Geordie Greep met Black Midi en pause et s’échappe en solo

"J’aime le cinéma français des années 50, les Sergio Leone et les Fellini. Mais aussi les Evil Dead, les Jason et les Freddy" © YIS KID
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Geordie Greep a mis Black Midi en congé et dégaine avec The New Sound un excitant premier album solo. Éclaircissements sur ce changement de cap et zoom sur les virées en solitaire.

On n’avait pas spécialement percuté mais on est le 11 septembre et pratiquement à la même heure en 2001, la deuxième tour jumelle s’effondrait sur Manhattan. À l’époque, le Londonien Geordie Greep n’avait que deux ans. Mais en cette date anniversaire le guitariste et chanteur de Black Midi est à New York. Il a donné un concert la veille dans une salle branchée de Brooklyn, anciennement magasin de matériel pour piscines, avec des musiciens américains rencontrés pour la toute première fois quelques jours auparavant. « C’est génial et super excitant, se réjouit-il. Je vais tourner avec des musiciens différents en fonction des continents. Il s’agit à la fois d’un choix artistique et financier. Ça coûterait effectivement très cher de faire le tour du monde avec les mêmes. Parce qu’il y a les tickets d’avion, les visas de travail. Quand tu es dans un groupe, tu absorbes ces frais ensemble. Mais si tu engages des mecs, ça devient forcément compliqué, à moins de jouer dans de très très grosses salles. Je me suis aussi surtout dit que ça allait être super intéressant. »

Un groupe en Amérique, un autre pour l’Europe et l’Angleterre, un troisième au Japon… « Chacun va amener sa personnalité et ses talents. Ca va me permettre d’aller dans différentes directions. J’ai repensé à Keith Jarret quand il a, dans les années 70, bossé avec un quartette américain et un quartette scandinave. Il avait deux groupes différents et il a enregistré des disques qui l’étaient également. Les circonstances te font penser les choses différemment. C’est bien plus excitant que de se répéter. J’attends tout ça avec impatience. Il y a une dimension humaine aussi dans cette aventure qui fait que tu n’es jamais loin de croiser un mec qui te proposera d’enregistrer une chanson ou un album. »

Greep a trouvé ses musiciens new-yorkais sur Instagram. Ils sont jeunes et issus de la scène jazz locale. « Le niveau des jazzmen ici est vraiment hallucinant. Si tu n’es pas mauvais à Londres, à New York, tu n’es plus rien. Ça m’épate. Je ne sais pas comment ils font. Ils doivent répéter toute la journée… »

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Crédibilité, urgence, confiance

« Black Midi était un groupe intéressant. C’en est maintenant fini pour une période indéterminée. » Le commentaire laconique lâché le 10 août sur les réseaux sociaux a fait l’effet d’une bombe. À seulement 25 ans, après une ascension fulgurante, trois albums qui ont marqué les esprits et enthousiasmé la critique, Geordie annonçait prendre la tangente et saborder le groupe le plus excitant d’Angleterre. Le bassiste Cameron Picton planche actuellement lui aussi sur un album solo et le batteur Morgan Simpson accompagne désormais la Belge Nala Sinephro. « Ce n’était probablement pas la meilleure manière de l’annoncer. Mais ça s’est passé. Je voulais pouvoir avancer. Les gens réagissent: oh, c’est si triste. Mais non. On parle de musique. C’est ça le plus important. Ce n’est pas quelque chose de minant. C’est quelque chose de joyeux. Un groupe a sorti trois albums que tu aimes. Ils sont bons. Tu as vu de chouettes concerts. T’as quoi de plus réjouissant? Si quelqu’un s’intéresse encore à ce qu’on faisait dans quinze ans, il n’y aura des photos de nous que quand on était jeunes. C’est pas cool ça? Qui veut voir des photos de lui tout vieux et fripé. »

Loin de l’image cérébrale qui peut lui coller à la peau, Geordie Greep est drôle. Bavard. Épanoui. Cette échappée en solitaire était inévitable. Il en a toujours eu envie. «C’est le genre d’idée et de projet que tu postposes sans cesse. Mais à un moment, il faut se décider. On ne peut pas toujours repousser les échéances. Il n’y a aucun intérêt à attendre. Tous les artistes que j’admire, qui étaient dans des groupes et qui se sont lancés en solo l’ont fait relativement tôt dans leur carrière. Quand tu patientes jusque 35 ou 40 ans, ça ne fonctionne plus aussi aisément la plupart du temps. »

Geordie parle de Frank Zappa, de Lou Reed, de Todd Rundgren. « Ils ont eu un groupe et très vite ils ont compris qu’ils en voulaient davantage. Qu’ils avaient besoin de monter leur propre projet. C’est plus compliqué quand tu laisses filer les années. Tu sors une dizaine de disques avec ton groupe et ils deviennent de moins en moins bons. À tel point que quand tu décides de te lancer sous ton propre nom, tu as déjà perdu ta crédibilité, ton urgence et la confiance du public. »

Geordie est fier des trois albums de Black Midi. Mais Hellfire, le dernier en date, ne s’est pas totalement imbriqué comme il l’espérait. «Je me suis dit qu’avec un album solo je pourrais tout contrôler. Il ne serait pas nécessairement meilleur mais j’en serais davantage heureux. Et c’est vraiment de ça dont il est question. Il n’y a aucun intérêt à faire de la musique si ce n’est qu’elle te plaise et te procure de la joie. »

Il nous l’avait déjà démontré en promo. Donnant chaque jour ses interviews dans un musée différent pour joindre l’utile à l’agréable. S’il y a bien une chose que Geordie Greep déteste, c’est de perdre son temps. « Je ne veux pas passer pour un hippie. Mais c’est tout ce qu’on a. Et on ne sait pas ce que ça durera. Aucun de nous n’a de garantie. Enregistre un album par an. Fais tout ce que tu peux. Et tu t’approcheras de ce que vraiment tu veux. Aucun disque de toutes façons n’est parfait. »

« La seule reformation que j’ai vraiment trouvée dingue, c’était celle des Swans.«  © Yis Kid

Risky business?

Aussi étonnant et exotique que cela puisse paraître, Geordie Greep a jeté les bases de The New Sound, son excitant et imprévisible premier album solo, du côté de Sao Paulo. « Je n’ai pas eu d’illumination. Été inspiré et guidé pas une grande influence. Ce sont davantage des choses que j’ai toujours aimées et que j’ai voulu porter à l’avant-plan. Léo Ferré, Scott Walker, Milton Nascimento, Egberto Gismonti, Willie Colon… Ou la fusion plus classique: le Mahavishnu, Chick Corea, le tango de Piazzolla… J’ai essayé de me montrer plus ambitieux que jamais. Souvent, les gens qui font de l’indé ou du rock expérimental aiment des styles fort différents mais restent cantonnés dans leur ligne, dans leur petit confort. Or, la meilleure musique selon moi dégage souvent ce sentiment que les musiciens essaient de faire des choses qu’ils savent à peine faire. »

Le plan carioca est arrivé presque par hasard. Greep avait essayé de trouver des musiciens à Londres pour une session d’enregistrement. Des mecs qui possédaient de l’expérience dans la musique brésilienne ou latine de manière plus générale. Il a finalement profité d’une tournée de Black Midi en Amérique du sud et de quelques jours de congé pour bosser avec des mecs du coin recommandés par le promoteur et cofondateur du label Balaclava Records Fernando Dotta. « J’ai appelé le seul type que je connaissais au Brésil et je lui ai demandé s’il avait des studios et des musiciens à me recommander », sourit l’Anglais. Il a atterri au studio Da Pa Virada, de Big Rabello, batteur du virtuose de la mandoline Hamilton de Holanda. À embauché le bassiste Fabio Sa (Gal Costa, Caetano Veloso, Elza Soares…), le pianiste Chicao Montorfano (Gal Costa, Ava Rocha) ou encore le batteur Thiaguinho Silva, un des fils de Robertinho connu pour son travail avec Milton Nascimento et Chico Buarque. « Au Brésil, tout le monde joue avec tout le monde. Il n’y a pas vraiment de frontière entre les vieux et les jeunes, le cool et le classique, le jazz et le rock. Il ont tous appris à être extrêmement bons. Tu peux trouver des vidéos sur YouTube de jeunes gamins qui te balancent cinquante accords sur une guitare classique. C’est autre chose que de jouer du Chuck Berry. Je me rends bien compte que j’ai eu de la chance. Je ne savais pas du tout ce que ça allait donner. Travailler avec des musiciens de studio que je ne connaissais pas. J’étais dans le noir. J’ai pris des risques. J’aurais pu y perdre pas mal de fric. Ça aurait pu être affreux. Mais ça s’est révélé génial et ça m’a vraiment mis en confiance. »

Il a ensuite poursuivi le boulot à Londres. Terminé les morceaux. Planché sur d’autres titres. À la croisée du jazz, du cabaret, d’un rock saccadé et d’une pop chiadée, The New Sound est un album solo enregistré avec plus de 30 musiciens. « Tu peux en avoir un tas sur un disque. Travailler avec autant de gens que tu le veux et le peux. Que chacun puisse essayer ce qu’il veut. Je pense que je préfère la musique quand il y a un leader. Toute musique qui marche vraiment en a un. Parce que dès que tu tombes dans le compromis, ça s’affaisse toujours un peu. Même dans les disques qui semblent être une réelle collaboration -il existe des contre exemples évidemment-, il y a toujours un mec qui mène la danse ou tient le volant. Quelqu’un doit avoir une vision très claire. J’ai peu d’exemples qui résultent d’une vraie démocratie. » Geordie Greep dictateur éclairé? Le bonhomme sourit.

© Yis Kid

La fin de Black Midi?

Depuis quelques temps maintenant, les chanteurs et musiciens semblent se lancer en solo et faire des infidélités à leurs groupes de plus en plus tôt. Quand ils ne prennent pas tout simplement le large. Différents phénomènes semblent être à l’oeuvre. À commencer par l’évolution technologique. « Aujourd’hui, tout le monde peut enregistrer un disque tout seul. Il y a garageBand et plein de trucs pour t’y aider. Il y a clairement eu une démocratisation de l’accès à l’enregistrement. Un album peut être l’entreprise d’une seule personne. C’est encourageant en tout cas. Il y a par ailleurs de moins en moins d’argent dans la musique. Donc, tu es moins enclin à en faire juste pour le pognon. Dans le temps, c’était très lucratif. Tu tournais et tu pouvais te faire un fameux paquet de fric. C’était donc intimidant. Tu te disais: là, je vais pas gagner un balle alors que je pourrais me faire un million par an. Aujourd’hui, tu ne deviendras jamais riche à moins que tu te transformes en Metallica ou un projet de cet acabit-là. Alors oui, c’est une loterie. Mais ce n’est pas comme si avec Black Midi on gagnait beaucoup d’argent. C’était bien. Mais rien de dingue non plus. Ca me semblait un salaire normal en fait. Donc me lancer en solo, sacrifier ce que je faisais de manière confortable pour quelque chose que je tenais vraiment à faire tient plus de la folie ou du pari. Si ça foire complètement, je trouverai un boulot. On verra. C’était déjà un peu devenu un taf de toutes façons. »

On peut également évoquer la question du réseautage, des carnets d’adresse et des moyens de communication. Le monde est aujourd’hui un village plus que jamais interconnecté. Mais aussi évoquer le sujet du bien-être et de la santé mentale. L’accessibilité et la connaissance encyclopédique de la musique permises par le web et les plateformes. «Les gens aujourd’hui peuvent écouter la musique qu’ils aiment et ne sont plus nécessairement cantonnés à celle qu’on leur impose. Ca élargit leur univers.»

Greep est loin de regretter le partage des responsabilités. « Il y a davantage de pression sur tes épaules quand tu sors un album sous ton propre nom mais c’est une sensation très agréable. Parce que ça veut dire que si tout tourne mal et que c’est naze, tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même. C’est entièrement de ta faute. Alors que quand tu es dans un groupe, tu ressens parfois cette tension. J’espère qu’il ne va pas faire ceci. Ou je pense que ça ne donnera rien s’il ne fait pas cela. Il faut que je m’assure que je vais pouvoir faire passer cette idée… »

Avec tout ça, on ne sait pas trop ce qu’il adviendra de Black Midi. Ce n’est déjà pas très clair dans son esprit. « Je n’ai aucune idée de notre avenir en tant que groupe. Je ne veux pas que ce soit quelque chose de forcé et une question d’argent. Souvent, les reformations résultent de la demande des fans et semblent fallacieuses. En tout cas pas très sincères. Je ne veux pas de ça. Mais on verra ce qui se produira. S’il y a un véritable intérêt de notre part, une véritable excitation, alors pourquoi pas? »

Greep s’appuie sur ses goûts, l’histoire de la pop et du rock pour justifier sa vision des choses. « Le truc, c’est que les gens que j’aime dans la musique ont continué la majeure partie du temps à faire des trucs intéressants. Ils n’ont pas eu besoin de réveiller le passé. Je pense à David Bowie et à son album Blackstar. Ce disque est lié à ce qu’il était à un moment donné. Il n’a pas essayé de sonner comme un jeunot. De tourner pour fêter l’anniversaire de Ziggy Stardust. Pareil avec Scott Walker et Léo Ferré. Essayer est selon moi la meilleure manière d’avancer. »

Geordie Greep, The New Sound ****

Distribué par Rough Trade/Konkurrent

En concert le 1/11 aux Nuits Weekender (Botanique).

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