dEUS tombe toujours aussi bien
Lundi soir, le groupe donnait le premier de ses huit concerts à l’Ancienne Belgique, revisitant The Ideal Crash, sorti il y a 20 ans. Impressions.
Il fallait le faire. Vingt ans après sa sortie, dEUS peut rejouer The Ideal Crash, son magnum opus, et squatter pendant une semaine entière l’Ancienne Belgique. Un record. Quitte à céder à la rétromania, c’était sans doute bien un minimum. Avec pour principal moteur, la nostalgie? Évidemment. Il suffisait de voir l’âge du public, quasi uniformément quadra, lundi soir. À l’époque de sa sortie, il avait 20 ans, peut-être 25, et prenait l’album en pleine tronche, pile poil au moment où la musique s’incruste une dernière fois dans votre vie, avant souvent de ne plus devenir qu’un simple décor…
Alors dEUS joue le jeu. À l’AB, il suit les règles de ce qui est devenu un exercice de style: dérouler l’album célébré, joué dans son intégralité, en suivant scrupuleusement l’ordre de sa tracklist. En l’occurrence, elle est impeccable, son autorité incontestable. Tom Barman a raison quand il explique dans ses récentes interviews qu’il est parfois nécessaire d’entretenir sa propre histoire, son propre « patrimoine », sous peine de le voir disparaître. On n’a jamais vraiment remis en doute les qualités, la grandeur même, d’un disque comme The Ideal Crash. Mais de le voir et l’entendre se déployer à nouveau sur scène, rappelle en effet à quel point il est capable d’imposer sa dramaturgie flamboyante. Dès l’entame, avec Put The Freaks Up Front, c’est la tempête, l’orage qui gronde: Tom Barman, en kilt, fait front (il l’assure une nouvelle fois: « Love is the only thing that makes me do this »); derrière sa batterie, Stephane Misseghers, voix d’ange torturé, donne la réplique. Le morceau s’emballe encore un peu plus quand les danseurs de Ann Van den Broek (Ward/Ward) envahissent la scène: un clin d’oeil à la tournée de 99, qui avait déjà emmené plusieurs membres des Ballets C. de la B.
Plus loin, One Advice Space donne le tournis: comme sur la plupart des titres de l’album, dEUS a construit un labyrinthe mélodique sinueux, imbriquant plusieurs morceaux dans un seul, et c’est toujours aussi fascinant à suivre. Des morceaux originaux, le groupe ne s’éloigne en fait pas énormément. Certes, Bruno De Groote, qui a succédé l’an dernier à Mauro Pawlowski à la guitare, apporte sa touche à l’édifice, mais sans jamais brusquer les mécanismes en place. En fait, à quelques exceptions près – l’intro posée de The Magic Hour -, dEUS reste fidèle aux versions de l’album. On pourrait le déplorer: après tout, quitte à ressasser, le groupe aurait pu offrir un relifting. Sauf que The Ideal Crash n’en a pas vraiment besoin. Il y a toujours un risque à revenir sur le passé: celui de réaliser qu’il n’était finalement pas si brillant que ça. Rejoué vingt ans après sa sortie, The Ideal Crash prouve au contraire qu’il reste inattaquable, un moment de grâce comme un groupe n’en connaît que peu (voire pas) dans une carrière.
Il y a quand même un petit hic. Si le disque n’a rien perdu de sa superbe, que le groupe est en place, pourquoi alors, lundi soir, le public a-t-il régulièrement donné l’impression de rester à quai? OK, il s’excite et jubile dès que résonnent les notes d’intro d’Instant Street, dégainant les smartphones tel une foule de millenials devant un concert hip hop. Sans blague. En outre, les rappels n’ont pas manqué de faire mouche (Quatre mains, Fell Off the Floor Man, Roses, Nothing Really Ends). Mais pour le reste, l’AB a souvent eu du mal à s’emballer. La faute à l’exercice? Après tout, la tracklist d’un album ne correspond pas forcément à la dynamique particulière d’un concert (ici, en l’occurrence, le tube joué en milieu de set). Ou alors, le souci est ailleurs. On lance une hypothèse: peut-être que la génération X, après être passée une première fois à côté de sa jeunesse, rongée par l’apathie et le cynisme, préfère toujours la tenir à distance, cette fois planqué derrière le paravent de la nostalgie? Bref. On en reparle. Ou pas.
En attendant, dEUS a prouvé une nouvelle fois qu’il maîtrisait à merveille l’art de la chute. Dans son film Anyway The Wind Blows, Tom Barman faisait dire à l’un de ses personnages: « la vie te donne des baffes, l’important c’est de rester beau ». Cela vaut toujours. Puisque le crash final est inévitable, autant le rendre aussi « idéal » que possible…
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici