Serge Coosemans

Ivre, un fan d’Acid Arab et des Cheathas applaudit du folk londonien de série B

Serge Coosemans Chroniqueur

En vacances en Angleterre, Serge Coosemans n’a pas oublié d’y importer sa célèbre petite langue de pute. La preuve par ce résumé narquois d’une virée londonienne qui a vraiment beaucoup ressemblé à un trip saint-gillois. Sortie de route, S03E23.

Londres, mardi dernier. Au Spiritual Caipirinha Bar, sur Ferdinand Street, à Camden Town, on mélange une large rasade de Cachaça, une louche de sucre de canne et quelques cadavres de citrons verts à du jus de fruit sorti d’un Tetrapack et cela vous fait une Caipirinha. Pour la glace pillée, on repassera mais le patron vous accueille en vous serrant la main pour vous remercier d’être là. C’est donc approximatif et quasi dégueulasse mais servi très chaleureusement, ce qui résume bien l’ambiance générale. Le Spiritual Caipirinha Bar est en effet sombre, à moitié délabré, décoré de graffiti philosophiques, d’art naïf et de mobilier de brocante. Il est fréquenté par un public d’habitués, plutôt jeune, formé de quelques pétroleuses, du sosie irlandais de Jérôme Delvaux, de loquedus et de musiciens folk et country. Il y a aussi un poète au verbe plutôt trash doté d’un faciès et d’une carrure qui devraient en toute logique lui ouvrir un bel avenir dans Game of Thrones. Ce soir est un soir important pour toute cette clique: tous ensemble, ils ont participé à un petit film promotionnel d’une vingtaine de minutes qui présente ce qui pourrait être une « nouvelle scène » folk de Camden. Le résultat va être projeté pour la première fois « au public » et chaque musicien impliqué a été invité à ensuite jouer une ou deux chansons sur la petite scène du bistrot. Précisons que je suis là complètement par hasard. Avant tout en vacances et a priori, pas du tout en tant que blogueur, journaliste, chroniqueur ou whatever you call it. Au bar, ma compagne papote avec une amie qu’elle n’a pas vu depuis quelques mois et moi, je sirote tranquillement des bières en observant ce qui se passe, incapable de suivre la conversation puisque un poil assourdi par le brouhaha ambiant et la musique.

Des tréfonds du vacancier indulgent remontent bien vite les réflexes du journaliste musical hautain, narquois et méprisant, tant ce que je vois et entend me fait doucement ricaner. Déjà, je trouve le film en question plutôt bidon, du genre à donner des idées lumineuses à Fadila Lanaan. J’assume parfaitement mon snobisme et mes parti-pris et moi, quand on me parle de folk spirituel anglais, j’ai des frissons, je pense à Shirley Collins, à Nick Drake, à la bande originale du film Wickerman, celui avec Edward Woodward, pas l’infâme remake où Nicolas Cage se fait torturer par des abeilles. Ce sont là des choses que j’estime belles, hantées, ensorcelées, presque sacrées, et j’ai dès lors cette incompréhension d’illuminé religieux face au mécréant quand, plutôt que d’honorer cette merveilleuse tradition, ces jeunes mecs se mettent à se la jouer Bob Dylan (Llewyn Davis, plutôt) ou à chanter au premier degré des murders ballads de bouseux américains. Certains sont évidemment meilleurs, plus doués et sympathiques, que d’autres mais j’en viens vite à suspecter que ces échappés de La Petite maison dans la prairie partagent en fait tous l’immense prétention de penser incarner une certaine authenticité musicale, voire une forme de spiritualité compactée dans une musique qui combinerait émotions et intellect. Pour un résultat que je trouve, personnellement, aussi mal dosé que les cocktails au bar. Je suis cruel, je sais. Moins toutefois que lorsqu’il s’agit de parler de rock belge contemporain.

Car il faut bien reconnaître ce qui est: à un moment, on noie le sens critique dans l’alcool, d’autant plus que le folk et les bières ont toujours fait bon ménage, et on tape du pied comme tout le monde et on dit au poète qu’il finira vénéré comme le James Joyce de 2014 plutôt que comme un lointain cousin des Lannister dans la saison 5. Le Spiritual Caipirinha Bar, c’est l’équivalent du Dolle Mol à Bruxelles ou des Olivettes à Liège. Ces bouges n’ont tellement rien pour plaire qu’on les prend d’affection d’un coup inattendu, sans même s’en rendre compte. On peut en fait ici tout à fait appliquer la vieille rengaine comique des Internets: Ivre, un fan d’Acid Arab et des Cheathas applaudit du folk londonien de série B. Jusqu’à la fermeture. Pas bien grave car on trouve alors de quoi continuer la fête dans un grand bar dansant nommé Joe’s, sur Chalk Farm Road, sorte de cousin de La Maison du Peuple de Saint-Gilles. Il est une heure du matin quand on en pousse la porte et il est totalement blindé. Etudiants, filles-mères aussi hautes que larges, hooligans et le gay le plus extravagant de toute l’Angleterre y dansent frénétiquement sur de la soul vintage tandis que l’on se dope aux Jaggerbombs, infâme mélange de Red Bull et de Jaggermeister. Cela festoie donc ferme et je ne reprends mes esprits que le lendemain, dans un snack de luxe de Belsize Park, le coin où habitent Gwyneth et Jude, devant un burger carbonisé servi entre deux tranches d’éponge. J’ai la tête d’un sanitaire britannique et au moment de faire les comptes, on calcule non sans effroi que l’on a chacun dépensé pas loin de 100 euros de boissons. Tout cela pour une nuit aux plaisirs somme toute très provinciaux, anti-hype, pas du tout London Style. Mais un mardi. Hardcore jusque 3 plombes du mat. Prends ça, Ixelles!

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