Dans son nouvel album, Clara Luciani évoque les liens du sang: “J’ai eu envie de me raconter à mon enfant, pour lui expliquer qui je suis”
Trois ans après le succès de Cœur, Clara Luciani sort Mon sang, délaissant les velours disco pour des refrains plus « beatlesiens ». Avec la volonté de creuser les liens familiaux, dans tout ce qu’ils peuvent avoir à la fois de libérateur et de douloureux.
Clara Luciani est de retour. Impossible de la louper: elle est partout, courant sur le tapis rouge que l’on déploie habituellement aux plus grandes stars. Ce qu’elle est devenue en deux albums à peine –Sainte-Victoire en 2018, porté par l’hymne La Grenade; et Cœur en 2021, emmené par le tube Respire. Avec cette particularité: être l’une des rares sur la scène musicale hexagonale à pouvoir faire le pont entre Télérama et les NRJ Music Awards, les Inrocks (dont elle a été rédactrice en chef le temps d’un numéro en 2022) et la Star Academy (dont elle est marraine de la saison en cours), touchant la jeune génération tout en rassurant les plus anciens avec ses airs de néo-Françoise Hardy. Une vraie chanteuse non pas mainstream, mais populaire.
Avant de se lancer dans une grande tournée (deux dates à Forest National) et de faire ses premiers pas au cinéma -en blonde, dans la comédie musicale Joli Joli, de Diastème, prévue pour Noël-, Clara Luciani sort aujourd’hui Mon sang. Libérée de la pression de devoir convaincre un public qui ne la connaît pas, ou qui aurait pu la coincer dans la case one-hit wonder? « Pas du tout! J’en discutais justement avec Alex récemment. Il me disait: « Tu remarqueras que la dynamique est souvent toujours un peu la même. Le premier album, c’est la découverte, l’effet waw. Le deuxième, c’est « donnez-m’en encore »! Tandis que le troisième, c’est plutôt « encore toi? » » (rires). Alex, c’est Alex Kapranos, leader du groupe indie rock écossais Franz Ferdinand, compagnon de Clara Luciani. Et père de leur premier enfant, né en 2023. L’ »heureux événement » est au cœur du nouveau disque. Ou, plutôt, il en est le point de départ. Davantage que l’album « de la maternité », Mon sang renvoie en effet aux racines. Celles plantées du côté de Marseille, région où Clara Luciani a grandi. Et où « le sang » désigne encore souvent le noyau familial –« Le J, c’est le S », pour « Jul, c’est le sang », insistaient même les rappeurs rassemblés par le premier porteur phocéen de la flamme olympique, sur Bande organisée…
Clara Luciani creuse donc non seulement son histoire familiale, observant ce qui a été transmis (Ma mère, Roule, Mon sang), et ce qui a été transformé (Seule, Courage). Mais aussi, plus généralement, les liens qui se nouent (Cette vie), et ceux qu’il faut parfois étirer (Tant pis, Chagrin d’ami). Pour raconter cette histoire, Clara Luciani, toujours épaulée par Sage à la réalisation, s’est éloignée de la boule à facettes qui accompagnait les élans discoïsants de Cœur. À la place, elle ranime volontiers la flamme de ses premiers coups de foudre adolescents pour le rock et la pop anglo-saxonne. Sans jamais toutefois perdre sa vista mélodique, capable de commuer le moindre air en ode rassembleuse, le moindre chœur en élan euphorisant. Soit l’essence de la meilleure pop qui, à l’instar du mégatube en puissance Courage, ne résout pas forcément grand-chose, mais aide, le temps d’un refrain galvanisant, à mieux vivre. Clara, c’est le S…
Commençons par le commencement, et un premier morceau, Cette vie, qui semble presque faire la transition avec les cordes optimistes de Cœur. Vous chantez même: “Elle est quand même vraiment bien, cette vie terrienne…” Ce qui dans la déprime actuelle pourrait paraître carrément audacieux…
Je ne vais pas m’éterniser là-dessus, mais c’est vrai que c’est un album que j’ai écrit quand j’étais enceinte. Quand j’ai appris ma grossesse, à la fin de ma tournée, j’ai décidé d’utiliser ces neuf mois pour écrire. Je suis un peu hyperactive. J’ai en permanence la bougeotte. Et je crois que j’avais peur de me retrouver immobilisée. J’ai eu beaucoup d’amies qui se sont retrouvées très tôt alitées, etc. Je n’imaginais pas me retrouver dans ce genre de situation. Me fixer ce défi était un peu une façon de me motiver, de m’auto-convaincre que ça allait bien se passer. Au final, j’ai eu beaucoup de chance, je me suis retrouvée en studio jusqu’à dix jours avant de donner naissance.
Pour autant, Mon sang ne parle que de ça. En tout cas pas directement.
Non, pas vraiment. C’est surtout un disque dans lequel j’ai eu envie de me raconter à mon enfant, pour lui expliquer qui je suis, d’où je viens, les pièges dans lesquels j’ai pu tomber, ce que j’aurais aimé faire différemment… Et oui, quand même aussi pour lui parler d’amour, de choses positives de manière assez simple. Comme sur ce morceau Cette vie, qui manquait un peu sur l’album. Je trouvais pas mal de rappeler que la vie à deux peut être aussi magique. Parfois… (sourires)
La tonalité générale de l’album est toutefois plus sombre et introspective.
C’est vrai… J’ai été moi-même étonnée. Quand je me suis lancée le pari d’écrire un album en attendant un enfant, je me suis dit que potentiellement je pouvais facilement tomber dans un truc assez édulcoré. Et en fait, pas du tout. Ca a remué en moi des interrogations beaucoup plus profondes. Des questions identitaires très fortes, qui tiennent aux liens avec ma famille, avec ma mère, etc. Je ne l’avais pas du tout prévu. Donc oui, je crois que c’est un album beaucoup plus sombre que ce que les gens s’attendent peut-être à trouver en lisant le storytelling de « l’album de grossesse ». Parce qu’on ne veut pas toujours voir non plus qu’au-delà des moments de joie, c’est aussi une période d’inquiétude, de remise en question, etc. Sans compter les hormones qui vous font ressentir des rollercoasters émotionnels.
Le fil rouge musical est-il aussi clair que sur l’album précédent?
Non, pas vraiment. Cela étant dit, quand on raconte certaines choses, il y a quand même une espèce de bande-son qui vient assez naturellement pour accompagner ces histoires-là. Comme par exemple l’idée de revenir à mes premiers amours pop et rock anglo-saxons, etc. Si je devais sauver un genre musical, celui qui me correspond le mieux, ce serait celui-là. Ne serait-ce que par rapport aux Beatles, dont je suis une très grande fan. Le disque est truffé de références. Les arrangements à la fin de Forget Me Not, c’est vraiment Ambroise qui est déguisé en George Martin (producteur emblématiques des Beatles, NDLR) (rires).
Vous lisez parfois les commentaires en dessous des vidéos YouTube?
Surtout pas!
Sous la vidéo du single Tout pour moi, un internaute a écrit: “Une chanson avec de jolis couplets, un refrain efficace, un pont ET un break instrumental, c’est devenu de la science-fiction dans le marasme musical hexagonal.”
Ah bah c’est dur de proposer des chansons un petit peu hors format. Mais je ne me vois pas fonctionner autrement. Je préfère me prendre une claque que d’avoir un succès avec une chanson dont je suis pas complètement fière. De la même manière, derrière le single, il y a un album qui est peut-être un peu plus rugueux, un peu plus rock, moins dansant, etc. Mais j’ai bon espoir qu’il arrive quand même à se frayer un chemin dans le cœur des gens. Ce n’est plus la fête et les paillettes comme sur Cœur. Mais pour autant, je parle de sujets tellement importants et universels que je pense qu’ils peuvent toucher les gens peut-être encore plus, ou d’une façon différente.
Avec, malgré tout, quand même toujours l’envie de proposer une musique populaire?
Oui, oui, bien sûr. Je n’ai pas peur d’imaginer des mélodies efficaces. Au contraire, j’adore ça. C’est pas un disque snob, du tout.
À quel moment un titre comme Mon sang arrive sur la table?
Il se trouvait dans mon téléphone depuis longtemps. Je trouvais la thématique assez poétique, notamment à travers l’idée des vaisseaux, qui ont ce double sens de petits bateaux et de canaux sanguins. Mais je ne voyais pas trop quoi en faire. C’est quand j’ai commencé ce disque et que j’ai eu envie de parler des liens, etc, que ça m’a paru comme une évidence… Mais j’ai conscience que c’est aussi un terme qui révulse beaucoup de gens.
Il a un côté un peu “violent” en effet…
Oui, et puis il est très premier degré finalement. Mais c’est aussi un mot que je trouve très beau et hyper fort. Pendant toute cette période, j’ai eu besoin de fouiller dans les photos de famille. J’y ai trouvé des clichés d’ancêtres siciliennes qui me ressemblaient comme deux gouttes d’eau. C’est très troublant de réaliser le pouvoir de l’ADN. Bon, du coup, j’aurais pu intituler mon disque Mon ADN. C’est peut-être plus doux. Mais je trouvais que ça sonnait un peu trop album de rap (sourire).
Comment écrit-on une chanson comme Ma mère? Avec quel genre d’appréhensions?
C’est très casse-gueule… La vérité est que je tournais autour depuis un moment. Mais jusqu’ici, je ne m’en sentais pas capable. J’avais déjà fait une chanson sur ma sœur, par exemple. Mais c’était un morceau qui était très positif et qui véhiculait un message général d’encouragement et d’amour. Je n’ai pas eu peur de lui faire écouter par exemple. Avec ma mère, c’était plus compliqué. Parce que la chanson charrie quelque chose de plus sombre et de plus personnel.
“Elle est inconsolable, d’une tristesse ancestrale”…
Oui, c’est quelque chose qu’elle m’a aussi transmis. Quelque part, je l’ai transformé en chanson. Donc c’est un héritage qui est à la fois lourd, mais aussi très beau. Bizarrement, je pense que la chose la plus difficile a été de chanter: « finalement, je t’ai comprise ». C’est quelque chose que je n’aurais pas pu exprimer auparavant. Le fait d’avoir pu le lui glisser sous la forme d’une chanson nous a beaucoup rapprochées. Elle qui n’est pas du tout musicienne est même venue faire des chœurs au Studio Ferber.
Le disque parle des liens familiaux. Quand vous “montez” à Paris pour tenter une carrière dans la musique, jusqu’à quel point était-ce aussi une manière de mettre de la distance, de distendre ces liens?
C’est compliqué parce que mon papa est musicien. Mais il n’a jamais pu vivre de cette passion. Il était employé de banque et s’ennuyait terriblement. Il nous a toujours encouragées à faire des métiers qui nous plaisent. À partir de là, je crois que je me suis sentie un peu responsable de ça. Notamment en me donnant pour mission de porter son rêve un peu plus loin. Donc quand je pars pour la musique, je ne fuis pas, je ne m’échappe pas. J’essaie au contraire de les rendre heureux et fiers. C’est quelque chose dont je prends conscience seulement maintenant. Je ne me suis évidemment jamais forcée. Mais jusqu’à quel point je ne me suis pas accaparé le rêve de mon père?
Aujourd’hui, les artistes ont plutôt tendance à bouder l’exercice promo, préférant utiliser les réseaux sociaux pour leur communication. Pas vous. Cette omniprésence, est-ce justement par peur que ce rêve ne s’évanouisse?
Ben, en fait, franchement, si je reste dans mon coin, je m’ennuie. C’est sincère! Je demande juste à mon label de ne pas finir trop tard pour pouvoir encore donner le bain à mon fils et le faire manger. Mais sinon qu’est-ce que je peux faire de mieux que de promouvoir la musique que j’ai écrite et en laquelle je crois vraiment. Je ne me force jamais en tout cas. Ca m’énerve presque quand j’entends les gens se plaindre d’enchaîner des interviews… Après, ça tient peut-être aussi au fait que pendant sept ans, j’ai fait les pires petits boulots du monde. Ca vous fait forcément relativiser.
Même quand on vous redemande pour la x-ème fois en quoi Mon sang est l’album de la maternité?
Ça, c’est un autre sujet. Parce qu’en effet, je n’ai pas envie d’être enfermée dans ce storytelling-là. Je comprends qu’il peut être rassurant de poser des étiquettes sur les disques. Et quelque part, ça fait partie en effet de son histoire. Mais c’est un peu un piège classique, que d’enfermer les femmes dans leur maternité. Si je suis retournée travailler assez vite et que je fais autant de choses, c’est aussi parce que j’ai envie de dire: attention, je suis une maman comblée, j’adore ce rôle-là, mais je ne suis pas que ça. Je ne veux pas que l’on me réduise à ça, et que l’on se retrouve à ne plus parler musique, et seulement me questionner sur le fait qu’il fait déjà ses nuits ou pas…
Clara Luciani, Mon sang ****, distribué par Universal.
En concert les 30/01 et le 12/12/2025, à Forest National.
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