Fontaines D.C.: « Au-delà de l’accent, des mots, je pense qu’il y a de l’irishness dans notre musique »

Grian Chatten (à droite): "Je respecte Ashleigh Barty qui prend sa retraite à 25 ans. Elle ne se laisse pas réduire en esclavage par son talent."
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Fontaines D.C. s’assombrit sur un troisième album habité qui questionne son irlandicité. Entretien.

Le ciel est bleu. Le soleil brille. Grian Chatten est dehors, à Düdingen, en Suisse, où Fontaines D.C. se produit ce soir-là, quelques semaines avant la sortie de son troisième album. Tantôt un avion, tantôt une poule vient se promener dans le décor pour le coup assez bucolique. Après avoir chanté la rançon de la gloire sur A Hero’s Death, les cinq garçons dans le vent questionnent sur Skinty Fia leur irlandicité. Eux qui désormais vivent à Londres. « J’ai bougé il y a pratiquement deux ans. Ça ne m’a pas changé, mais ça m’a offert de nouvelles perspectives. Pendant des années, je n’ai réellement habité nulle part. On était sur la route tout le temps et les quelques jours où on rentrait à Dublin, je dormais sur des canapés. Je n’avais jamais eu de logement à moi depuis que j’avais quitté le cocon familial. J’avais besoin d’un endroit où je pouvais rester durant la pandémie et j’avais rencontré une fille. »

Loin des yeux mais toujours près du coeur… Chatten a beaucoup réfléchi depuis la capitale anglaise au rapport qu’il entretenait avec son pays, ses gens, sa culture. « Les premières chansons que j’ai écrites pour ce disque parlaient déjà de mon rapport à mes racines irlandaises et je ne vivais pourtant pas encore à Londres. Dès qu’on se met à sortir les singles d’un nouvel album, on se sent mal à l’aise. On les laisse s’en aller et on écrit tout de suite de nouvelles chansons pour les remplacer, pour s’assurer qu’on a toujours un peu d’avance sur le public. Des choses rien qu’à nous qu’il ne connaît pas. »

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Le titre d’ouverture de l’album, In ár gCroíthe go deo (« Dans nos coeurs pour toujours »), fait écho à l’histoire vraie d’une famille irlandaise de Coventry, près de Birmingham. Sur la tombe de la défunte, Margaret Keane, ses proches ont voulu graver ce message, mais les autorités ont d’abord refusé, craignant que ça n’effraie les gens et passe pour un message politique. « C’était il y a deux ans; pendant la pandémie. Ça nous a choqués. On était en train de bouger sur Londres et ça nous a préparés mentalement. J’ai pensé à toutes ces micro agressions qui finissent par faire mal. À la perception que le Royaume-Uni peut garder de l’Irlande… »

Pour Chatten, l’irishness, l’irlandicité, c’est cette capacité à accéder rapidement à une certaine profondeur sentimentale. Avec de l’humour, sans se prendre au sérieux. Pour rester en contact, il écoute la radio. Notamment une émission de jazz, Mystery Train, présentée par John Kelly sur RTÉ Lyric FM. « J’aime entendre ces voix, ces accents, cette manière qu’on a de parler. Plus simple, moins prétentieuse que sur les stations anglaises souvent très conservatrices et pompeuses. »

Grian parle un peu l’irlandais. Il l’a appris vers l’âge de 13 ans lors d’un camp de vacances dont on se fait virer quand on cause anglais. « Je ne sais pas si on serait plus populaires au Royaume-Uni si on avait un accent britannique. Mais je pense que c’est important pour le Royaume-Uni d’entendre notre accent à la radio. Des Bono et des Hozier ne sonnent pas vraiment irlandais à mes yeux et je suis OK avec ça. Ça parle aussi du fait que le Royaume-Uni et les États-Unis ont le monopole sur l’industrie du divertissement. Ce n’en était que plus important pour nous. »

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Damnation du cerf

On pense parfois à Oasis et aux frères Gallagher en écoutant Skinty Fia. Musicalement, le disque a notamment été inspiré par les Contino Sessions de Death in Vegas et XTRMNTR de Primal Scream… « Au-delà de l’accent, des mots, des paroles, je pense qu’il y a de l’irishness dans notre musique. De différentes manières en fonction des chansons. J’ai l’impression que sur la première de l’album, c’est moi qui essaie de sonner comme Sinéad O’Connor. Une espèce de sean-nós, un style de chant traditionnel irlandais. Je joue aussi de l’accordéon sur ce disque. » Sa mère lui en a offert un de seconde main pour Noël, qu’il utilise sur le dépouillé et déchirant The Couple Across the Way. « J’ai écrit la chanson le jour même. Je n’avais jamais pratiqué avant. Je n’en joue pas vraiment. J’ai trouvé une manière très simple d’utiliser l’instrument. »

Skinty Fia signifie « la damnation du cerf ». « C’est le genre d’expression que tu utilises quand tu as fait tomber un truc. Carlos a eu l’idée du cerf dans une maison pour la pochette. C’est l’image frappante de quelque chose qui n’est pas à sa place. Ça colle au disque, qui explore l’identité culturelle et ce qui la change. » Lancé sur ce qui l’excite le plus artistiquement au pays du trèfle à trois feuilles, Chatten parle de Girl Band et de Just Mustard, qu’il a embarqué en tournée pour assurer sa première partie. Des Commitments et de Waking Ned Devine. « C’est l’histoire d’un village qui se mobilise pour berner la loterie nationale et empocher la cagnotte malgré la mort du gagnant, terrassé par une crise cardiaque. » Il cite le poète Patrick Kavanagh et son Inniskeen Road: July Evening, évoque Colin Farrell et Barry Keoghan (le film Mise à mort du cerf sacré).

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En vrai Dublinois, Chatten a pratiqué les sports nationaux, le hurling et le football gaélique jusqu’à ses 15 ans. « J’étais plutôt bon. Mais je prenais des cours de batterie aussi. À un moment, j’ai dû choisir et j’ai préféré la musique au sport. » De l’esprit irlandais, il a le jusqu’au-boutisme carastéristique. « Je me bats toujours pour dormir ou me reposer seulement après avoir finalisé une chanson. Ça m’obnubile tellement. J’entends tout le morceau du début à la fin avec toutes les instrumentations possibles. J’ai peur de perdre ou de rater une idée, mentalement. Je devrai être vraiment prudent quand on commencera à écrire à nouveau. Parce que ça voudra dire que je manquerai de sommeil, que je ne pourrai pas me concentrer sur quoi que ce soit d’autre. Ça me bouffe de l’intérieur. J’ai même du mal à écouter les gens qui me parlent. » Quand il sort de scène, Grian a parfois l’impression que son cerveau manque d’oxygène. « Je dois m’allonger un peu. C’est sans doute l’intensité que j’essaie d’y mettre. Ça me semble si nécessaire, si lié à ce qu’on est, à notre identité. »

Skinty Fia, distribué par Partisan/Pias. ****

Le 30/06 à Rock Werchter.

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