A Dour, vendredi soir, FKA Twigs a ébloui le festival avec un show-performance à la fois millimétré et libérateur, cachant des tonnes d’émotions sous les beats dance.
Sujet du jour : étant entendu que, pour un artiste, comme pour le public, un concert sur une plaine à 23h n’offre pas la même expérience que le même spectacle exécuté dans une salle, qu’est-ce qui fait un bon concert de festival ? Vous avez une heure. Et c’est FKA Twigs qui ramasse les copies.
Vendredi soir, sur la Last Arena de Dour, l’artiste anglaise a livré sa propre théorie sur la question. On la résumera en un mot : éblouissante. Et éventuellement clivante, dans sa manière de mélanger musique et chorégraphie, ambiances clubbing et tableaux arty. Lancée dans sa tournée Eusexua – passée par les Halles de Schaerbeek en mars dernier -, FKA Twigs propose en effet un set à la fois millimétré et audacieux, titillant les conventions habituelles du concert.
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A cet égard, le contraste avec le concert de Stormzy, la veille, au même endroit, fut frappant. Autant le rappeur anglais avait offert un live organique, généreux et chaleureux, accompagné de son band ; autant sa compatriote a joué à fond la carte du concept, visuellement hyper léché, joué essentiellement sur bande. Un tel parti pris est-il compatible avec l’ambiance d’un festival ? Ou faut-il uniquement le voir comme la caution arty un peu prestigieuse qu’un rendez-vous comme Dour se doit malgré tout encore de programmer ?
Sur le coup de 23h, la plaine n’est d’ailleurs qu’à moitié remplie pour ce qui est censé être la tête d’affiche du jour…
Ballet techno
Ceux qui ont eu la bonne idée de pointer jusqu’à la plaine vont pourtant avoir droit à l’un des shows les plus marquants de ces derniers mois. « On est au cinéma en fait ! », s’emballe-t-on par exemple à côté de nous. Voire au théâtre. Avec un petit quart d’heure de retard, les écrans annoncent l’acte 1 : practice. Sur la scène, une dizaine de danseurs s’élancent alors dans une sorte de ballet techno, certains grimpant notamment sur la structure d’échafaudage qui fait office d’unique décor.
A propos de son album Eusexua, sorti en début d’année, FKA Twigs a expliqué avoir trouvé notamment l’inspiration dance de ses morceaux dans les raves qu’elle fréquentait, lors de ses moments libres à Prague, sur le tournage de The Crow, à l’été 2022. De fait, à Dour, elle rejoint rapidement sa troupe pour se lancer dans des chorégraphies extrêmement soignées entre frénésie club et mouvements plus lents, proches de la danse contemporaine. Dans ces moments-là, FKA Twigs est au cœur du groupe. Elle est le noyau atomique autour duquel tournent les charges électriques queer. Ou encore la diva avant-pop qui ne s’embarrasse pas et change de costume directement sur scène – enlevant son corsage pour Room of Fools, se rhabillant pour Striptease.
L’ombre de Madonna
Le deuxième acte est le plus euphorisant. Il est aussi celui qui permet de casser la glace d’un show certes spectaculaire, mais conceptualisé au point de glisser dangereusement vers le pur artifice. Beau, certes, mais stérile. D’autant que, micro à la main, la voix noyée dans les effets, FKA Twigs ne donne pas toujours l’impression de chanter en direct – en tout cas, pas toujours assez que pour passer au-dessus des bandes préenregistrées.
Avec un titre comme Perfectly, la chanteuse décide cependant de lâcher les chevaux. Les mouvements jusque-là très calculés deviennent plus fluides et spontanés. FKA Twigs s’adresse même pour la première fois, brièvement, au public, tandis que, sur Oh my love, sans doute l’un de ses morceaux les plus directement pop, l’un de ses danseurs lance un appel à la foule pour qu’on lui trouve l’âme sœur (« mais il faut qu’il soit très bien monté », précise-t-il en français dans le texte).
Le danseur en question se nomme James Vu Anh Pham. Avant de rejoindre FKA Twigs, il avait déjà performé auprès du chorégraphe belge Sidi Larbi Cherkaoui, et accompagné Madonna sur sa dernière tournée Celebration. L’ombre de la pionnière est d’ailleurs présente ici un peu partout. FKA Twigs est loin de s’en cacher. Elle s’en nourrit même, par exemple en citant Vogue sur le morceau Sushi, ou s’inspirant du clip de Don’t Tell Me pour les mouvements de Girl Feels Good. De la même manière que la queen of pop, elle utilise son corps comme élément central de son spectacle, et en faire l’un des sujets principaux de son discours. Qu’il soit amoureux, charnel, voire politique. « I fear the man who finds himself lost/In tales of war, delusions of more », chante-t-elle par exemple sur Girl Feels Good, sur des images mélangeant archives et actualités. Tandis que sur 24h Dog, elle se lance dans un numéro de pole dance époustouflant, s’enroulant autour d’une barre qui semble être équipée à son sommet d’une caméra de surveillance…
Dans un dernier acte, intitulé The Pinnacle, au bout d’une heure d’un concert-performance d’une rare intensité, FKA Twigs laisse enfin plus de place à sa voix. Jusqu’à la conclusion de Cellophane, chanté au ralenti. Rempli d’envolées sidérantes et de grands silences vertigineux, il est le dernier acte de bravoure de ce qui restera à coup sûr l’un des moments marquants de Dour 2025.
MAIS AUSSI
SDM. On se le dit entre nous, mais, à Dour, la Last Arena donne souvent un peu l’impression de dériver, cherchant vainement son public. Jusqu’à ce qu’y soit programmé un rappeur. Un big one. Et français de préférence. En début de soirée, c’est par exemple SDM qui a ramené la foule. Avec un set à son image : carré et efficace, mais pas ronronnant, avec même un surplus d’engagement en plus. Pas de quoi révolutionner le monde du spectacle vivant, ni même l’idée de ce que peut être un concert de rap. Mais accompagné de musiciens – un clavier et une guitare électrique qui lui permet d’assouvir ses fantasmes de rock star, long solos compris -, il peut se contenter d’aligner les hits – Cartier Santos, Bolide allemand, ou le Dolce Camara de Booba – pour faire un peu plus monter sa cote de sympathie.
La Femme. S’il y a bien un groupe qui méritait de monter sur la grande scène du festival de Dour – notamment pour en avoir enflammé quasi toutes les autres ces dernières années -, c’est bien la Femme. En a-t-il profité pour y donner du coup son meilleur concert ? OK, on a quand même le sentiment que la fiesta rock-garage des intéressés s’exprime plus facilement dans les petits espaces. Il n’empêche : avec sa manière désinvolte de rejouer une certaine mythologie rock, à la fois déconneur et cultivé, la bande reste une irrésistible machine à danser.
Carpenter Brut. Sous le pseudo Carpenter Brut, le Français Franck Hueso produit une électronique bourrée de synthés. Une musique d’aéroport ? Oui, mais du côté du tarmac, la tête dans les réacteurs. Faut entendre son mélange surpuissant de synth wave et de metal, qui donne l’impression de pouvoir décoller à chaque instant. Sur scène, Carpenter Brut se produit en outre avec un batteur et un guitariste métalleux, qui headbang dès qu’il peut. Ce ne sont pas les occasions qui ont manqué dans un set hénaurme, ne ménageant pas ses effets, entre tempête heavy et dark dance eighties à popper – jusqu’à reprendre en toute fin le Maniac de Flashdance.
Miki. Miki, la nouvelle Angèle? (oui, oui, il y a bien quelque chose dans la voix ; et en effet, elle collabore avec Tristan –Brol -Salvati) A Dour, la jeune Franco-Coréenne a surtout montré que ses chansons pop ne pouvaient pas entièrement cacher un corps de rave, rallongeant dès qu’elle le pouvait ses chansons à coup de références électro. Au passage, elle en a également profité pour annoncer la sortie de son premier album, actuellement en cours de mixage, et prévu pour l’automne. Pour confirmer son parti pris pop ou se laisser tenter par ses penchants plus alternatifs ? Le suspense reste entier…