It It Anita nous parle de « Sauvé »: « La plupart des textes sont teintés de ce nouveau monde qu’on nous impose »

Michaël Goffard (à droite) et It It Anita. Can't stop the noise... © Titouan Massé
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

It It Anita durcit le ton et sort avec Sauvé un album de noise à réveiller les morts.

La pochette de Sauvé est une aquarelle en noir et blanc du château de Laval. Elle est l’oeuvre d’un tatoueur qui l’a aussi dessiné sur chacun des It It Anita le jour où ils ont fini leur disque. C’est là-bas, dans la ville de naissance du Douanier Rousseau, d’Alfred Jarry et de Jacky Durand, que le groupe de rock wallon s’en est allé enregistrer son nouvel album en juillet et en août 2020. « On y a passé pas mal de temps, explique le chanteur et guitariste Michaël Goffard. À l’époque, les habitants de la Mayenne étaient un peu les pestiférés de France. Des gens arrachaient les plaques 53 des bagnoles. Genre: casse-toi, tu vas ramener la maladie à tout le monde. »

Michaël habite à Bombaye, dans la campagne liégeoise, à la frontière avec les Pays-Bas. Et s’ils sont partis bosser leurs chansons dans les pays de la Loire, c’est pour travailler avec Amaury Sauvé. Le mec qui a donné son nom à leur album. Recorded with John Agnello, Agaaiin (pour le bis repetita), Laurent (Eyen, qui a même sa tête sur la pochette)… It It Anita a toujours célébré dans le titre de ses disques ceux avec qui il les avait fabriqués.

« Je connaissais Amaury de nom et de réputation pour le groupe de son frère, Birds in Row, et le dernier Bison Bisou. C’est un gars qui a l’habitude de bosser dans les scènes hardcore et hurlante. Ça nous a fait du bien, je crois, de durcir un peu le ton. Son nom, Sauvé, était vraiment trop génial pour passer à côté dans cette période où tout était sombre et où on ne savait pas du tout où on allait. On n’aspire qu’à ça: être sauvé. Retrouver notre liberté. Je demande pas grand-chose. Ne serait-ce que sortir de chez moi et aller voir un concert. »

Sermonizer, Authority, Routine… Les noms des chansons résument plutôt bien l’année écoulée.  » On n’a pas arrêté de nous faire la leçon, de nous culpabiliser, de nous pister. Je voulais pas que ce soit négatif ou pessimiste mais le fait est que l’état d’esprit était pas joyeux joyeux. La plupart des textes sont teintés de ce nouveau monde qu’on nous impose. On espérait un truc meilleur. Le grand reset. Je me sens un peu floué… »

La pandémie a forcément modifié les plans et perturbé l’organisation mais les It It Anita avaient déjà décidé avant tout ce foutoir d’effectuer une vraie pause pour une fois. « Prendre six mois et bosser à fond sur le disque. On avait prévu début 2020 de répéter intensément et de dégrossir les maquettes que j’avais sur mon disque dur. Faire un tri. Voir ce qui fonctionne en groupe. »

Michaël, qui a écrit toutes les chansons, a pas mal avancé avec le batteur Bryan Hayart sur les maquettes chez lui et dans le studio de répète. « Quand je fais des voix à la maison, je gueule tout seul, avoue le père de famille. C’est toujours un peu gênant mais ça fait partie du process. »

Un carnet d’intention? Mike avait surtout envie de chansons. « Je suis assez attaché au format classique. J’ai l’impression que nos nouveaux morceaux sont un peu plus courts et directs. Que ce soit dans ce que j’écoute ou dans ce que je crée, j’aime pouvoir me raccrocher à une mélodie. C’était le cas avec Malibu Stacy. Et je pense que c’est aussi le cas ici. En plus gueulard, en plus rapide et en plus souillon. » À une petite ballade près (Authority), Sauvé est un album qui frappe, qui claque, gueule et matraque. Un défouloir tendu et bienvenu en ces temps d’enfermement continu.

It It Anita nous parle de

Physique et dissonant

Né en 1978, Michaël a un souvenir assez précis du moment où la noise lui est tombée dessus. « On avait acheté des tickets avec des amis pour Torhout Werchter. Notre pote s’est trompé de jour. Et on s’est retrouvés devant un concert de Sonic Youth. Je ne connaissais que de nom via Nirvana. J’avais un CD gravé de Dirty mais je n’avais jamais pris la peine de l’écouter. Après, malgré ce côté foutoir et expérimental, c’est un groupe avec des putains de mélodies. »

Dans la musique bruitiste, le chanteur et guitariste trouve un exutoire. « Parfois, quand je vais à une répète, j’ai l’impression, d’aller faire mon sport. C’est physique. » Il a aussi un faible pour les choses qui dissonent et l’aléatoire.  » Je ne suis pas du tout un grand guitariste ou un grand technicien, mais j’aime passer du temps avec un instrument. La guitare est un chouette compagnon. » Même s’il reste une musique de niche en Belgique comme en France et si sa formule ne sera jamais à ses yeux vraiment révolutionnée, le rock bruitiste a selon Michaël, de belles heures devant lui. « En Wallonie, ça reste très confidentiel. Je pense à Cocaine Piss, The K. Chez les Flamands, à Raketkanon et Korsakov. J’ai l’impression qu’il y a davantage de gens intéressés par ce genre de musique au nord mais ce n’est peut-être qu’un sentiment. Il y a plus de jeunes à nos concerts en France qu’en Belgique en tout cas. Plus d’argent aussi. Tu peux arriver dans des bleds pourris avec des salles de malade et dix salariés. C’est un choix politique. Après, pas mal de jeunes qui font un truc couillu avec des guitares y ont accès. On a partagé des dates avec Lysistrata. On jouait tous les soirs devant 400 ou 500 personnes. Ce qui est quand même pas mal pour ce genre de musique. Puis, c’est grand la France. Tu peux donner 40 concerts sans jouer devant les mêmes. »

Slift, Équipe de foot, The Psychotic Monks… Il sent le vent bruyant du renouveau. « Je constate depuis deux ou trois ans un retour des groupes à guitares énervés. Peut-être que le confinement, le bouillonnement, le fait que le gens soient chez eux, qu’ils aient juste envie de sortir et de gueuler, va accentuer ce retour à des choses plus dures qui étaient un peu passées aux oubliettes et par ailleurs les populariser. » C’est tout ce qu’on leur souhaite…

Sauvé, distribué par Vicious Circle/Luik Music. ***(*)

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