De retour du Guess Who?: tendances et highlights d’une passionnante 12e édition

© Mélanie Marsman
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Pour sa douzième édition, Le Guess Who? a à nouveau brillé par son éclectisme, son audace et son ouverture d’esprit. Musiques d’ailleurs, spoken word singulier, rock racé et jazz décomplexé… Résumé des faits.

« Avec sept milliards d’êtres humains sur la planète, la musique que nous entendons n’est qu’une petite partie de celle qui se promène dans le monde. C’est l’instinct qui nous pousse à continuer de creuser. » Le petit mot de remerciement en apparence anodin qui saluait la fin du Guess Who? et annonçait la vente à prix réduit des tickets pour l’an prochain (103 euros les quatre jours, messieurs dames) résume sans avoir l’air d’y toucher toute la philosophie du festival néerlandais. Dans une industrie où l’imitation, l’assimilation, le clonage ont souvent pris le pas sur la liberté, l’audace et la créativité, l’événement planté dans la splendide et agréable ville estudiantine d’Utrecht est devenu un bastion de résistance. Un symbole d’exploration, d’ouverture, de richesse, de diversité, de multiculturalisme… En perpétuelle réinvention, une métamorphose programmée, guidée par des boss à la vision panoramique et des curateurs sans oeillères (cette année: Shabaka Hutchings, Devendra Banhart, Moor Mother et RVNG Intl., un label indé de Brooklyn spécialisé dans la danse expérimentale et la musique électronique intégrant souvent des genres avant-gardistes), Le Guess Who? s’est imposé comme un rendez-vous incontournable pour les curieux de la musique et les voyageurs du tympan. Ils y ont une nouvelle fois fait le tour du monde en quatre jours. Le coeur léger et l’oreille éberluée. Se promenant de boîte de nuit en église, de théâtre en galerie, quand ils ne parcouraient pas les dédales du gigantesque Tivoli. Sorte de grand paquebot de la musique, de City 2 de la culture… En ces temps où nos dirigeants veulent restaurer les frontières et bâtir des murs, Le Guess Who? les abolit, les détruit, les efface. Tendances et highlights d’une passionnante douzième édition…

Made in Japan

« On a essayé d’imaginer la musique que tu entendrais sortir des baffles d’un motel vieillot des années 80 dans un coin merdique des suburbs de Tokyo », dépeignait Devendra Banhart à propos de son dernier album Ape in Pink Marble. Au Guess Who? qui lui avait cette année confié une partie de sa programmation, le songwriter, à côté de sa vieille amie la folkeuse britannique Vashti Bunyan, de Jessica Pratt et de la rappeuse transgenre Katey Red, a mis un joli coup de projecteur sur la scène nippone et la musique du soleil levant. Outre le pianiste Takuro Kikuchi et l’artiste sonore tokyoïte Chihei Hatakeyama (le festival s’étant chargé d’embarquer à bord les motifs géométriques et électriques de Kikagaku Moyo, bientôt à l’Ancienne Belgique), Banhart a invité Shintaro Sakamoto. Culte au Japon, jadis membre du groupe psychédélique Yura Yura Teikoku, cet ancien étudiant en design graphique à la Tama Art University a fait danser tout son monde à la coule. Pop, lounge, intelligent, dépaysant et groovy… Sacrés Japonais.

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Stand-up musical…

Géniale étrangeté que cet Alabaster dePlume. Poète, saxophoniste, comédien, performeur, troubadour… Le Mancunien de Londres, mec à l’enthousiasme et à la curiosité qui débordent, s’est au fil des années créé un univers particulièrement singulier qu’il réinvente chaque soir entouré de nouveaux musiciens. Parfois des joueurs de thérémine ou un orchestre gamelan… Là où son compatriote Mark Wynn joue la carte de l’autodérision quasi en mode one man show venant raconter sa vie de merde et danser pardessus des morceaux lancés sur son ordinateur, dePlume voyage entre le spoken word, le jazz et le stand-up. Il déclame, chante (parfois à la manière d’un Devendra Banhart) et joue le chef d’orchestre de son propre petit monde. Homme de mots autant que de musique débarqué de l’East London et de son Total Refreshment Center, l’inclassable Anglais manie l’humour avec provocation et philosophie. Capable de vous emmener en deux lignes du rire au plus profond questionnement. Il y a chez ce garçon chaleureux, dont le dernier album The Corner of a Sphere a été produit par Danalogue (The Comet is Coming), une vitalité et une ouverture rassurantes. Bluffant.

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Éternels outsiders

Marxiste et révolutionnaire, personnage incontournable du rock’n’roll plus que de son business, Ian Svenonius (The Make-Up, Weird War, Chain & The Gang) est le genre de mec qui parle aux esprits, ceux de Brian Jones et de Jimi Hendrix, pour écrire un bouquin (Stratégies occultes pour monter un groupe de rock). Le genre de type qui attaque les labels sur un concept album dédié aux disques perdus (The Lost Record), ces plaques sorties dans le dédain et l’anonymat en leur temps qui refont surface au plus grand bonheur des collectionneurs. Claviers et textes corrosifs… En costard comme à l’habitude, juste flanqué d’une charmante demoiselle qui pourrait être sa fille, l’encyclopédie ambulante a plutôt bien réussi son coup dans la grande arrière-salle d’un immense resto à la déco vintage. La preuve vivante qu’on peut vieillir et avancer dignement, fièrement, fidèle à ses principes dans l’industrie de la musique. Toujours aussi intrigante et singulière personnalité aussi que Lonnie Holley, outsider à l’art environnemental reconverti en héritier de Gil Scott-Heron. À 68 ans, le musicien, sculpteur et recycleur afro-américain à la vie cabossée (il est né dans une famille de 27 enfants et a vu son oeuvre monumentale détruite au bulldozer pour agrandir un aéroport) semble sur une autre planète mais nous y invite volontiers de ses vibrantes incantations, accompagné par le duo expérimental Nelson Patton. Fameux numéros…

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Rock around the clock

Le Guess Who? est relativement frileux sur le rock depuis quelques éditions mais quand il en programme, il en a généralement dans le pantalon. Créé en 1999 par Rick Froberg et John Reis, le leader des Rocket from the Crypt, quatre ans après la séparation de Drive Like Jehu, les Hot Snakes ne sont pas ce qu’on pourrait appeler des nouveaux venus. Reformés à l’occasion d’un festival All Tomorrow’s Parties en 2011, les Californiens ont sorti cette année leur premier album depuis quasiment quinze ans. Au Was., d’habitude une grande discothèque perdue au milieu d’un zoning industriel (Utrecht révèle toujours des trésors insoupçonnés), le groupe de San Diego a secoué le jour du Seigneur entre le rock bluesy et sans concession d’Endless Boogie (au Magasin 4 le 25/11), idéal pour se réveiller à midi, les prometteurs petits Belges de Fornet et les vétérans grunge de Mudhoney. On devrait surtout entendre beaucoup parler dans les prochains mois de Crack Cloud. Collectif multimédia emmené par un batteur/chanteur (Zach Choy) au visage peinturluré et des membres aux origines et ethnies un peu dispersées. Intense, énervé, convulsif, Crack Cloud, héritier de la no wave et du post-punk, arrache tout sur son passage de ses rythmes saccadés et de son bordel sèchement organisé. Clips étranges et bricolés (avec des filles en maillot de bain aux couleurs du drapeau américain), riffs acérés, cheveux peroxydés et danses dégingandées… Crack Cloud est fort sommairement décrit comme un enfant de Malcolm X et de Lydia Lunch. De Fela Kuti et des Talking Heads… Ces jeunes-là sentent la compilation Soul Jazz de la fin des années 70 et du début des années 80, invitent violemment les gens à méditer sur leurs privilèges, leurs vices, leur fierté et leur vulnérabilité. Une énorme claque.

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Jazz masters

Depuis quelques années, le jazz est revenu en odeur de sainteté et les organisateurs du festival néerlandais ne s’y sont pas trompés. Ils y ont même contribué. Non content d’accueillir le Art Ensemble of Chicago (un choix de Moor Mother), Le Guess Who? a confié une partie de sa programmation 2018 au saxophoniste Shabaka Hutchings. Invité avec son projet plus électronique The Comet Is Coming, qui a fait danser une salle entière entre l’AB et le Cirque royal, et ses très percussifs (quatre batteries pour l’occasion) Sons of Kemet, Hutchings a -on l’en remercie- invité aux Pays-Bas ses potes d’Ill Considered. Formation basse-saxophone-percus-batterie de l’underground londonien composé de musiciens croisés avec Melt Yourself Down, Petite Noir et Anoushka Shankar, Ill Considered a à la fois la classe, la liberté et le groove. Le jazz a de belles heures, métissées, devant lui…

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Du Brésil à l’Indonésie

Explorateur musical du monde, Le Guess Who? a confirmé son amour de l’exotisme. Direction Rio de Janeiro et la douceur de son soleil plus que la noirceur politique et la violence de son climat actuel… Étudiant en journalisme quand il fondait en 1997 le groupe Los Hermanos, Rodrigo Amarante formait en 2007 Little Joy avec le batteur des Strokes Fabrizio Moretti et sortait il y a quatre ans Cavalo, jusqu’ici son unique album solo. Accompagné ou seul à la guitare acoustique, le Brésilien a envoûté en toute simplicité de sa splendide et chaude voix un public conquis, chanté en français (le joli Mon nom), zappé le générique qu’il a écrit pour Narcos mais joué du Los Hermanos (Condicional) et du Little Joy (Evaporar). Un moment d’apaisement et de pur bonheur pour les amoureux de Caetano Veloso et de João Gilberto…

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Ils se planquent derrière des déguisements à deux balles souvent flashy et des noms de scènes un peu bizarres (Baba Rossa, Mos Locos, Farmerboy…) mais les Orchestra of Spheres sont moins là pour rigoler que pour faire danser et inviter à l’expédition. Venues de Nouvelle-Zélande, ces étranges créatures ont fièrement défendu leur nouvel album. Entre une chanson rituelle qu’on croirait interprétée avec le Velvet Underground (John Cale, sors de ce corps), un hommage au regretté chanteur et guitariste touarègue Koudede et des morceaux remuants aux allures d’électro africaine, les Orchestra of Spheres ont réussi un joli et jouissif tour de force.

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Comme les surprenants Senyawa d’ailleurs. En 2012, Vincent Moon (La Blogothèque) leur avait consacré un petit documentaire intitulé Calling the New Gods. Senyawa est originaire d’Indonésie et emmène la musique traditionnelle javanaise dans une expérience avant-gardiste bluffante. Composé de Wukir Suryadi, qui fabrique ses propres instruments néo-tribaux, et de Rully Shabara, qui impressionne de par ses étonnantes techniques de chant et sa voix des profondeurs (Mike Patton est souvent cité à titre de comparaison), Senyawa est totalement unique en son genre et réussit un fabuleux grand écart entre la tradition et les musiques expérimentales. Un projet pas toujours évident à suivre sur disque mais carrément renversant sur scène et d’une intensité inouïe. On vous croise l’an prochain?

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