Enchantée Julia, un irrésistible r’n’b à la française

Enchantée Julia: "On m’a souvent ignorée, fermé la porte au nez. Voire méprisée." © Fifou
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Après s’être longtemps cherchée, Enchantée Julia sort Onze, premier album à l’élégance soul/r’n’b irrésistible.

Groover n’est pas français. Si c’était le cas, ça se saurait. Comment d’ailleurs traduire le mot « groove »? Le rythme? Le balancement? Le chaloupé? Compliqué… Peut-être peut-on alors simplement suggérer d’écouter Onze, le premier album d’Enchantée Julia. Dans ce cas précis, on rattachera le groove à une matière chaude, organique et poétique. En un mot, suave. Une qualité pas si courante que ça dans le paysage musical francophone. Raison de plus pour célébrer un disque d’une élégance rare, petit bijou laidback au charme capiteux.

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Pour en parler, on retrouve Enchantée Julia dans un établissement du 18e arrondissement. À la carte, bagel, salades, burger veggie, etc. Le tout dans un décor à mi-chemin entre le café parisien et le déli new-yorkais. D’une rive à l’autre de l’Atlantique, c’est précisément l’endroit où se cale la musique de Onze, flottant entre langueurs nu-soul, volutes r’n’b  et chanson française. C’est aussi ce qui a nourri la chanteuse. Née à Cavaillon, elle a grandi dans le village médiéval d’Oppède-le-Vieux, entre une grande sœur matrixée au hip-hop et des parents férus de classique, mais aussi de jazz et de chanson. « Je suis fan de Claude Nougaro, par exemple, qui était un ami de mon père. Quand je l’ai vu en concert, ça m’a énormément marquée. J’ai toujours été fascinée par son écriture, sa voix, et cette façon de faire groover les mots sur des chansons très jazzy. Je trouvais ça génial. » Gamine, Julia fond aussi pour Teri Moïse -« Les poèmes de Michèle, c’est le premier CD 2-titres que ma mère m’a acheté. Je donnais des spectacles devant mes parents, en rechantant sur la version instrumentale ». Plus tard, au lycée, il y a également des chanteuses comme Wallen, K-Reen ou Les Nubians. Preuve que le français peut malgré tout « sonner » et se prêter à des inflexions plus soul. Comme celles par exemple des Américaines Erykah Badu ou Jill Scott. « Ce qui était génial avec elles, c’est qu’on pouvait les écouter en famille. On se retrouvait sur le côté très jazzy. Badu, par exemple, emprunte volontiers aux codes du jazz. Mais avec une façon d’écrire à la fois très poétique et très hip-hop. Elle est vite devenue une obsession pour moi. Je voulais tout comprendre. »

© Fifou

Boucles naturelles

Quand elle débarque de son Sud natal à Paris, Enchantée Julia a donc les idées claires: tenter une version du r’n’b en français dans le texte. « Dès le départ, je voulais m’imposer avec cette musique-là. Même si je n’avais pas beaucoup de moyens, et que c’était vraiment la débrouille. Sans compter le fait que les gens ne comprenaient souvent pas ce que je faisais. On m’a souvent ignorée, fermé la porte au nez. Voire méprisée. » De fait, même si les choses changent (un peu) aujourd’hui, le r’n’b dont s’abreuve Enchantée Julia a rarement eu bonne presse en France. « L’industrie musicale en France s’est toujours montrée très réticente par rapport à cette musique. Depuis que je me suis lancée, j’ai rencontré tout une série de directeurs artistiques et de majors. Et la plupart du temps, ils ne comprenaient ce que je voulais. Plus d’une fois, je me suis même sentie mise à l’écart, voire pointée du doigt. C’est réel! Ce n’est pas que dans ma tête. Je me rappelle encore comment cette ex-rédactrice en chef des Inrocks m’avait remballée avec dédain, en me traitant de Corine du r’n’b, juste parce que j’avais les cheveux bouclés » –rapport à la chanteuse disco-pop à perruque peroxydée, qui avait bénéficié d’une grosse hype parisienne vers 2018…

© Fifou

Julia va donc devoir mordre sur sa chique. Elle enchaînera les petits boulots « alimentaires » – »J’ai bossé dans la mode, dans des fripes, passé un diplôme en tant que massothérapeute, etc. » Tout en semant des petits cailloux à gauche et à droite -« J’ai animé des jams (Jam to the wild, à la Favela Chic, NDLR) et chanté comme choriste aux côtés de Sinclair, Vitaa, Tal, etc. »

Finalement, elle sort Dunes, en 2018, un premier single sous le nom d’Enchantée Julia. Elle qui avait pris l’habitude de lisser ses cheveux retrouve ses boucles naturelles. Et assume pour de bon ses envies musicales. Six ans plus tard, elles trouvent enfin leur aboutissement sur Onze.

Composé par Julia avec des producteurs/musiciens comme LaBlue, Tices et Antonin Fresson, il a été conçu lors de deux résidences d’une dizaine de jours, dans la maison de ses parents, aux Santolines. « Un lieu magique, au milieu d’une forêt, en face du Luberon. C’était tellement inspirant. » Cela s’entend dans une musique qui donne souvent l’impression de couler de source. Une sorte de blues lumineux, à la fois sensuel et pudique, électronique (Cygne, rappelant le spleen électronique d’un James Blake) et acoustique (la guitare acoustique de La Sève). Sur le morceau-titre, on retrouve Prince Waly, son rappeur de mari. « C’est quelqu’un de tellement important pour moi… Il m’a donné une impulsion et une confiance énorme, quand j’étais souvent un peu paumée. Je ne serais pas là devant toi si je ne l’avais pas rencontré. La chanson Save Me, par exemple, je parle de lui. C‘est clairement mon sauveur. »

Avec Onze, Enchantée Julia a en tout cas réussi le pari d’une musique collant au plus près des sentiments, laissant les algorithmes de côté pour préférer suivre son instinct. C’est d’ailleurs aussi ce que raconte le titre du disque. « Le 11 est présent un peu partout dans ma vie. D’ailleurs, l’album compte 11 titres, il est sorti le 22 du 11, etc. Mais c’est un peu plus qu’un chiffre porte-bonheur. En numérologie, c’est le chiffre de l’intuition. Il est lié à des gens qui ressentent tout très fort. Cette ultra-sensibilité peut parfois être pénible, pour soi ou pour les autres (sourire). Mais c’est aussi une force. Ca correspond aussi à une dimension spirituelle qui est très présente dans l’album. Après tout, soul, cela veut dire âme, n’est-ce pas »? »

Enchantée Julia, Onze ****, distribué par Roche Musique.

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