David Mennessier, le passeur

David Mennessier: “Mon truc, c’est d’être un passeur, de partager mes enthousiasmes. Avec les listes, ou la radio, c’est la même chose.“ - © Belgaimage/Hatim Kaghat © Belgaimage
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Cheville ouvrière de Point Culture, taulier de Radio Campus, listomaniaque compulsif, David Mennessier vient également de lancer un tout nouveau label, Slouch Hat. Portrait d’un curieux insatiable.

Impossible d’y échapper. Comme chaque fin d’année, les tops ont essaimé un peu partout, certains plus attendus que d’autres. Ceux de David Mennessier, par exemple. Publiés sur le Facebook perso de celui qui est employé temps plein à Point Culture, ils égrènent les 150 meilleurs albums de l’année et les 150 meilleures rééditions. Trois cent disques en tout. Une folie.L’autre jour, je lisais un article de Drew Daniel du duo Matmos, qui pestait contre l’idée de classement. Je peux le comprendre sur certains points. Mais il oublie que c’est aussi une manière de partager et de donner envie de découvrir des choses.” Comme le Say Laura d’Éric Chenaux, arrivé n°1 d’un classement 2022 où les têtes de gondole sont rares, et les labels indés majoritaires. À l’instar de celui que vient précisément de créer David Mennessier: Slouch Hat …

Coup de chapeau

En musique, à chacun son épiphanie. Pour David Mennessier, tout change en 1991. Il a alors 14 ans. “Je prends dans la gueule des groupes comme Nirvana, REM, My Bloody Valentine, etc. C’est le moment où la “porte” s’ouvre, où la musique devient vraiment importante.” Sa passion le conduit d’abord à la radio. Vers 15 ans, il effectue ainsi un premier stage d’été à la RTBF. Dans les couloirs de Reyers, certains anciens reconnaissent alors peut-être le fils de Jean-Claude Mennessier. Dans les années 50 et 60, il est la voix la plus populaire de l’INR. Star de la radio publique, il n’a pas son pareil pour mobiliser ses auditeurs -c’est lui qui lance ce qui deviendra l’opération Cap 48. Au bout d’un moment, cependant, l’abattage et la notoriété grandissante de l’animateur- vedette passent de plus en plus mal au sein de la hiérarchie. Au point que Jean-Claude Mennessier finit par claquer la porte.

Quand je suis né, il avait déjà quitté l’antenne depuis longtemps et refait sa vie.” Les voies de l’hérédité sont cependant impénétrables. À son tour, David Mennessier va finir par choper le virus.Un jour, je contacte Jacques de Pierpont”, animateur de la mythique émission Rock à gogo. À l’époque, Pompon doit refroidir les ardeurs de l’aspirant chroniqueur. “Il m’a fait comprendre que c’était compliqué, qu’à l’intérieur de la RTBF, il était un peu comme le dernier village d’irréductibles Gaulois.” Mais il conseille tout de même au jeune curieux d’aller faire un tour à Radio Campus.

Quand il débarque dans les locaux de la radio universitaire, David Mennessier rencontre à la fois Rokia Bamba, DJ et créatrice de la première émission hip-hop de la radio belge, qui fut sa compagne. Et découvre un terrain de jeu radiophonique qui lui permettra d’étancher sa soif de découvertes musicales. Vingt ans plus tard, il y est toujours, bénévole comme le reste du personnel. “J’officie le jeudi matin, certains dimanches, et puis un samedi par mois pour une émission consacrée à la new wave.” Le tout programmé uniquement sur base de vinyles, tirés de son impressionnante collection.

David Mennessier à l’antenne de Radio Campus. © Belgaimage/Hatim Kaghat

Pendant une dizaine d’années, David Mennessier a d’ailleurs été disquaire. Au début des années 2000, il démarre chez Music Mania, enchaîne avec Caroline Music, avant d’atterrir chez Arlequin, soit trois enseignes parmi les plus emblématiques de Bruxelles. “J’ai adoré ça. Mais au bout d’un moment, j’ai commencé à me lasser du rapport “commercial” avec les clients qui venaient au magasin.” Il entend alors parler d’un poste vacant à la Médiathèque. David Mennessier y est engagé en 2009. Il devient conseiller d’achat pour les collections rock, pop, électro, etc., et lance les applis Belgium Underground (une cartographie des musiques indés en Belgique) et Beat Bang (une histoire des musiques électroniques). Élu délégué syndical, il se retrouve aussi en première ligne quand l’institution, renommée entre-temps Point Culture, accuse le coup de restructurations successives. Il y a trois ans, une pétition de 14 000 signatures pour sauver l’outil est déposée chez la ministre de la Culture Bénédicte Linard. Qui fait machine arrière. Mais les politiques ont le temps… Celui de revenir à la charge. En 2022, les Points Culture ont ainsi dû fermer définitivement leurs portes. Les collections ont été sauvées, mais ne sont plus consultables que via le réseau des bibliothèques…

Il en faut toutefois plus pour doucher l’enthousiasme de celui qui est également consultant musical pour le cinéma (Joachim Lafosse, Jan Bucquoy, etc.), DJ sous le nom de Rupert Pupkin -“plutôt selector, je n’ai pas la technique des vrais DJ”-, et donc désormais patron de label. Un nouveau chapeau (mou, en l’occurrence, pour slouch hat) qu’il a un peu enfilé par hasard. “À la base, j’ai créé Slouch Hat pour sortir un album pour lequel j’avais eu un coup de cœur. Au final, ça n’a pas pu se faire. Mais dans l’intervalle, Léonore Boulanger a entendu parler du projet et m’a demandé si je ne voulais pas publier son prochain disque.” Début novembre, Un lièvre était un très cher baiser, signé Léonore Boulanger et Jean-Daniel Botta, est ainsi devenu la première référence de Slouch Hat. Un disque-ovni d’art brut, basé sur les poèmes de l’Autrichien Ernst Herbeck, tiré à 500 exemplaires, à l’image d’une micro- structure à taille humaine, et au fonctionnement DIY. “J’aime bien cette idée de décroissance dans la musique. Je ne dis pas que ça convient à tout le monde. Mais j’ai un boulot à côté. Je peux me permettre de presser des disques en espérant faire une opération blanche. Ne pas perdre d’argent et faire le suivant, c’est un peu l’idée.” Entre-temps, Slouch Hat a ainsi publié le nouvel album du trio pop électronique LEM. Sans suivre de ligne esthétique précise donc, sinon celle de la curiosité, insatiable, du patron. “Mon truc, c’est d’être un passeur, de partager mes enthousiasmes. Avec les listes, ou la radio, c’est la même chose. À chaque fois, j’ai envie que la personne en face prenne le même plaisir que moi en écoutant tel disque. Même si j’ai conscience que la société des loisirs a évolué: la musique est présente partout, mais n’est plus forcément aussi importante pour les gens. Cela étant dit, il n’y a jamais eu autant de chouettes propositions. Certes, elles vont peut-être moins changer la vie qu’en 1968, 1977 ou même en 1991, mais je suis certain qu’elles peuvent toujours chambouler des existences…

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