Dour: Trisomique, ta mère…

The Choolers © Olivier Donnet
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Les deux MC’s trisomiques de la Choolers Division ont fait sensation à Dour vendredi avec leur rap brut et tordu. Renversant.

« En arrivant, j’ai cru que je m’étais trompé. Que j’avais débarqué au Pukkelpop, souriait vendredi après-midi un habitué du festival. Puis, je suis rentré dans le Labo et j’ai tout de suite compris que j’étais à Dour. » Il est à peine 15 heures. Un MC trisomique fait du breakdance (la toupille, le saumon) sur des beats tordus pendant que son pote rappe devant un public interloqué. C’est comme ça qu’on aime Dour. Dans toute son audace, sa différence et ses singularités. Les Choolers sont nés en 2009 dans le cadre d’un projet européen. Ils étaient à l’époque une dizaine sur scène. Six handicapés mentaux parmi lesquels la star Pascal Duquenne. Aujourd’hui, ils ne sont plus que deux: Philippe Marien et Kostia Botkine. 30 ans, casquette à l’envers et t-shirt Pop culture, Phiphi est un peu le Joey Starr de l’histoire. La boule de nerf des Choolers. Phiphi rappe. Phiphi hurle. Phiphi se roule par terre, se prend le paquet en main et fait le Moonwalk (ils sont fans de Michael Jackson). Son énergie contraste avec celle de Kostia, sa présence plus sombre et introspective… On est loin ici de l’atelier protégé. D’accord, on ne comprend rien de ce qu’ils racontent. Mais c’est le cas d’un rappeur sur deux. Puis la spontanéité, la niaque et la sincérité, c’est un peu comme l’esperanto… Encadrés par quatre musiciens expérimentaux, les deux trisomiques passent derrière les machines pour enflammer le Labo le temps d’un morceau. Sortent les masques de catcheurs mexicains et trinquent au Kidibul pour l’anniversaire de Kostia. Viscéral, bordélique, jouissif et carrément dingo. Aussi punks que rappeurs, les Choolers évitent le circuit institutionnel et les vilains mots tels que musicothérapie. Faut cultiver la différence et non l’indifférence, comme disait ce grand philosophe de Pascal Légitimus.

Cinq heures plus tard, alors que l’Experimental Tropic Blues Band fout le bocson à la Caverne et pense terminer son concert avec le Garbageman des Cramps, Philippe et Kostia débarquent sur scène et prennent le pouvoir. Les Choolers figureront sur le prochain Tropic… « De temps en temps, quand Antoine (Boulangé, ndlr) est en tournée avec les Choolers, je gère l’Atelier musique du centre La Hesse à Vielsalm, explique Jérémy Alonzi, alias Dirty Coq. J’ai rencontré Philippe et Kostia et ils feront un featuring sur notre prochain disque. Ce sera un album des Tropics mais relativement hip hop avec des grosses basses et des boîtes à rythmes. Phiphi et Kostia sont incroyables. Ils ont une liberté, un truc instinctif que tu ne trouves nulle part ailleurs. J’apprends beaucoup à leur contact dans la manière d’aborder la musique. Kostia est très introspectif mais Phiphi, il se lâche. C’est un animal. J’adore. Cette liberté-là, moi, je peux juste essayer de l’effleurer… Ils sont hallucinants. Ultra prolifiques. Tu leur mets une instru d’Edith Piaf et ils rappent dessus. Quand on s’est vus pour le disque, ils ont fait 17 titres en impro sur une seule petite journée de studio. »

Phiphi assure le show et bluffe le public rockeur de l’Experimental Tropic Blues Band avec un booty shake dont il a le secret. « Ils ont de ces tronches. Ce sont des vrais weirdos. Les gens essaient d’avoir un regard compatissant mais ça ne dure pas longtemps. Quand tu les vois, tu te dis: c’est qui ces mecs-là? Comme tu te demandais qui étaient ces drôles de types avec leurs crêtes dans les années 70… Je les trouve vraiment bons. C’est un groupe. Il joue à Dour. Ca dépasse tout question de handicap. C’est un super band et basta. Le paysage du hip hop est en perpétuelle mutation. Il est devenu de plus en plus weirdo, étrange. Et ça, ça leur va bien aux Choolers. »

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