Des concerts qui carburent au super

Rick Wakeman - Sur patinoire
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Fatigué de la routine des concerts? Parfois pourtant, le train-train scénique prend la tangente: excentricité, mégalomanie, spiritualité, théâtralité et bouffonnerie nourrissent quelques performances rentrées dans l’histoire du rock, de Rick Wakeman à Didier Super.

Au début, vers 1955 après JC, il y a donc des musiciens et un public. Une scène de bois, des spots aussi malingres que les amplis. Et beaucoup d’hystérie qui comble l’espace. Ce rock-là dure une décennie jusqu’au moment où personne n’entend plus rien -les Beatles au Shea Stadium, août 1965- et que s’avance une nouvelle théâtralité. Aux tournures californiennes via des projections psychés: effet défonce garanti. La musique s’habille d’influences sixties -performances, Living Theatre, drogues- que les seventies développent généreusement. Le concert, barré en bacchanales visuelles, teste d’autres lieux de propagation: bateau, église, pyramide, patinoire, train, camion. Accompagné de déguisements plus ou moins sensés. De la petite bière comparé au post-punk américain GG Allin (1956-1993), fameux pour déféquer régulièrement sur scène où il pratique également coprophagie, mutilation et violences diverses. Il avait promis de se suicider en plein concert: il a menti, mourant -dans un appartement- d’une « banale » overdose d’héroïne. Petit florilège des concerts les plus barrés.

Flaming Lips – Plastic Wayne

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© GETTY IMAGES

Ils alignent confettis, figurants déguisés en animaux et structures gonflables en forme de saint Nicolas ou de morse, selon la saison. Mais la plus gonflée aux concerts du groupe américain, c’est évidemment la bulle de trois mètres de diamètre dans laquelle s’enferme le chanteur Wayne Coyne. Qui, depuis plus d’une décennie, maintient le rituel de surfer sur le public dans cet emballage malléable et, quand même, casse-gueule. Il en est à ce point énamouré que le 5 janvier 2019, il marie sa régulière, Katy Weaver, dans une version XXL de la bulle.

Bonus: Autre matière gonflable, le pénis géant alternativement chevauché ou frappé par Mick Jagger lors de la tournée des Stones 1975-1976.

Rick Wakeman – Sur patinoire

Un grand cru. Le saint-émilion du ridicule sera octroyé à Rick Wakeman pour ses shows au Wembley Arena les 30, 31 mai et 1er juin 1975. Claviériste doué, Wakeman a 20 ans lorsqu’il joue sur le Space Oddity de Bowie à l’été 1969 et deux de plus, sur Life on Mars? En scène avec le mammouth prog-rock Yes (1971-1973), Wakeman porte la cape devant un régiment de claviers alors qu’une (fausse) moule géante domine la batterie. Pour son troisième album solo, sorti en 1975, The Myths and Legends of King Arthur and the Knights of the Round Table, Ricky envisage initialement un concert au château médiéval de Tintagel, en Cornouailles. Devant l’infaisabilité du projet, Wakeman pense à une réplique gonflable du château avant de choisir la Wembley Arena. Celle-ci n’est libre qu’aux dates précédant la production Ice Follies: l’espace central sera donc déjà transformé en patinoire à glace. Qu’à cela ne tienne, ce sera le Roi Arthur en mode frisco: au milieu de la banquise artificielle, Wakeman dirige un orchestre et un choeur pléthorique, alors que 19 acteurs patinent en costumes, mimant la saga d’un souverain mort quatorze siècles auparavant. Bien que 27.000 spectateurs remplissent les trois shows, Wakeman perd de l’argent sur cette élucubration live, largement regagné par les douze millions d’exemplaires écoulés de The Myths and Legends…

Bonus: En décembre 2013, Metallica joue en Antarctique, sous un dôme protecteur devant une poignée de scientifiques et de fans. Plus glacé que Rick, mais moins drôle.

Arcade Fire – Tournée d’églises

Arcade Fire - Tournée d'églises
Arcade Fire – Tournée d’églises© GETTY IMAGES

Souvenir perso: Win Butler en voisin d’urinoir dans les toilettes de la Judson Memorial Church. Ce soir d’hiver 2007, Arcade Fire donne un concert intime dans une église new-yorkaise. Deux semaines auparavant, à la St. John’s Church de Londres, les mêmes débutent la soirée au coeur de l’audience, avec une reprise acoustique du Guns of Brixton de Clash. Avec sa grand-messe pour lieux sacrés, Arcade Fire est raccord à Neon Bible, nouvel album qui interroge alors les croyances au-delà du spirituel. De petits lieux décalés avant le décollage pour le rock-à-stade: une façon de regarder les dieux américano-canadiens en eaux bénites.

Bonus: Le 16 décembre 1972, Catherine Ribeiro et son groupe Alpes jouent devant 4 000 spectateurs à la cathédrale bruxelloise Saints-Michel-et-Gudule, qui n’a pas dû bien lire leur CV, païen et libertaire. Très loin du petit Jésus.

Grateful Dead – Aux pyramides

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© Adrian Boot / Urbanimage.tv

Toujours prêt pour le prochain trip inédit, le groupe hippie donne trois concerts en septembre 1978 à l’ombre des pyramides du plateau de Gizeh. Avec l’idée de mixer le son live et celui capté, via un micro, dans la fameuse chambre du Roi de la grande pyramide dotée d’un écho majeur. Résultat? Un mic-mac sonore dans un plantureux décor qui vire à la pleine lune le premier soir et fait danser les Bédouins.

Bonus: Fin 2008, Placebo se produit sur le fabuleux site millénaire d’Angkor Vat au Cambodge pour une soirée de charité.

Sex Pistols – Anarchie-sur-Tamise

Des concerts qui carburent au super
© GETTY IMAGES

Le 7 juin 1977, pour célébrer le royal jubilé, les Sex Pistols entourés d’un cirque copains-médias embarquent sur une barge sur la Tamise. Dans une ambiance parano, le concert démarre sur Anarchy in the UK mais la police qui patrouille oblige rapidement le bateau à accoster. Fracas, insultes, coups: les Pistols s’éclipsent à quai alors que le manager Malcolm McLaren et dix autres personnes sont emmenés au cachot.

Bonus: Alice on the Roof se l’est joué en version aquatique, sous un caisson étanche immergé dans la piscine Nemo 33 à Uccle en octobre dernier.

Matthew Herbert – Tour de cochon

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Avant même que l’album One Pig de Matthew Herbert ne paraisse fin 2011 -l’histoire de la vie d’un porc jusqu’à sa mort-, les organisations de protection animale s’agitent contre cet hommage musical au saucisson. Elles ne sont pas encore conscientes du dispositif scénique du groupe à Herbert -fringué en apprentis-bouchers- et le must du concert, la cuisson live de bidoche de porc.

Bonus: Jamais le dernier des imbéciles, Ozzy Osbourne décapite avec les dents une chauve-souris morte jetée sur scène, lors d’un concert américain en 1982. Il la pensait en plastique.

Les aventures du Prince Marrant

Des concerts qui carburent au super
© PHILIPPE CORNET

« Et si Didier Super était la réincarnation du Christ? », questionne la pub du spectacle affublé de l’appellation « comédie musicale ». Le 24 janvier, le show « minable, décevant et mysogyne », selon le propre slogan de Super, ne remplit pas le Cirque Royal. Sur la scène qui a connu Béjart ou Roxy Music, le natif de Douai -bled de 40.000 personnes en France ch’ti- propose son musical. A priori un contre-emploi génétique pour ce quadra de 1973, bourlinguant depuis une quinzaine d’années un numéro, souvent solo, de Deschiens punkoïde. Son absurde est de nature provoc engagée, un peu comme si Mélenchon avait grandi dans le charbon nordiste en écoutant les Bérus tout en ratant son bac en Desproges. Raccord avec cette hybridité franchouilleuse, Didier -Olivier Haudegond pour l’État- débarque en short blanc et sous-pull rose trop court devant le public gondolé du Cirque. Dévoilant des poignets d’amour et un look proto-SDF qui ferait passer François Pirette, qu’il évoque vaguement, pour Yves Saint Laurent. À ses côtés, un décor. Le mot s’avère prétentieux pour un mic-mac de brolitudes: matelas, machin gonflable, podium de fête d’école, plastoches et déguisements de fin de soldes, dont un costume d’ours blanc. Et un promontoire permettant à Monsieur Super de dévoiler la conduite en pente raide d’un BMX, l’un de ses talents notoires. Ses acolytes, deux choristes, une section rythmique et un type cantonné au rôle de simplet, font chauffer la salle et la colle musicale binaire, très punk amateur 1977. Avec, notons-le aussi, des chorégraphies de troisième maternelle. L’ensemble est foutraque, graine d’anar, drôle -parfois moins-, borderline, d’un mauvais goût endémique, mais peut difficilement passer pour une comédie musicale . Au sens où Michel « Starmania » Berger ne se retournerait pas dans sa tombe.

Payé pour dire du mal

Après la performance, Super s’explique: « C’est une histoire avec des chansons et des cons qui dansent, donc c’est une comédie musicale! On a eu une prof de danse au début mais on avait tous 35-37 ans, donc trop tard…. J’ai commencé l’écriture de la chose en 2008, et j’ai fait lire le pitch à mon producteur. Du coup, je n’avais plus de producteur donc, on l’a faite sans tune, on s’est démerdé. On l’a tournée pendant huit ans mais il y a très rarement eu des institutionnels, des gens avec de l’argent public qui voulaient la faire découvrir à leurs abonnés. On n’a existé que par la billetterie, pas par les subventions: les programmateurs disaient que s’ils montraient ça à leurs élus, ils se feraient virer! Il n’y en a qu’un qui a bien voulu la faire mais c’était parce que l’année d’après, il partait de toute façon à la retraite (rires). Je pense que les comédies musicales qui ne dérangent personne ont toutes été faites, donc c’est pas mal d’ajouter un petit ingrédient. Le théâtre, c’est toujours politique à partir du moment où tu déranges. La politique? En France, je pense que le gouvernement n’écoute juste pas les conditions que lui-même crée, mais là, il pédale dans la choucroute. Et je pense que le mouvement Gilets Jaunes doit être européen et même mondial. Au final, le seul moteur de tout ça, c’est mon envie. Et le fait peut-être de « conforter » l’intuition des gens sur un certain état des lieux. Faut pas oublier que je suis payé pour dire du mal, rien d’autre. »

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