Introuvable depuis 40 ans, la bossa nova en wallon de Guy Cabay retrouve une seconde vie!

Fin des années 70, Guy Cabay donne l’accent wallon à la bossa nova brésilienne. © MARCEL VANHULST
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

De la bossa nova en wallon? Oufti, oui! Plus de 40 ans après leur sortie, le label parisien Tricatel publie une compilation irrésistible des deux premiers albums de Guy Cabay, le “plus carioca des Verviétois”.

Guy Cabay n’en revient toujours pas. À 73 ans, le musicien vibraphoniste jazz, retraité du conservatoire de Bruxelles, et musicologue spécialiste des musiques médiévales du XVe siècle, enchaîne les interviews. Non pas qu’il n’a jamais pratiqué l’exercice. “Le Vif? Ah oui, j’ai déjà été interviewé par votre magazine. En 1986. Pour un disque super avec Toots Thielemans, Michel Herr, BJ Scott, etc. Mais cela n’a pas intéressé grand-monde…

Trente-sept ans plus tard, Guy Cabay repasse par la case médiatique. Mais cette fois, le sort pourrait lui être plus favorable. Notamment parce que son Cabaycédaire est distribué par Tricatel, le label de Bertrand Burgalat. Fan d’objets musicaux non identifiés, le Français a compilé les deux premiers albums de Guy Cabay. On y trouve notamment le cultissime Pôve tièsse. Vous cherchiez toujours désespérément le tube de l’été? Normal. Vous ne pouviez pas vous douter que le candidat le mieux placé pour le titre était un morceau de 1978. Ni imaginé qu’il s’agissait d’une bossa nova en… wallon.

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Quelle histoire!”, se marre Guy Cabay. Elle démarre précisément en 1950, du côté de Polleur, près de Verviers -il y vit toujours. Ado, Guy Cabay tombe dans le jazz. “Tous mes amis étaient fans des Beatles, des Stones, de Johnny. Moi j’écoutais Nat King Cole et Ella Fitzgerald!” Le rebelle apprend à jouer, en autodidacte. Et se retrouve bientôt à accompagner les Pelzer, Thomas, et autres fines gâchettes de l’époque.

Bossa sauce lapin

Et puis, un jour… “J’effectuais mon service militaire, quand j’ai reçu un coup de fil de Françoise Lempereur, une camarade de l’université.” Celle qui est alors devenue responsable des émissions dialectales de la RTBF lui demande s’il ne veut pas écrire deux chansons pour un concours que la chaîne veut relancer. “Mais modernes!”, précise-t-elle. Guy Cabay s’exécute et file les deux titres à un interprète. “Mais les gens n’ont pas aimé. Pour beaucoup, c’était un sacrilège!” Cela ne l’empêche pas de récidiver l’année suivante. Mais cette fois, il prend lui-même le micro. “Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie!” L’accueil du public est toujours aussi glacial. “Mais je me suis pris au jeu…

Fin des années 70, Guy Cabay donne l’accent wallon à la bossa nova brésilienne. © National

Guy Cabay lorgne alors les sonorités brésiliennes. “Parce que, dans ces années-là, si vous vous intéressiez au jazz, vous écoutiez forcément de la bossa nova.À la manière d’un Pierre Barouh wallon, il fond pour la musique de Chico Buarque, João Gilberto, Astrud Gilberto…

La liaison entre Liège et Rio est particulièrement fluide. Pour l’auditeur qui ne maîtrise ni le wallon ni le portugais, c’est à s’y méprendre. “Un jour, au conservatoire, j’ai fait écouter l’un de mes morceaux à mes étudiants, dont un Brésilien. Il lui a fallu cinq minutes pour comprendre que ce n’était pas du portugais: “Vous avez bien failli m’avoir!”” (rires).

Guy Cabay chante le wallon liégeois, “qui est un peu le wallon littéraire, la langue du théâtre. Enfin, je dis ça, mais je parle plus précisément le wallon de Verviers, qui n’est pas tout à fait le même qu’à Liège, et qui est encore différent de celui de Stavelot ou Visé.” Dans tous les cas, l’effet est troublant. “Le français groove aussi, regardez Nougaro. Mais c’est vrai que le wallon ne subit pas autant la tyrannie de l’accent tonique sur la dernière syllabe. Et puis, il y a beaucoup plus de possibilités d’élision.

Saudade écolo

À sa sortie, en 1978, le premier album autoproduit de Guy Cabay réussit à trouver un premier public. Pôve tièsse passe même à la radio. Plusieurs labels français se montrent intéressés. Mais Guy Cabay signe avec le mauvais… Ses disques de latin jazz en wallon ne seront jamais publiés à grande échelle. Hormis une réédition au Japon, le musicien va devoir attendre plus de 40 ans pour que ses premiers morceaux retrouvent enfin la lumière, grâce à Tricatel.

Cabaycédaire reprend sept morceaux de l’album Tot-a-fêt rote cou-d’zeûr cou-d’zos (1978), et cinq autres de Li Tins, lès-ôtes èt on pô d’mi (1979). De quoi parlent-ils? Raccord avec une époque qui commence à s’éveiller aux enjeux environnementaux, la saudade de Guy Cabay évoque le règne de la voiture toute-puissante (Li sabat d’sinte mère l’oto), la pollution (Tot-a-fêt rote cou-d’zeûr cou-d’zos). Et en général d’un monde en train de disparaître. Celui par exemple de la langue wallonne? En 1983, Guy Cabay signait le Manifeste pour la culture wallonne. Un brin cocasse, pour celui qui n’a jamais mieux défendu un patrimoine qu’en passant par un autre? Guy Cabay semble tomber des nues: “Maintenant que vous le dites, c’est vrai! Il y a quelque chose de paradoxal! D’ailleurs, au départ, Pôve tièsse, on ne pensait pas le mettre sur le disque. C’était trop différent. Mais finalement, c’est celui qui marche le mieux.” CQFD…

Guy Cabay, Cabaycédaire ****, édité par Tricatel.

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