avez des endroits spécialement destinés aux touristes. Vous voulez écouter le Buena Vista Social Club? Pas de souci, on vous emmène (même si ses principaux héros sont décédés depuis un moment maintenant, NDLR). Vous voulez entendre du son montuno? Aucun problème, même si, dans les faits, la musique proposée est beaucoup plus rapide.

Est-ce pour cela que le fameux pianiste cubain s’est replongé dans ses racines? Sur son nouvel album La Gran Diversión, Roberto Fonseca célèbre en effet les musiques afro-cubaines traditionnelles qui ont fait la renommée de l’île.

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Baptême hollywoodien

Roberto Fonseca, 48 ans, a été à bonne école. Son père, Roberto Fonseca Sr., était batteur, et sa mère, Mercedes Cortés Alfaro, une célèbre chanteuse cubaine. Après ses premiers albums à la fin des années 90, il s’est aussi retrouvé à jouer avec le… Buena Vista Social Club. “La première fois que je suis monté sur scène avec eux, c’était au Hollywood Bowl! Dans les coulisses, il y avait Dustin Hoffman, Andy Garcia, etc. Vous pouvez imaginer le stress. En première partie jouait d’abord Chucho Valdés, puis arrivait Rubén González, et seulement ensuite le reste du Buena Vista Social Club. Les gens se demandaient qui était ce jeunot au milieu de toutes ces légendes. J’avais même un solo. Après le concert, tout le monde m’a dit que j’avais assuré, mais honnêtement, j’étais tellement nerveux que je n’avais plus aucune idée de ce que j’avais joué.” Fonseca accompagnera le groupe pendant cinq ans. Il deviendra même le directeur musical d’Ibrahim Ferrer sur ses derniers disques.

Dans le même temps, le pianiste prendra également soin de ne pas se laisser enfermer dans la case Buena Vista Social Club. Réputé dans les cercles jazz, il a touché au hip-hop, au rock, à la drum’n’bass, au reggaeton, aux musiques électroniques, au classique; frayé aussi bien avec le DJ anglais Gilles Peterson qu’avec la Malienne Fatoumata Diawara ou le Franco-Libanais Ibrahim Maalouf. Vingt ans après ses débuts, il était cependant temps de revenir aux sources.

Bienvenue à la maison

Mes parents m’ont toujours fait écouter plein de musiques différentes. Aussi celles de Cuba évidemment. Mais plus jeune, je ne m’y intéressais pas plus que ça. J’étais surtout dans le jazz. J’écoutais beaucoup de be-bop, avec tous ces soli virevoltants, plein de notes. Du coup, j’avais tendance à trouver que les musiques afro- cubaines étaient un peu trop “pépères” (rires), assez simples à jouer. Comme j’avais tort! Un jour, je suis tombé sur No Me Llores Más, d’Arsenio Rodriguez. Et j’ai découvert le solo de piano le plus incroyablement brutal que j’avais jamais entendu de ma vie! J’ai compris à quel point je m’étais planté et combien je devais chérir le patrimoine musical de mon pays.

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Ce qu’il fait avec La Gran Diversión, disque qui plonge non sans gourmandise dans les musiques afro- cubaines pré-révolutionnaires. Avec donc un certain parfum vintage, dont il ne s’éloigne que rarement (Mani Mambo). Mais sans “essayer non plus de passer pour un Buena Vista Social Club n°2, insiste Roberto Fonseca. J’aurais pu faire un disque de reprises de Dos Gardenias, Chan Chan, etc. J’aurais probablement gagné beaucoup d’argent. Mais ça ne m’intéresse pas. La musique que le BVSC a créée est magnifique, d’une puissance phénoménale. Mais je veux proposer un autre voyage, jouer mes propres compositions.

Safe place

Sur La Gran Diversión, elles passent d’une salsa pétaradante en format big band (Cuando Tú Bailas Pa Mí) à des couleurs plus mélancoliques (Mercedes). La grande réussite de l’album étant de jongler de l’un à l’autre avec une fluidité et un naturel confondants, célébrant une tradition sans jamais donner l’impression de faire le moindre effort.

À cet égard, le titre de l’album -que l’on pourrait traduire par Le Grand Divertissement- tient toutes ses promesses. “Nous, Cubains, avons la chance de pouvoir étudier la musique de manière approfondie, en travaillant aussi bien la musique classique occidentale que nos rythmes afro-cubains. Mais au-delà de la virtuosité, l’idée est toujours de créer un endroit où les gens se sentent bien. La Gran Diversión, c’est ça. C’est un endroit où vous pourrez à la fois vous détendre, mais aussi danser, rire, pleurer, réfléchir. Tout est lié au plaisir de la musique et du moment que l’on passe ensemble. Et en même temps, c’est mon album le plus personnel, parce que je vous raconte plein de choses sur ma vie.

Roberto Fonseca, La Gran Diversión, distribué par Wagram.

PARIS LATINO

Dans son hommage aux musiques cubaines, La Gran Diversión fait également un détour par… Paris. C’est en effet là que se trouvait le mythique cabaret La Cabane cubaine. C’est en 1931 qu’Eduardo Castellanos met la main sur l’établissement situé au 42, rue de la Fontaine. Il en fera rapidement un passage obligé pour tous les amateurs de musiques cubaines, et un refuge pour tous les exilés caribéens. “L’autre jour, j’étais à Montmartre, j’ai essayé de retrouver l’endroit. Il n’existe plus tel quel. Mais je voulais quand même le voir. Parce que ça reste un lieu mythique, où se pressait énormément de monde.” Léopold Senghor y venait souvent. Les surréalistes aussi. On y apercevait également des musiciens comme Cab Calloway ou Maurice Chevalier, ou des actrices comme Rita Hayworth. “Ce qui est drôle, c’est qu’au même moment, à La Havane, à côté du cabaret Tropicana, il y avait le Sans-Souci, le Montmartre, etc.

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