Album - The Ride
Artiste - Daan
Genre - Rock
Label - Pias
Sur The Ride, le francophile Daan nous embarque dans une course de (sur)vie d’une dimension musicale façon CinemaScope. Un disque baroque extra-large avec orgue d’église, guitares névrotiques et arrangements chantilly.
Daan, comme à la maison
On dirait le sud. Ou plutôt l’Ouest, le Far West. Installé à un jet de pierre de la capitale, Daan, ce lonesome boy, a trouvé refuge depuis quelques années dans la pampa flamande, du côté d’Overijse. Le chanteur a emménagé dans une ancienne ferme, avec sa grange. C’est là qu’il présentera son nouvel album, The Ride, lors d’un showcase réservé à quelques privilégiés le 1er décembre. Vous voulez en être? Focus vous fait gagner des places pour assister au concert.
“Le truc pratique d’organiser un concert ici, dans la grange de ma maison d’Overijse, c’est que le backstage est plus confortable que les coulisses habituelles. Et je sais ce qu’il y a dans le frigo!” Chemise blanche immaculée et petit noir serré, le Daan, de bonne humeur malgré l’indécence matinale -10 heures-, est sorti de son vaste intérieur. Aussi immaculé que sa tenue du jour. Histoire de profiter d’un matin de fin octobre, dont la douceur fait quand même peur. La scène est raccord avec certaines parties de The Ride, où il est question, en passant, d’une possible fin du monde.
En attendant l’apocalypse, Monsieur Stuyven (1969) parle volontiers de sa propriété, achetée il y a près de dix ans. “Ça a longtemps été une authentique ferme, jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. J’en possède encore des photos: l’endroit existe depuis 250 ans, donc je ne vais y vivre qu’une petite partie du parcours. Comme si le temps s’était arrêté. J’ai trouvé ici un calme intemporel dont j’avais sans doute besoin. À l’écart de Bruxelles, et de ses tentations multiples de sorties nocturnes. C’est un peu comme une page blanche: si je veux faire du bruit, j’en fais, sinon, il n’y a aucun son aux environs… Et puis, c’est gai de laisser la porte ouverte et de laisser les enfants courir dans les champs. C’est un luxe de pouvoir vivre dans cette bulle.”
Depuis la maison de Berchem (Anvers) fin des années 1990, son appart face au parc schaerbeekois Josaphat et l’avant-dernier domicile connu -une large arrière-maison/studio de l’avenue ixelloise de la Couronne-, on a suivi Daan à la trace immobilière chronologique. Qui, sans hasard, trouve à cet ensemble architectural brabançon, des madeleines rappelant une jeunesse certaine. Passée à Holsbeek, au nord-est de Leuven. “La maison familiale donnait sur l’extérieur via de grandes fenêtres et littéralement, sur les bois et les collines. Je passais énormément de temps à l’extérieur, à me raconter des histoires et à les fabriquer en forêt. Il y avait plus d’oiseaux que d’humains. Même si je n’ai pas encore fait un disque qui ressemble à ce calme-là. Quand je compose, j’ai envie de densité: quand je fais de la musique, je préfère l’énergie, devenir un peu fou.” Les parents Stuyven? Une mère qui tient une boutique et les bourses du ménage, un père Jef, artiste peintre/dessinateur. Le tout baigné dans une empreinte catho sérieuse qui remonte aux aïeux. On s’éloigne de The Ride? Pour mieux y revenir.
Quand le Covid arrive, les premiers mois de Daan ressemblent à une libération. “Les premières semaines de l’épidémie tout au moins. Toute la pression sur mon travail semblait avoir disparu. Il n’y avait plus de concerts –la tournée Dead Man Ray, reportée, n’a finalement jamais eu lieu- et j’ai passé énormément de temps à marcher. Un peu partout, marcher encore et toujours. J’ai délaissé la musique, je suis resté longtemps sans toucher un instrument et d’ailleurs, je me suis posé la question de savoir si je n’étais pas un imposteur dans ce rôle-là. J’étais en perte de confiance par rapport à mon métier. Fallait-il faire de la “musique légère” dans ce contexte, était-ce encore sensé? J’ai pris une pause, une distance, jusqu’au moment où l’envie est revenue à 200 à l’heure.”
Crevettes et pâtisserie
Comme un coup de sang, le désir d’écriture s’exprime dans des circonstances extrêmes. Le père de Daan mais aussi sa sœur décèdent durant le Covid à quelques mois d’intervalle. Et Stuyven Jr., parent d’une jeune enfant -3 ans et demi ces jours-ci- prend l’issue la plus viable, la plus vitale: la musique. Une sorte d’éjaculation artistique retenue pendant deux ans puis qu’on laisse aller? Il rigole et approuve: “Oui, c’est tout à fait ça. Le calme amené par le coronavirus et puis le manque de monter sur une scène ont été extrêmement présents. Être en concert devant 500 ou 1000 personnes, ou en festival, c’est avoir la sensation d’être face à l’océan, avec la force des vagues qui déferlent dans l’Atlantique ou au large du Portugal. Je me sens comme un pêcheur de crevettes qui a besoin de la mer. D’ailleurs, on a bouclé The Ride en studio pratiquement sur la plage, dans un petit village de Norvège. Où les baies vitrées donnent sur la mer et le ciel, de façon impressionnante. Ce qui nous a beaucoup nourris et permis de respirer.”
Après des démos maison où Daan “empile les couches”, l’enregistrement norvégien se fait avec l’éternel complice Jeroen Swinnen, producteur depuis 20 ans: “Il a mille fois plus de connaissances techniques et de patience que moi. J’ai beaucoup d’idées mais j’ai du mal à les canaliser de façon propre et structurée.” Les deux se retrouvent avec l’ingé son habituel, Bert, et puis en compagnie d’Oliver Symons, connu en Flandre pour son groupe Bazart.
Les couleurs ouvrent aussi un certain type de voyage. Pour Daan, The Ride est une “route à parcourir, une distance à accomplir, une prairie, un désert”. “C’est un peu l’idée de la pochette, dont les photos ont été prises sur le circuit de Francorchamps. Le premier morceau, Western, qui s’ouvre sur un authentique banjo, vient d’une B.O. que j’avais écrite pour le film Rookie, il y a deux ans. Un western, sauf que les cow-boys étaient des bikers qui roulaient par exemple sur le circuit de Chimay (sourire). Un début épique, de mélancolie combattante. Si The Ride était une pâtisserie, ce ne serait pas juste un gâteau, une île flottante ou un éclair, mais carrément tout le menu disponible avec une grosse couche de crème fraîche (rires)”.
La grange
L’une des parties de sa propriété d’Overijse, est donc composée d’une grange qui a longtemps accueilli des chevaux. Dorénavant, ce sont plutôt les bipèdes qui y passent. Pour des jams avec des amis musiciens ou alors des concerts privés pour des organisations bénévoles de potes à Daan. On peut y amener 250 spectateurs debout, dans un esprit qui s’inspire d’une autre grange, celle de Levon Helm à Woodstock. Pendant des années, le batteur-chanteur de The Band (1940-2012) s’est produit dans cette authentique baraque à vocation agricole, entre les Catskills montagneux et le fleuve Hudson. Il y a invité, partagé, offert des découvertes et de la chaleur au public, qui venait volontiers de New York, à deux heures de bagnole. Chez Daan, à Overijse, pourtant pas très loin de l’autoroute, l’endroit reste exceptionnel. Mais la scène, ici ou ailleurs, constitue -plus que jamais- un défi. “Il y a 20 ans, je pouvais encore être nonchalant ou nerveux pour d’autres raisons, parce que j’avais moins d’expérience. Soupesant le risque de faire des fautes d’interprétation. Maintenant, je suis peut-être davantage fébrile parce que je veux que ce soit bien, parce que mon estime pour le public est plus grande. Au début, les gens formaient une sorte de vague abstraite; aujourd’hui, c’est un collectif qui compte autant que moi (sourire). Il y a des gens qui me suivent partout. Je pense à ce couple qui est là à chaque fois, même lors d’un concert annoncé en dernière minute, au fond des Ardennes devant 40 personnes. Pas mal de fans se sont d’ailleurs rencontrés et mariés, en 20 ans. Je suis aussi plus reconnaissant de pouvoir vivre ça, la scène. La dernière demi-heure avant de jouer, on ne peut pas me parler. Je suis plein de tocs. Par exemple, je refuse d’entendre qu’il reste 17 minutes avant le début, je ne veux entendre que des chiffres pairs (rires).”
On a beau avoir interviewé Daan une série de fois, avoir même collaboré sur deux musiques de documentaires en sa compagnie, il reste toujours une sorte d’énigme. Et évoque les matriochkas, ces poupées russes de tailles décroissantes, emboîtées les unes dans les autres. Quand il ne semble plus y en avoir, il en reste encore. Daan se (re)découvre sans cesse. Autant par ses albums que par sa personnalité intime. Mais comment traduire la luxuriance de The Ride en scène? Par d’autres arrangements? Des simplifications? Un dégraissage son? Non: “Alors, chaque musicien aura plusieurs tâches. Jeroen, bien sûr. Le trompettiste Jo Hermans, qu’on entend un peu sur le disque, sera aussi aux claviers, où il est meilleur que moi. Il y aura Jean-François Assy à la basse électrique, mais qui excelle aussi à la guitare acoustique. Et puis Isolde Lasoen aux percussions, et Geoffrey Burton aux guitares, aussi capable si nécessaire de se mettre aux synthés. Ça va être un plaisir.” Et ça devrait le rester.
Notre critique de The Ride, le nouvel album de Daan
Baroque, The Ride, l’est. Pratiquement au sens premier d’aventure qui multiplie les pistes, les couches, les impressions, les émotions exacerbées. Peut-être pas au sens bachien -Jean- Sébastien a bercé l’enfance de Daan- parce qu’il y a encore une fois une distance daanienne, d’ironie, de multicouches, de déviations et d’une mélancolie certaine. Cet album né d’une convulsion des années 2020 veut offrir à l’auditeur des possibilités de se décoller de l’actualité grinçante, dramatique, sans pour autant l’oublier. Des chansons en scope, parfois proches du rococo, qui donnent de l’air au quotidien mais reviennent aussi sur des événements personnels. Comme 16 Men ou Women and Children. “Celle-là est une chanson de rupture où j’essaie de rester courtois avant que le navire ne coule. Il y a aussi un peu d’exorcisme dans cette façon de transformer des choses dramatiques en contes éventuels”, explique le chanteur, qui n’hésite pas à sortir la grosse artillerie. Comme dans Be Loved -duo avec la très douée Naima Joris- ou The Dancer aux étranges vertus, incarnant une accumulation sonique gavée d’orgue d’église, de chœurs, de guitares, de synthés foldingues. Peut-être un Niagara -les chutes pas le groupe- qui incarne un motif: la force motrice et pure de l’eau, même à plein débit. Conclusion? “Oui, j’ai écouté la quarantaine de minutes, et c’est un peu too much. Comme les disques des Sparks. Mais c’est la faute au vinyle: j’ai divisé les 80 minutes par deux. Et je suis fier de The Ride…”
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