Critique | Musique

David Sylvian – Died in the Wool

NO WAVE | Revisitant son propre album Manafon, daté de 2009, David Sylvian chasse toujours sur des terres électro-acoustiques arides. Alors, audace ou nombrilisme?

On se souvient d’un mini-festival à Londres en 1979 où débarque Japan, groupe de garçons trop maquillés aux cheveux teints. David Sylvian y joue le leader blond d’une pop maniérée: les petites filles frissonnent, le reste du monde s’en fout un peu. Une poignée d’années plus tard, en 1983, un Sylvian au look professoral enregistre avec Ryuichi Sakamoto Forbidden Colours. Incorporé au Furyo du cinéaste Oshima, le segment de mélancolie électronique devient un tube international. La suite sylvianesque s’éloigne peu à peu de la pop et construit, en solo et au fil des collaborations (Rain Tree Crow, Robert Fripp, Nine Horses), un répertoire piochant dans l’ésotérisme et la dissonance. On en est là, depuis un bon moment, lorsque paraît en 2009 Manafon, expérience qui tente de faire pousser sur un terrain aride des floraisons nouvelles: pas facile. Reprenant aujourd’hui la matrice de la chose sortie il y a 2 ans, Sylvian reformate 6 anciens titres et y rajoute 6 plages, travaillées avec le compositeur contemporain japonais Dai Fujikura, né en 1977. Son cadet de 19 ans.

Un peu branleur

Voilà une musique qui ne convient ni aux trajets en voiture -trop crispante- ni au sport -trop abstraite- ce qui, en ces temps de compression permanente, est risqué. Le premier réflexe tend à l’exaspération: sous prétexte de modernisme, la musique n’a cessé de prétendre à l’assèchement des émotions, privilégiant le sentiment graphique, le hiéroglyphe sentencieux, le geste déguisé. De Boulez à Zappa, l’histoire est déjà vieille et connue: Sylvian use de tous ces trucs qui consistent à laisser trop d’espace entre les notes, à cultiver les harmonies raides, bref, à construire des imaginaires qui ne se préoccupent guère de l’auditeur. Alors, à pas mal de moments, le disque est franchement borné et prévisible, mais à d’autres, il parvient à transcender l’ennui. Moins par les trucages sonores que par la voix d’un chanteur à la texture délicieusement fissurée, rauques naturels et graves de velours. Si l’on s’accroche à ce beau chant d’Anglais middle age -Sylvian est né en 1958- et qu’on laisse tomber sa garde, on peut découvrir des variations martiennes, des espaces bossus, de l’intrigue fruitée, du consistant. Même sous des dehors un peu branleurs -saxs bouchonnés et claviers dépressifs-, l’album tente de repeindre le concept pop sous d’autres couleurs. C’est son plus grand mérite et son succès intermittent (cf. Random Acts Of Senseless Violence). Quant au deuxième CD, B.O. d’une installation de Sylvian présentée aux Canaries en 2009, ce n’est rien de plus qu’un bruit pollueur et complaisant, déjà mille fois entendu dans « l’avant-garde », celle qui porte si mal son nom…

Philippe Cornet

David Sylvian, double CD Died In The Wool, distribué par Bertus. ***

www.davidsylvian.com

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