Le groupe Deadletter, du post-punk en tournée perpétuelle: «Je laisse la musique prendre le contrôle»

"George, Alfie et moi bossons à côté comme jardiniers. La musique ne rapporte actuellement pas assez d’argent pour qu’on puisse en vivre." Zac Lawrence (à gauche) © Daniel Delikatnyi
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Après avoir écumé les festivals et les salles de concerts, Deadletter s’attaque enfin aux bacs des disquaires. Dansant, malin et engagé.

Il y a quinze ans, les Black Lips donnaient pratiquement autant de concerts qu’il y avait de dates dans le calendrier. Deadletter est un peu son jeune équivalent anglais. On ne compte plus ses prestations en Belgique alors que son premier album Hysterical Strenght voit seulement la lumière du jour. Deadletter semble sauter sur la moindre opportunité qui lui est offerte de toucher un nouveau public, de conquérir de nouveaux fidèles. (Ils seront en concert le 11/10 au Grand Mix à Tourcoing et le 30/10 au Trix à Anvers). Il a usé les pavés du Yorkshire, écumé les bars de Londres, assuré des premières parties de Placebo. Et le soir de notre discussion, il ouvre pour les Editors à Sofia… « Quand on nous a proposé d’accompagner Brian Molko et sa bande en tournée (au Sportpaleis notamment, NDLR), on s’est demandé si c’était une bonne idée, avoue le chanteur Zac Lawrence. Notre musique est très différente de la leur et je ne veux pas que les stades deviennent notre réalité. Mais on y a vu la possibilité de faire un truc dont nous n’aurions probablement plus jamais l’opportunité. »

Quand on leur demande qui leur a donné envie de monter sur une scène et de pratiquer ce métier, les Anglais dévoilent déjà toute leur humanité. « Vers l’âge de 13 ans, on a été voir le frère aîné d’Alfie (Husband, batterie) qui faisait la manche à Whitby, se souvient le bassiste George Ullyott. Je n’avais jamais vu quelqu’un de mon âge avec un instrument ou qui que ce soit proposer de l’art de la sorte aux passants. J’ai trouvé ça cool et courageux. »
« Les goûts de ma mère ont exercé une grande influence sur moi,
avoue Lawrence. J’ai grandi avec de la super musique à la maison. J’ai toujours aimé chanter, jouer, que ce soit à l’école ou ailleurs. Mais il a fallu cet événement pour comprendre que je pouvais devenir musicien. »

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De la rue à la scène

Potes d’enfance, Zac, Alfie et George ont commencé par jouer dans la rue. « On revisitait Bob Dylan, Simon and Garfunkel, les Waterboys, Old Crow Medicine Show. » Ils ont ensuite pris les choses plus sérieusement et la poudre d’escampette. Bye bye le Yorkshire. Direction Londres, la capitale, où il se lieront à Will, Sam, Poppy (qui vient de quitter le navire) et plus récemment Nathan. « Ça nous a appris que tu pouvais tisser un truc avec des inconnus en train de se promener si tu prenais plaisir à ce que tu fais. » « C’est grâce à cette période qu’on chante tous sur scène et qu’on projette à ce point nos voix. Parce qu’on essayait de faire du bruit sans être amplifiés. »
L’énergie de Deadletter est communicative et contagieuse. Un joyeux chaos, un post-punk ouvert d’esprit, dansant et engagé qui rappelle The Fall, Gang of Four, A Certain Ratio, les Talking Heads voire un Franz Ferdinand… Ce n’est pas à leur formation scolaire qu’ils doivent leurs talents -« Je pense que le principal intérêt d’étudier la musique à l’unif, commente Ullyott, c’est d’avoir deux ans de moins à tirer en tant que serveur ou caissier… »- mais plutôt à leurs héros. « Mark E. Smith m’a vraiment inspiré par sa présence, s’exclame Lawrence. Quand j’ai abandonné la guitare, j’ai pris conscience de ce qu’il réalisait derrière son approche nonchalante. Il ne bougeait pas tant que ça mais il parvenait à avoir de l’effet sur les gens en face de lui. J’ai aussi compris que j’aimais remuer, danser sur ce que les autres membres du groupe produisaient. Je laisse la musique prendre le contrôle. Je suis mon instinct et mon corps. C’est comme un match de tennis. Du transfert d’énergie. On a toujours défendu cette idée que tout public mérite le même concert. »

Du MacGowan, du Cohen, du Dylan

Lawrence admire les textes du Mancunien. Comme ceux de Shane MacGowan, de David Berman et de Leonard Cohen –Songs of Love and Hate est mon disque préféré de tous les temps »-, de Joni Mitchell, Bob Dylan, Patti Smith et John Cooper Clarke… « Je pense que l’humour et le côté ironique de nos premiers morceaux doivent beaucoup à ce dernier. J’ai commencé à écrire des paroles à 14 ans et j’ai trouvé du réconfort dans l’écriture. C’est pour ça que j’ai continué. Les choses n’étaient pas géniales pour moi dans la vie comme à la maison. Plutôt que de parler aux gens, j’ai trouvé du soutien dans le fait de coucher mes pensées sur papier. »

Zac s’est surtout passionné pour la littérature quand on a arrêté de l’obliger à lire. Il évoque Kes de Barry Hines et son intérêt pour les auteurs russes. « Ils ont eu un énorme impact sur moi. J’aime leur brutalité. Je pense à Nabokov, à Dostoïevski… J’imagine qu’ils se sont frayé un chemin jusqu’à notre disque. Même si je ne sais pas comment. »

Après un EP et pas mal de singles, Deadletter dégaine donc enfin son premier album. Produit par Jim Abbiss (Arctic Monkeys, Adele…), Hysterical Strength est porté par son saxophone et composé de nouveaux morceaux. « Musicalement, on a voulu résumer quelque part ce qu’était Deadletter jusqu’ici. Et on s’est sans doute aventurés sur l’un ou l’autre terrain où on n’avait encore jamais mis les pieds. On n’est pas un groupe générique de post-punk. Je ne pense pas que ce disque se limite à un genre particulier. »

S’il n’a pas de thème, les chansons sont comme de petites études anthropologiques qui soulignent la complexité du monde et la difficulté d’en faire partie. «J’ai appris des choses sur moi en écrivant ces textes. Et j’ai sans doute besoin de ça pour mieux me connaître. Ça éveille ma conscience sur ce que je fais et ma manière de me comporter avec les autres. Ça questionne ma moralité en tant qu’enfant de la terre. »

Zac a compris que la politique était un élément important de notre quotidien au moment du Brexit. « Je n’y avais jamais vraiment réfléchi auparavant pour être honnête. Je me suis intéressé à la manière dont les sociétés sont dirigées. Au fait qu’une personne peut avoir une idée et en convaincre un tas d’autres que c’est la manière selon laquelle ils veulent vivre. Je suis définitivement de gauche, mais ça ne veut pas dire que je dois pour autant soutenir tout ce qui en émane, sacrifier mon éthique et ma vision du monde. »

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