De l’Eurovision à l’avant-garde électro : qui est Walter Verdin, bidouilleur culte de la Belpop?

Walter Verdin sort PingPong, compilation de ses recherches électros © Dirk Leunis
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Passé par l’Eurovision avant de virer vers l’art contemporain, Walter Verdin n’a jamais lâché la musique. La preuve avec une nouvelle compilation rassemblant des démos inédites d’expérimentations électroniques. Explications avec un héros oublié de la Belpop, avant son concert à l’AB, ce 10 mai.

Walter Verdin a pris soin de noter la date dans son agenda. Le matin-même, il a d’ailleurs publié un post sur son compte Facebook pour célébrer l’anniversaire. Ce jour-là, quand on le rencontre dans un café de Louvain, «cela fait précisément 42 ans» qu’il a participé à l’Eurovision.

Les oreilles les plus jeunes –et les plus francophones– ne s’en rappellent probablement pas. Le 23 avril 1983, Walter Verdin et son groupe Pas de Deux étaient désignés par ce qui était encore la BRT pour représenter la Belgique lors du fameux concours. Organisé cette année-là à Munich, l’événement se terminera par un nouveau sacre du Luxembourg –Si la vie est cadeau par Corinne Hermès. Avec son titre Rendez-vous, Pas de Deux aura moins de réussite: récompensée de 13 petits points, la Belgique terminera à l’antépénultième place. Soit. Cela n’empêchera pas le morceau et son refrain entêtant –«Rendez-vous/maar de maat is vol/en mijn kop is toe» (ou dans sa version française «Rendez-vous/mais les jeux sont faits/et je suis à bout»)– de devenir un classique absolu de la Belpop.

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Ce n’est toutefois pas la raison pour laquelle Walter Verdin est de retour sur les devants de l’actualité musicale. Ce 10 mai, au lendemain de ses 72 ans, il sera en concert sur la scène de l’Ancienne Belgique. Dans ses bagages, un nouveau disque. Publié sur le label Cortizona, la compilation PingPong regroupe une vingtaine de titres inédits. Des morceaux tirés de ses archives, composés entre 1980 et 2024 –après notamment que Walter Verdin a quitté le monde de la pop pour investir le champ de la création audiovisuelle, se rapprochant des milieux de la danse et de l’art contemporain.

Qu’y entend-on? Une electronica à la fois arty et jouette, piquée de samples, convoquant aussi bien la voix de Jane Birkin que celles de chanteurs traditionnels burundais ou d’un ingénieur de la Nasa. Et même les… Beatles –«Entre deux morceaux, j’ai glissé le même nombre de secondes de silence que l’on peut trouver sur Abbey Road», s’amuse l’intéressé. Un sacré bazar auquel il n’est pas obligatoire de donner un sens particulier. «Du tout. Cela tient à ma manière de travailler. J’ai une conception de l’art qui ne véhicule aucun message particulier. Et, surtout, qui fonctionne sans histoire. Ce qui est un problème à l’époque actuelle, qui ne jure que par ça… Je me sens parfois comme un Don Quichotte se battant contre les moulins du storytelling (rires). L’an dernier, j’ai donné une série de workshops à la haute école PXL à Hasselt. La première chose que j’ai dite aux étudiants, c’était: « Weg met de stories! »» OK, mais on va quand même essayer de raconter la sienne…

Les batailles de Verdin

Né en 1953, Walter Verdin grandit du côté d’Anderlecht dans une famille de cinq enfants où la culture est largement présente. Avant de devenir prof à la KUL, son père a par exemple travaillé à la BRT, comme présentateur –«J’ai découvert récemment qu’il avait même commenté le mariage de Baudouin et Fabiola!»–, avant de diriger la section des émissions arts et jeunesse. Débarqué ado à Louvain, Walter Verdin se retrouve à chanter dans la chorale des pères catholiques et en profite pour former ses premiers groupes. Jusqu’à croiser la route d’un certain Jean-Marie Aerts –guitariste majeur, pas encore membre TC Matic, déjà éminence grise de la scène locale.

De fil en aiguille, Walter Verdin signe un contrat chez Polydor et sort un premier album Cinema, en 1980. Un disque de pop-reggae en néerlandais dans le texte, qui titille les hit-parades avec des titres comme Is er iets ou Zin om in de muur te kruipen. Des morceaux qui parviennent même à trouver leur chemin jusque sur les ondes de la RTBF! « Marc Moulin et Jean-Pierre Hautier les jouaient régulièrement sur Radio Cité (NDLR: très lointain ancêtre de Radio 21-Pure FM).»

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Ce n’est pas la seule connexion avec le regretté Marc Moulin. «En 1978, j’avais déjà réalisé quatre pochettes pour son label, Kamikaze.» Un travail de graphiste qui montre bien que le parcours de Walter Verdin n’a jamais été rectiligne. Un an après l’album Cinema, il se retire d’ailleurs du jeu, dégoûté par le cirque des «maisons de disques, de la presse à sensation, des critiques frustrés, trendsetters, freaks, ivrognes, flamingants et autres commerçants », dixit le communiqué de presse de l’époque. «En réalité, j’étais épuisé. J’ai fait ce qu’on désignerait aujourd’hui comme un burn-out.»

Walter Verdin, fou du labo

En coulisses, il continue malgré tout ses projets musicaux. Avec un groupe comme De Nota, en mode post-punk. Puis avec Pas de Deux, pour lequel il confie le micro à deux chanteuses, Hilde Van Roy et Dett Peyskens. Le combo s’agite le temps d’un mini-album et d’une paire de singles décalés. A l’instar de Rendez-vous, petit bijou de no wave à la belge, assez irrésistible en son genre, mais sans doute trop «bizarre» pour un concours comme l’Eurovision.

Retour vers le futur

Après ce dernier coup d’éclat, Walter Verdin va définitivement prendre la tangente. De plus en plus attiré par l’art vidéo, il quitte le monde de la pop. Creusant les nouvelles possibilités technologiques –son concert-vidéo XAnne Teresa De Keersmaeker, Wim Vandekeybus, etc.

Ces dernières années, la musique de Walter Verdin a cependant bénéficié d’une nouvelle mise en lumière. L’excellent label Stroom a ainsi réédité la bande-son composée en 1981 pour la pièce Adeline. En 2020, la marque Gucci a également ressorti des oubliettes eighties un titre de Pas de Deux, Mani Meme, pour clôturer l’un de ses défilés.

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A peu près à la même époque, Philippe Cortens, patron du label Cortizona, contacte Walter Verdin, via Messenger. «Il rééditait la compilation Noises que Marc Moulin avait sortie en 1977 sur Kamikaze et me demandait de pouvoir réutiliser la pochette.» L’échange ne s’arrêtera pas là. Cortens retombe sur la musique de De Nota qu’il pense également republier. Dans la foulée, Walter Verdin renvoie une série d’autres démos, des expérimentations électroniques restées coincées dans les tiroirs. Pendant toutes ces années, le «bidouilleur» n’a en effet jamais arrêté de bidouiller.

Fou du labo

Le tournant a lieu au début des années 1980. Walter Verdin décide alors d’effectuer son service civil au département audiovisuel de l’Université de Louvain. «Le premier jour, on m’a filé une caméra pour filmer une enquête en rhumatologie…» Il a accès à un matériel audio et vidéo important. Après ses heures, il prolonge ses journées pour se lancer dans des expérimentations sonores. «Le gardien de nuit devint mon plus proche allié», écrit-il ainsi dans les notes de pochette de PingPong. Comme un gamin dans un magasin de jouets, Verdin bricole des morceaux bizarres. Il creuse de nouvelles textures, vise éventuellement une certaine forme de transe. «Souvent, je bossais jusque 1 heure, 2 heures du matin, et puis je sortais en club, comme le Belgisch Congo (NDLR: lieu emblématique de la culture alternative louvaniste des années 80).»

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Dans les locaux de la KUL, il amène son synthé, chipote sur les boîtes à rythme, triture des sons, sample, boucle. Comme il n’y a pas de studio multipiste, il se débrouille pour lancer les trois enregistreurs à bande simultanément –«Le premier pour le playback de la musique déjà enregistrée, le deuxième pour l’enregistrement d’une nouvelle couche, et le troisième pour rajouter des effets». Il découvre aussi que le hall du restaurant universitaire Alma 3 forme une parfaite chambre d’écho. Le soir, quand le lieu est déserté, il place les micros dans le hall et les connecte via de longs câbles à une console de mix située deux pièces plus loin.

Ce sont ces expérimentations que l’on retrouve aujourd’hui dans la compilation PingPong. A l’image des quasi 10 minutes de Minimalize, conçu à l’époque comme la bande-son d’une vidéo. Le morceau fera d’ailleurs prochainement l’objet d’une série de remix, signés notamment par l’Américaine Jlin, le duo Peaking Lights, DJ Marcelle, Céline Gillain, Sagat, etc. Une autre manière de mettre en lumière le travail d’un explorateur sonore jamais rassasié. «J’ai intitulé le texte du livret Serendipity. Parce que l’idée a toujours été de créer des situations ou des systèmes qui permettent de créer de nouvelles possibilités. Plus que de faire passer un discours précis.» Plus loin, il insiste encore: «Ce que je propose, ce ne sont pas des histoires, mais des expériences sensorielles. J’aime citer cette phrase de Susan Sontag qui disait que la critique « était la revanche de l’intellect sur l’art ». » Et l’idéaliste de citer encore en exergue de sa page Facebook son propre cri révolutionnaire: «Hasta la victoria sensasorial!» Tout un programme…

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