Sur la route avec dEUS, pour les 20 ans de The Ideal Crash

Une partie de dEUS a changé, mais pas son leader, Tom Barman. © CHARLIE DE KEERSMAECKER

dEUS célèbre les 20 ans de son album-fétiche, The Ideal Crash. L’occasion d’une réédition en bonne et due forme. Et surtout d’une tournée européenne, qui avant de remplir huit fois l’Ancienne Belgique, a démarré au Portugal et en Espagne. Reportage sur place.

Mercredi 24 avril, Lisbonne. À l’affiche du Coliseu dos Recreios, ce soir, dEUS. Dans le hall, les écrans télé diffusent le clip d’Instant Street, dans lequel Tom Barman et les siens s’échappent du Café d’Anvers pour se mettre à danser dans les rues de la métropole. La scène est connue: elle a 20 ans. C’est en effet en 1999 qu’est sorti The Ideal Crash, le troisième disque de dEUS, probablement le plus cohérent du groupe, après les fulgurances géniales de Worst Case Scenario (1994) et In a Bar, Under the Sea (1996). C’est aussi l’album qui lui donnera accès au grand public. D’Amsterdam à Athènes, de Glasgow à Glastonbury, d’Hambourg à Haïfa: partout, les salles afficheront complet.

Pas étonnant donc que dEUS ait choisi ce disque pour se pencher pour la première fois sur son passé, avec une tournée-anniversaire qui l’emmènera à peu près partout en Europe. En Belgique, cela se passera à l’AB, avec une série de huit concerts. Tous complets.

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À Lisbonne, première date officielle de la tournée, les 4.000 places du Coliseu dos Recreios ont également trouvé preneurs. Pas de quoi stresser les membres du groupe, qui débarquent en début d’après-midi. Tout le monde est là. Sauf Tom Barman. Le leader rejoint la troupe une heure plus tard. « J’ai été choisir un carrelage. » Un carrelage? « Oui, j’ai appris qu’à 15 kilomètres de chez moi se trouvait un artisan connu dans le monde entier pour son travail. Je suis arrivé quelques jours plus tôt pour aller jeter un oeil. » Ces faïences sont destinées au pied-à-terre que Tom Barman s’est offert dans un petit village de pêcheur, à côté de Lisbonne. Un appartement avec vue sur l’océan Atlantique. « Le Portugal est mon pays d’adoption. » Il y passe deux, trois, parfois quatre mois par an.

Il faut dire que le Portugal a toujours été particulièrement hospitalier envers dEUS. Klaas Janzoons, membre de la première heure, se souvient encore parfaitement de la folie dEUS, à son apogée. C’était en 1999. Avec The Ideal Crash. Au Coliseu dos Recreios. « À cette époque, partout où l’on jouait, c’était dingue. Mais ici, c’était encore plus chaud qu’ailleurs », se souvient le violoniste. « Après le concert, on avait pris l’habitude de traîner au café de la salle pour se mêler aux fans. Mais cette fois-là, ça ne s’est pas passé comme d’habitude: on s’est retrouvés quasi poursuivis par des fans. C’est la seule fois où j’ai pu expérimenter directement l’autre facette du succès, moins agréable. »

Moins d'excès, mais toujours la même intensité pour un tournée-anniversaire à travers toute l'Europe.
Moins d’excès, mais toujours la même intensité pour un tournée-anniversaire à travers toute l’Europe.© CHARLIE DE KEERSMAECKER

Pas de débordement au programme ce soir, à Lisbonne. À part peut-être en coulisses, qui, peu avant le show, se retrouvent envahies par une série de têtes connues, dont Christian Pierre, manager historique de dEUS. Il arrive directement de Londres, où il assisté la veille à un concert de son poulain Tamino. Le lien entre le jeune musicien et le groupe remonte à loin. « Vous vous souvenez de la descente de police en 1996, durant laquelle Tom et Craig Ward s’étaient fait embarquer, soi-disant pour possession de cocaïne liquide? Des conneries, évidemment. La cocaïne liquide n’existait même pas par ici. Ils ont d’ailleurs été libérés. Grâce à leur avocat, le grand-père de Tamino. »

Filip Eyckmans est également de la partie. Le rôle qu’a joué l’ex-co-manager du groupe (jusqu’en 2000) dans l’avènement de The Ideal Crash est tout sauf anodin. Jusqu’à l’année dernière, il gérait encore Enfrente Arte, l’hôtel-studio où le disque a été mis en boîte, en Espagne. « Précisément à Ronda! Une petite ville d’Andalousie qui, à l’époque, n’était pas encore trop touristique. J’y ai racheté un hôtel et le bâtiment vide à côté, dans lequel j’ai monté un studio. Il n’y avait pas d’heure de fermeture, vous pouviez déjeuner jusqu’à trois heures de l’après-midi et on pouvait se servir librement au bar. Ce dont personne ne s’est privé évidemment. « Pas de règle », c’était la seule règle. On était jeunes, hein. »

« Au fond, on boit toujours des coups chez dEUS? », demande Eyckmans… « Évidemment, Flippie! », confirme Barman. « On fait tout comme avant. Tout, sauf… » Rires. Et clins d’oeil entendus… On n’en saura pas plus. Mais une chose semble claire: de véritables excès il n’est plus vraiment question chez dEUS en 2019. Un verre de vin rouge ou un long drink: Barman, Janzoons, le bassiste Alan Gevaert et le dernier arrivé Bruno De Groote n’ont pas besoin de davantage pour se détendre avant le show. Après, c’est un peu différent…

Sur scène, justement. De Put the Freaks Up Front à Dream Sequence #1, l’album est parcouru dans son intégralité. Jusqu’à l’outro instrumentale d’Instant Street. Le morceau sonne comme l’hymne d’une équipe qui vient tout juste de remporter la Champions League. « This time I go! », hurle Barman, l’excitation à son comble. Le début idéal d’un trip nostalgique qui ne l’est pas moins.

Moins d'excès, mais toujours la même intensité pour un tournée-anniversaire à travers toute l'Europe.
Moins d’excès, mais toujours la même intensité pour un tournée-anniversaire à travers toute l’Europe.© CHARLIE DE KEERSMAECKER

Play blessures

Tom Barman a une relation ambiguë avec le passé. « Je pense que c’est le propre des artistes de laisser les vieux brols derrière eux. Seul le présent devrait compter. D’un autre côté, avec le temps, vous créez une histoire. Si vous ne la nourrissez pas, le groupe meurt. Et si vous restez muets à son sujet, vous mourez une seconde fois. »

Entre-temps, après la petite fête de la veille, au bar du Coliseu, le groupe est arrivé à Porto. Assis à la terrasse de la Cais de Ribeira, le long du Douro, Barman s’enfile un shot d’aguardente. De quoi délier la conversation. « Dès le premier disque -et même encore avant, puisqu’à l’époque on avait déjà usé quatre guitaristes-, il était clair que dEUS deviendrait une sorte de plate-forme toujours en mouvement, obligée de se réinventer chaque fois. Ça n’était pas différent avec The Ideal Crash. Après le départ de Stef (Kamil Carlens, NDLR), j’ai dû me dire: « Si c’est comme ça, je reprends les commandes ». J’avais alors 27 ans et plein de choses à prouver. Pour la première fois, The Ideal Crash sonnait comme un tout. Sur scène, c’était aussi plus « cadré ». J’en avais assez de ces concerts affreux, où l’on arrivait sans setlist, et sous l’influence des médocs que l’on prenait alors. The Ideal Crash était aussi une manière de dire aux nostalgiques et à tous les journalistes prétentieux, qui restaient accrochés au premier album: « Prenez le pli ou alors dégagez le plancher ».« 

En 1999, dEUS était constitué de Barman, Klaas Janzoons, mais aussi du guitariste Craig Ward, le bassiste Danny Mommens et Jules De Borgher à la batterie. Quel a été l’apport de chacun? « Craig s’est beaucoup impliqué dans ce disque. Peut-être même parfois un peu trop. Mais il a amené de très bonnes idées. Comme cette fois où il a demandé si ça dérangeait qu’il joue du banjo. Au départ, c’est quand même un instrument de folkeux en chaussettes de laine. Mais on faisait ce qu’on voulait. Ça a donné Instant Street. Un hit! Enfin, un hit à la dEUS, parce qu’il fait quand même 6 minutes et 20 secondes. Ce n’est pas comme si on avait tout à fait perdu le côté têtu de nos disques précédents, ni nos tendances à l’autosabotage. » Quant aux autres… « Eh bien, Jules s’est contenté de rester simplement dans le groupe, ce qui était déjà important. C’est comme ça chez nous: si tu restes, tu t’impliques, sinon bye bye (rires). On connaissait déjà Danny comme chanteur-guitariste de SeXmachines, et comme « figure » notoire de la vie nocturne. Il a amené un certain humour, une attitude rock’n’roll, et une sorte de légèreté dont The Ideal Crash a pu profiter. Parce que si ça n’avait dépendu que de Craig et moi, ce disque aurait pu vous donner envie de vous tailler les veines. »

Pour autant, l’album reste malgré tout assez sombre. « C’est vrai. Les textes ont été écrits après une rupture particulièrement douloureuse. Ce n’est même pas comme si j’y exprimais des doutes. Non, c’était plutôt: « Je ressens des envies de vengeance! je sens de la colère, de la fureur! » Rien que des grands sentiments. L’autre jour, quelqu’un a comparé The Ideal Crash à un toréador: fier, mais aussi hyperdramatique. Je peux me retrouver là-dedans. Ce disque affiche une sorte de gravité. Une posture un peu altière et solitaire, parce que le disque a été fait dans un certain isolement. À Ronda, on enregistrait juste à côté du fameux pont qui surplombe la gorge du Tajo, et qui est connu pour attirer ceux qui cherchent à se suicider. Difficile de faire plus symbolique… »

Sur la route avec dEUS, pour les 20 ans de The Ideal Crash
© CHARLIE DE KEERSMAECKER

À Porto, le Hard Club est de dimension plus modeste. Mais ici aussi, les 1 350 tickets sont tous partis. Barman insiste: ce soir, il faudra jouer plus aiguisé -« Tighter than a nun’s fanny! ». Les répétitions sont donc écourtées, l’occasion pour tout le monde de retourner dans le tourbus pour une sieste réparatrice . Seul Stephane Misseghers traîne encore dans la salle: il a des cymbales à faire clinquer. Le batteur n’a intégré dEUS qu’en 2004 -juste à temps pour assister aux fameuses 24 heures au cours desquelles Craig Ward disparut sans crier gare, et Danny Mommens fut renvoyé à la maison après une baston avec Barman… Dès 1999, il était cependant déjà dans le coin, au sein de Soulwax, qui était alors programmé en première partie. « J’avais 21 ans, c’était ma première grosse tournée. Je n’oublierai jamais ce moment où l’on a vu débarquer les mecs de dEUS dans leur tourbus Silvergray clinquant. Et surtout, la dégaine qu’ils avaient quand ils en sont sortis. Vous pouviez voir qu’ils étaient déjà sur la route depuis un moment. Stephen et David Dewaele mixaient alors pendant les aftershows. Ces fêtes étaient démentielles. »

Pas d’after prévue cependant ce soir. Après un concert à nouveau très réussi, une étape de plus cinq heures de bus attend la troupe…

Madeleine de Proust

« La tournée-thon! », s’exclame Tom Barman dès l’arrivée à Madrid. La tournée-thon? « Notre toute première tournée passait déjà par ici. Je l’appelle comme ça, parce que notre camionnette était en permanence envahie par l’odeur de thon en boîte. Et par celle des pieds de Klaas (rires). C’était en 1992. On jouait quelques morceaux à moi et une série de reprises, mais aussi déjà des premières versions de Via et peut-être même de Suds & Soda. Ça sonnait encore très anguleux et crasseux. Mais notre identité commençait déjà à prendre forme. » Madrid, la ville où dEUS est devenu dEUS.

Pour Bruno De Groote, qui a succédé à Mauro Pawlowski en 2018 comme guitariste de dEUS, cette tournée anniversaire est aussi un peu une sorte de « tournée-thon », une première fois. « L’an dernier, j’ai joué une dizaine de concerts avec le groupe, mais c’était vraiment des galops d’essai », explique-t-il dans les coulisses de La Riviera, une salle située le long de la rivière Manzanares. « Même si je n’ai jamais suivi dEUS de très près, The Ideal Crash est un disque qui me parlait déjà à l’époque. J’aime ces chansons, dont le noyau reste très pur, très simple. Sister Dew, par exemple, aurait pu être un morceau de Bob Dylan, c’est du folk! Même si on m’a bombardé comme le « musicien jazz qui a atterri chez dEUS », la palette de Craig Ward n’est pas si éloignée que ça de la mienne. Et puis n’oubliez pas que dans le jazz, je suis vu un peu comme le vilain petit canard, parce que je suis aussi friand de sons plus modernes et expérimentaux. De ce point de vue, je colle aussi à l’univers de dEUS, même si je suis différent de mes prédécesseurs. Rudy Trouvé était un expressionniste, un fou furieux, imprévisible. Craig était plus réservé, plus conceptuel, cubiste. Il jouait de manière très précise, comme Mauro d’ailleurs par la suite. Je ne me sens pas aussi contraint. Je trouve amusant d’essayer des choses sur scène et de surprendre aussi bien les autres que moi-même. »

Pour la première fois de la tournée, le soleil fait son apparition. Résultat: quand Trixie Whitley monte sur scène pour assurer la première partie de la soirée, de nombreux Madrilènes sont encore en terrasse. « Typique des Espagnols, qui arrivent toujours à la dernière minute », sourit Alan Gevaert, qui ne perd pas une seule miette du concert de celle qui est aussi sa nièce.

De fait: juste avant que dEUS ne monte sur scène, la file continue de s’allonger devant La Riviera. Les Espagnols sortent de leur « siesta », prêts pour la « fiesta ». Car c’est bien de fête qu’il s’agit, ce vendredi soir à Madrid. Elle sera prolongée avec des dates prévues notamment à Milan, Vienne, Berlin, Copenhague, Paris, Londres et Bruxelles.

Et ensuite? « Quand tout sera fini, je ne veux plus entendre Instant Street pendant au moins un an et demi », affirme Tom Barman. « Ce genre de tournée-anniversaire, c’est bon pour une fois. Mais après ça, on veut se consacrer entièrement au nouveau disque. L’accouchement devrait à nouveau être long et le résultat sonner différemment des précédents. Il va falloir à nouveau réinventer dEUS. »

dEUS, The Ideal Crash (20th anniversary edition), distr. Universal.

Du 20 au 27/05 à l’AB, Bruxelles. Également le 07/07 au Cactus Festival (Bruges) et le 12/07 à Rock Herk.

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