Du doute au réconfort: le carnet de bord de Roza, en tournée en carriole solaire (2)
La jeune artiste bruxelloise Roza s’est lancé un défi pas comme les autres: partir seule en tournée sur les routes belges et françaises, à bord d’un vélo électrique alimenté par des panneaux solaires. Chaque semaine, elle nous livrera son carnet de bord, illustré par ses soins: en voici le second chapitre.
Dans la première parution de ce journal de bord, je retraçais toute l’histoire derrière la confection de la carriole solaire, et dévoilait ainsi le pourquoi de ce grand voyage. Me voici à présent sur les routes, étonnée après chaque coup de pédale que cette aventure prenne désormais racine dans le réel.
Nous sommes le 26 juin, j’ai une soixantaine de kilomètres au compteur, et je me réveille dans une petite caravane. La nuit fut paisible et bercée par la douceur des heures précédentes. Le soleil me tire de mon sac de couchage et m’amène aussitôt au volant de mon bolide. Je pars en direction de Namur, là où ma maman, ma soeur et un bon repas m’attendent. À peine arrivée, je sens mon ventre qui se serre, et mes pensées qui s’embrument. C’est la première fois que je me pose, depuis que je suis partie. Le feu de l’action des préparatifs, du vélo et des concerts de la veille m’avaient plongé dans un état, loin des angoisses du futur et des tourments du passé. Les nombreux engagements que j’ai pris se mettent à tourner dans ma tête de plus en plus vite. Je pense à tous les concerts qui m’attendent, séparés par de nombreux kilomètres, que je devrai parcourir à vélo, au gré des imprévus. À toutes ces inconnues, laissées en friche car la date de mon départ est arrivée si vite. Je pense aux illustrations et aux textes que j’ai promis mettre sur papier, au fil de mes rencontres. Je pense aux dangers de la route, et à la solitude.
Mon flux de pensées se trouble de plus en plus, comme une vague qui monte, et dont j’essaye maladroitement d’épouser le mouvement. Elle finit par passer doucement, et le reste de mes pensées décante. Je me dis que je dois apprendre à laisser couler ces agitations, et qu’il y en aura d’autres.
Ma maman me dit que pour me donner du courage, il ne faut pas que j’oublie de chanter sur mon vélo. Elle me dit que ça me donnera une puissance, qui m’aidera à surmonter les aléas de la route. Quelques minutes plus tard, j’entends ma soeur fredonner un air. Intriguée (car elle ne chante pas souvent), je lui demande ce que c’est. Elle me répond qu’il s’agit d’un petit mantra, invitant à épouser l’instant présent. Elle me l’apprend aussitôt, m’offrant ainsi des paroles réconfortantes que je pourrai me répéter dans les moments de troubles. C’est comme si elles s’étaient concertées. Je suis très touchée de ce cadeau, et du conseil que je viens de recevoir.
Elles décident de m’accompagner pour la fin de mon étape, et la légèreté de pédaler aux côtés de ma mère et ma soeur en bord de Meuse, contraste avec la tempête émotionnelle que je viens de traverser. Je m’émerveille devant la beauté de cette vallée, et profite de la douce météo.
J’arrive alors chez Megan, une femme pleine d’audace et de courage, qui me laisse camper dans son jardin. Je me sens tout de suite bien chez elle, et on discute jusqu’à ce que la grande ourse scintille. Ses histoires sont passionnantes, et on échange autour de sa situation de femme seule, indépendante et capable d’assurer des travaux de rénovation. Elle me dit qu’elle a puisé son courage au travers de l’histoire de sa grand-mère. Celle-ci s’était retrouvée, après avoir été délaissée par son mari, à devoir s’occuper d’une immense ferme, seule, en plein milieu de la « ceinture biblique » états-unienne.
Je réenfourche mon vélo assez tôt le lendemain, car une grosse journée m’attend. Je dois faire un concert à 14h, à une soixantaine de kilomètres de là. La météo n’est pas avec moi, mais je me sens bien, et déterminée. Lorsque j’atteins mon objectif, je ressens une immense satisfaction. De ma vie, je n’avais jamais parcouru autant de kilomètres avant le repas de midi. Il faut dire qu’initialement, je ne suis ni une grande sportive, ni une lève-tôt.
On me présente mon endroit pour jouer, mais la pluie vient compromettre le plan. Je joue alors dans la salle de fête du village. Le concert se passe bien, et je sens que je commence à emmener les public dans mon univers. Mais ce moment prend abruptement fin, car une fanfare commence son cortège dehors. Je me retrouve un peu coupée dans mon élan, mais je prends sur moi et vais suivre la fanfare.
Je suis partagée, car j’ai très envie de lâcher prise, de rencontrer la foule et de faire la fête mais je me sens épuisée par mes soixante kilomètres et mon concert.
Je décide d’aller ranger mon vélo dans les hauteurs du village, et de dresser mon camp pour la nuit. Je me dis qu’après cela, j’aurais les idées plus claires. En poussant mon vélo pour le hisser en haut d’une ruelle, celui-ci se bloque subitement. Je m’aperçois alors que la roue arrière vient de sortir du cadre. Je désattelle aussitôt ma remorque, et replace ma roue. La mécanique de mon vélo est réparée, mais j’aperçois un message d’erreur sur mon contrôleur. Je passe des heures à essayer de réparer mon vélo, et à poser un diagnostic sur les raisons de la panne. Pendant ce temps, les festivaliers s’enivrent, et les concerts résonnent dans toute la vallée. Je me sens de plus en plus en décalage avec la fête, épuisée, et seule. J’ai une envie très forte de partir avec mon vélo au bord de la rivière, loin du bruit, des cris, et de la foule, mais je suis coincée. Je descends alors sur la place du village, en me disant que je pourrais essayer de profiter tout de même. Un homme ivre me colle, et c’est la goutte de trop. Je réalise que je n’ai pas envie de faire partie de cette fête.
Je remonte dans les hauteurs, j’attends impatiemment que le bruit s’amenuise, et je me couche sans savoir de quoi sera fait le lendemain.
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Je peine à me lever, tant je suis démunie face à ma panne. Je ne sais pas par quel bout prendre le problème. Puis, petit à petit (et surtout après un bon café), les issues potentielles se dévoilent. Je décide d’aller voir Michel que j’avais rencontré à mon concert deux semaines plus tôt (pour le départ de la course du suntrip) et qui est un passionné de vélos solaires. On passe l’après-midi à bidouiller sur ma bicyclette, à imaginer des solutions, et à chercher les causes du problème. Mon moteur ne semble pas réparable en une journée, et je commence à me dire que ce serait peut-être déjà la fin de mon voyage. Par miracle, il possédait un moteur inutilisé, qu’il est d’accord de me prêter! On l’installe sur mon vélo, je l’enfourche, et ça fonctionne! Quelle immense joie!
Je loge sur place, et retourne le lendemain au petit village dans lequel j’avais laissé ma carriole.
Me voilà repartie, avec un jour de retard à la poursuite de mes concerts!
Je passe la frontière française, et sens tout de suite un changement d’ambiance. Je suis agréablement surprise par la beauté des paysages et la qualité de la voie cyclable. La météo n’est toujours pas avec moi, mais fait ressortir la luxuriance de nos forêts, les chants des oiseaux, et me fait jouir d’une solitude, tout le long de la route.
J’ai rendez-vous dans le domaine d’Haulmé. Un lieu féerique dans lequel un couple de belges s’est installé pour mener un projet de camping depuis six mois. Je suis super bien accueillie, et je parle très vite avec les résidents. Il s’y déroule un colloque autour de la question de la scolyte (petit insecte xylophage, à l’origine d’une crise sanitaire au sein des populations d’épicéas). Des balades, conférences et discussions sont organisées par des chercheurs, des gardes forestiers, et des passionnés, pour discuter des alternatives à la coupe rase dans le cas d’une forêt scolytée. Je rencontre toutes ces âmes de passionnés qui vivent au gré des cycles de la forêt, et dont la conservation tient tant à coeur. Je suis émue de découvrir l’attachement et la préoccupation que ces personnes manifestent à l’égard de nos arbres.
Je me retrouve à jouer pour eux, après une conférence-débat.
Je reçois une qualité d’écoute rare. Je sens que ça résonne, et que les préoccupations que je partage dans mes textes sont comprises. Quel moment magique!
À la fin du concert, une dame enlève spontanément son chapeau, et le pose sur ma table. Tout le monde y met une contribution. S’enclenche alors un tas de discussions magnifiques.
Un homme à la longue barbe me dit: « il y a 30 ans que je n’avais pas entendu un truc pareil!«
Je discute longuement avec un jeune garde forestier qui me parle de son amour pour son métier. Il m’explique d’ailleurs que son métier a désormais l’appellation de « technicien forestier territorial » et que ça le rend triste. Il me dit que dans une de mes chansons, je déclamais « je suis entre fatalisme et rage » et que ça reflétait vraiment son ressenti par rapport à la situation des forêts. Ça me touche beaucoup. Jamais je n’aurais pensé trouver échos à mes textes auprès d’un tel public.
Un autre homme, qui m’était apparu quelques heures plus tôt, le torse bombé avec un air presque vantard, s’est avancé vers moi, pour me dire qu’il avait fait couler quelques larmes lors du concert.
Heureuse et gratifiée, je regagne mon petit coin de paradis de la nuit. Me revoilà dans une caravane dans laquelle je m’endors au creux d’un agréable sentiment d’être à ma place…
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