Hamza en maître saucier, King Gizzard en version orchestrale, ou encore les nouveaux albums de Yaya Bey ou U.S. Girls. Zoom sur les disques du moment.
1. Hamza – Mania
Il y a tout juste 10 ans, Hamza sortait H-24, le projet qui allait lui permettre de fracturer la porte du rap francophone. Il était notamment porté par La Sauce. Un single qui le posait en rimeur salace et misogyne, moitié mac moitié dealer, mélangeant convulsion trap et vibes R&B. Une décennie plus tard, celui qui est devenu l’une des têtes d’affiche francophone, sort le très attendu Mania. Le titre Kyky2Bondy a préparé le terrain, nouveau tube à ajouter à une impressionnante collection. Désormais, « fini de détailler les barrettes ». Hamza inverse même les rôles, toujours branché sexe mais laissant le lead à ces dames – « Elle rackette un rappeur tous les samedis ». De là à dire que le Bruxellois chamboule son univers, il y a un pas.
Deux ans après le carton de Sincèrement, et après s’être essayé à plusieurs formats, Hamza a surtout à cœur d’affiner sa touche perso, plutôt qu’à la bouleverser. Il est ce top chef, maître saucier qui connaît parfaitement ses ingrédients et cherche à préciser toujours plus les équilibres entre douceur et amertume, sucré et salé. Porté par un spleen assumé, Mania n’est donc pas spectaculaire. Il met même du temps à vraiment démarrer. La touche eighties de Come & See Me allume la mèche, avec son sample de Double – aka Takako Hirasawa, pionnière japonaise du R&B -, clin d’œil d’un styliste majeur à une autre.
Plus loin, Hamza s’offre un duo avec la superstar nigériane Rema, et va piocher dans un titre de l’Américain Chris Brown, connu pour avoir la main leste. Le titre du morceau en question : Toxic… De son côté, avec sa prod afrobeats, Afri est calibré pour whiner en club. Malgré cela, de Slovakia à Yesterday, la mélancolie domine. En gueule de bois (Destiny), Hamza sort son album « blues ». Le crooning morose, mais aux inflexions toujours magnétiques, riches de mille détails. ● L.H.
Distribué par Just Woke Up. En concert le 6/07 aux Ardentes, le 20/07 à Dour, le 2/12 au Palais 12 (Bruxelles)
La cote de Focus : 4/5
2. King Gizzard and The Lizard Wizard – Phantom Island
Les années se suivent et se ressemblent. Mais pas les albums de King Gizzard and the Lizard Wizard. Rock indé, garage, prog, blues, country, électronique, jazz, métal, easy-listening, accords microtonaux et concepts écolos… La bande à Stu Mackenzie n’a pas attendu d’accéder au trône pour varier les plaisirs et faire ce que bon lui chantait. Se jouer des étiquettes et se balancer de liane en liane. Ce n’est pas avec son 27e album en quinze ans (ou quelque chose du genre) que les choses vont changer. L’éclectisme du Roi Gésier n’a d’égal que sa prolixité.
A la fois ambitieux, frais et orchestré, Phantom Island est là pour le prouver. En 2023, alors qu’il était en tournée aux Etats-Unis, le groupe australien a rencontré les membres de l’Orchestre philharmonique de Los Angeles dans les coulisses du Hollywood Bowl. Il n’en a guère fallu davantage à ces kangourous hirsutes pour sortir les grands moyens. Embaucher l’arrangeur britannique Chad Kelly qui les a aidés à terminer des chansons inachevées. Et déballer cuivres, bois et cordes pour accompagner ses mélodies enchantées.
On vous aura prévenus. Phantom Island est avec Paper Mâché Dream Balloon l’un des albums les plus pop de la clique. Il y a du Beatles et du Kinks, de la Blaxploitation (Phantom Island) et du rock à papa (Deadstick), une pointe de musiques du monde (Panpsych) et de science-fiction (Spacesick), un relent de Steven Tyler par-ci et de Prince par-là dans ces dix chansons lumineuses et solaires. Stu et ses sbires sont de sortie avec leur coupe d’été. Le genre de délicieuse surprise que réservent leur audace et leur refus du sur place. La tournée avec orchestre ne s’arrêtera pas en Belgique cette fois-ci, mais elle fera halte à Paris et aux Pays-Bas. Avis aux amateurs. ● J.B.
Distribué par p(doom) Records.
La cote de Focus : 3,5/5
3. Yaya Bey – do it afraid
Le courage, explique Yaya Bey, n’est pas l’absence de peur, c’est la capacité de l’affronter. En la matière, la chanteuse n’a jamais hésité à monter au créneau. Depuis le succès d’estime de Remember Your North Star, en 2022, elle concocte une soul capiteuse, qui refuse de se laisser enfermer dans des schémas trop rigides. A la fois sensible et grande gueule, drôle et politique, la New-Yorkaise continue, non pas de brouiller les cartes, mais de les mélanger joyeusement.
Epaulée notamment par les Canadiens de Badbadnotgood à la production, elle peut commencer par rapper (wake up b*tch), enchaîner avec une ballade soul planante (end of the world) et rendre hommage à ses racines barbadiennes sur le titre soca, merlot and grigio, alternant vulnérabilité et revendications plus politiques – « Rent is too high, wages too low », répété en boucle sur le groove house de bella noches pt 1. ● L.H.
Distribué par drink sum wtr
La cote de Focus: 4/5
4. U.S. Girls – Scratch it
Il y a des albums comme ça qui semblent tomber de nulle part et ne pas tenir à grand-chose. En 2024, Meg Remy se rend en Arkansas pour un festival à Hot Springs. Plutôt que d’emmener son groupe avec elle, la fille de Toronto décide d’employer des musiciens américains. Chargé de cette lourde tâche qu’est la direction de casting, son ami Dillon Watson basé à Nashville embauche Jack Lawrence (The Dead Weather, The Raconteurs, Loretta Lynn) à la basse, Domo Donoho (Ornament, CIRCLEK) à la batterie, Jo Schornikow (The Shivers) et Tina Norwood (ex-The Black Belles) aux claviers ainsi que Charlie McCoy (Elvis, Bob Dylan, Roy Orbison) à l’harmonica.
Le concert s’est tellement bien passé que la clique s’est retrouvée en août pour enregistrer un disque. Mis en boîte en dix jours, Scratch It n’est peut-être pas l’album le plus immédiat et accessible de U.S. Girls comme certains aiment à le penser. Mais il marque une prise de distance notable avec les sonorités eighties de son prédécesseur Bless This Mess. Remy joue avec la pop, le folk, la soul, la country. S’excuse auprès de Patti Smith d’avoir raté son concert dans un festival où elles étaient toutes deux à l’affiche (Dear Patti). Et se fend d’un morceau de 12 minutes (Bookends) au final renversant. Les nouvelles aventures en somme d’une artiste en perpétuelle réinvention.● J.B.
Distribué par 4AD.
La cote de Focus : 3,5/5