Kompromat: Rebeka Warrior et Vitalic de retour pour un deuxième album dancing in the dark
Quand deux francs-tireurs de l’électronique française se réunissent, cela donne Kompromat. Soit la réunion de Rebeka Warrior et Vitalic, auteurs de Playing/Praying, deuxième album dark et dansant.
Longtemps, Pascal Arbez, alias Vitalic, a voulu «chanter avec une voix de fille». «J’ai une fascination pour la disco des années 1970, des titres comme I Feel Love de Donna Summer, etc. Donc à chaque fois que j’ai voulu m’aventurer sur ce terrain-là, j’ai trafiqué ma voix pour en faire une voix féminine. Quand vous entendez une chanteuse sur un morceau de Vitalic, c’est moi!» Entre-temps, le producteur a tout de même fini par trouver une partenaire de jeu. «Sauf qu’il a été chercher la seule meuf qui chante punk et qui hait la disco!» (rires). La «meuf» en question, c’est bien sûr Rebeka Warrior – Julia Lanoë, pour l’état civil. «J’exagère, je ne déteste pas la disco. Mais disons que j’ai tendance à préférer des choses plus sombres…»
Cela s’entend forcément dans Playing/Praying, le nouvel album de Kompromat. Le deuxième du projet réunissant ces deux électrons libres de la scène française. Depuis plus de 20 ans, Rebeka Warrior et Vitalic agitent en effet le cocotier musical hexagonal, volontiers en contrebande. La première a lancé la charge avec Sexy Sushi, duo initial connu pour ses concerts commando, avant de monter Mansfield TYA, autre binôme, plus apaisé. Sous le nom de Vitalic, son camarade de Kompromat a lui apporté sa contribution à la glorieuse French Touch, distribuant les bourre-pifs électroniques, dynamitant le club «façon puzzle», lors de live épiques.
Bref, ces deux-là étaient faits pour se rencontrer. La collaboration se concrétise dès 2012, avec La Mort sur le dancefloor. Un premier titre en commun, tiré de l’album Rave Age de Vitalic, sur lequel Rebeka Warrior kidnappe le micro. Quelques années plus tard, l’essai est transformé avec la naissance de Kompromat. D’origine russe, le terme fait référence à la divulgation de (fausses) informations compromettantes –une spécialité du KGB. Pas besoin d’y voir toutefois une quelconque connotation politique. Rebeka Warrior: «Non, nous ne possédons pas d’infos sensibles sur Pedro Winter ou autre (rires). Il faut vraiment le prendre au premier degré. Dans le sens d’une manipulation pour faire chanter quelqu’un. A un moment où je ne me sentais moi-même plus capable de chanter…» (sourire).
Quand Vitalic propose à Rebeka Warrior d’entamer un projet ensemble, celle-ci sort en effet d’une période douloureuse, marquée par le deuil –celui de sa compagne. En 2019, l’album Traum und Existenz est donc autant un hommage à la cold wave et l’EBM (electronic body music) des années 1980, qu’une manière d’exorciser certains démons et de se remettre en mouvement. Quitte à chanter quasi intégralement en allemand. Une façon de se planquer et/ou de rajouter une touche de théâtralité gothique sur l’électronique poisseuse de Traum und Existenz...
Rêve party
Six ans plus tard, Kompromat est donc de retour aux affaires. Le temps d’encaisser la pandémie, et de synchroniser les agendas de ses deux membres hyperactifs. Cette fois, cependant, plus question de passer par l’allemand. «Ce n’était plus nécessaire…» Pour Playing/Praying, Rebeka Warrior retrouve le français et l’anglais. «En fait, on est repartis de là où l’on s’était arrêtés. Soit le dernier morceau qu’on avait composé pour le disque précédent, qui était déjà en français, De mon âme à ton âme (NDLR : sur lequel apparaissait la comédienne Adèle Haenel).» Même si l’utilisation de la langue de Kraftwerk avait fort marqué les esprits… Vitalic «J’étais moi-même à fond dedans sur le premier disque. Mais dès que l’on s’est lancés sur les nouveaux morceaux, j’ai compris que cela ne fonctionnerait pas, que cela aurait tourné à la blague. C’est comme ces groupes qui arrivent avec une particularité capillaire, et qui n’osent plus jamais changer de coiffure par la suite (rires). On n’a aucune envie de se retrouver enfermés, que ce soit dans une coupe de cheveux ou dans une langue.»
Auf Wiedersehen donc, l’allemand. On peut par contre toujours compter sur le binôme pour faire suer les machines. Sur Playing/Praying, le trajet jusqu’au dancefloor s’est même encore raccourci. Electro eighties quasi pop (Lift Me Up), rêverie trance (Surrender), fronde technoïde (No Stranger to Heartbreak), etc. Kompromat a le don pour faire trembler les murs, sans pour autant multiplier les grands effets. Une sorte de minimalisme exubérant, d’épure mastoc. Le secret? Vitalic donne l’explication technique: «Ah ben ça, cela tient aussi au mixage. Sur le premier album, les sons étaient plutôt graves, analogiques. Ici on a davantage travaillé dans les médiums, voire les aigus. Et le mixage est très cash. Il y a beaucoup d’air, et en même temps c’est très fort.» Rebeka Warrior se charge de l’interprétation poétique: «On a utilisé d’autres synthétiseurs et amené d’autres hauteurs dans les mélodies… En ce sens, c’est un disque qui multiplie les voix, qui parle de la connexion entre les royaumes et de langues inconnues, de prières et de dieux, de mort et de sexe.»
Lire aussi | Vitalic, entre rave et réalité
De fait, Playing/Praying est aussi mystique que pugnace, à la fois spirituel et charnel –«les deux vont bien ensemble, non?» A l’instar de sa pochette, inspirée par le film Orphée de Cocteau, l’album convoque Eros et Thanatos, voire même Onan –sur I Did Not Forget You avec Rahim Redcar (ex-Christine and the Queens). Et toute une série de «fantômes», incarnés par les voix de Vimala Pons et Sonia DeVille, proches du duo –la première est actrice/artiste visuelle; la seconde présentée comme conseillère activiste/travailleuse en santé sexuelle sur le site du label Warrior Records de Rebeka.
C’est un disque qui multiplie les voix, qui parle de la connexion entre les royaumes et de langues inconnues, de prières et de dieux, de mort et de sexe.
Rebeka Warrior
Après avoir louvoyé entre rêve et réalité (Traum und Existenz), Kompromat joue donc autant qu’il prie (Playing/Praying). En visant quasi systématiquement la piste de danse, qui serait aussi piste d’atterrissage de toutes les angoisses/fantasmes du moment. Ou plutôt la piste de décollage? L’album s’ouvre par exemple avec I Let Myself Go Blind, moins une invitation à fuir la réalité qu’une incitation à l’abandon dans la danse. Rebeka Warrior: «Dans ce morceau, il n’est pas question de se mentir ou de se voiler la face, mais de laisser aller et de vivre les choses. D’arrêter de « résister » pour mieux accompagner le flux de la vie. En fait, c’est tout le contraire du mensonge.»
Underground resistance
Ce lâcher-prise, on le retrouve plus que jamais sur scène. Il faut voir par exemple le live donné l’an dernier pour Arte (toujours visible sur le site de la chaîne). Tout de noir vêtus, Rebeka Warrior et Vitalic orchestrent une grande messe païenne. Une orgie synthétique noyée sous les kicks autoritaires et les lights tranchantes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si leur date de concert prévue en avril prochain à l’Olympia a affiché complet en deux temps trois mouvements. Tout comme d’ailleurs celle annoncée à Bruxelles (aux Halles de Schaerbeek). Vitalic: «Vous ne savez jamais trop à quoi vous attendre quand vous revenez comme ça, après une longue pause. Finalement, l’Olympia s’est remplie en moins de 24 heures. Cela a généré toute une nouvelle excitation autour du projet. Au bout du compte, on se dit que c’était peut-être pas mal d’avoir eu ce break. On ne l’a pas fait exprès, mais cela a créé une attente.» Au point d’ailleurs d’envisager un Zénith en novembre prochain…
Kompromat se trouve désormais à cet endroit un peu particulier: celui qu’occupent les groupes populaires, mais pas forcément mainstream. Avec, en outre, une capacité propre au duo à créer du collectif autour d’eux –chacun a fondé son propre label. Voire à ressusciter un terme que l’on pensait disparu, noyé sous la multiplication des niches: celui d’une scène «underground». Vitalic: «Et en même temps, c’est un terme que l’on utilise à toutes les sauces. C’est comme pour le mot « rave », qu’on emploie pour tout et n’importe quoi (rires). Cela étant dit, des scènes underground, il y en aura toujours. Aujourd’hui, il y a un peu cette mode de la techno TikTok. Mais quand ce sera passé, je pense que plein de kids se diront: « Ouhla, on s’est quand même gavés de trucs pas très cool, on ferait peut-être mieux d’écouter Kompromat » (rires). C’est d’ailleurs déjà le cas!»
Kompromat est donc ce projet aussi prisé que décalé –deux quadras français qui font de la cold wave en allemand dans le texte: on a déjà vu plus «bankable» comme proposition de départ, avouons-le… Un duo qui a réussi à zigzaguer entre la marge et le plus grand public. «Ce qui s’appelle avoir le cul entre deux chaises, sourit Rebeka Warrior. Ce n’est pas toujours un endroit très confortable, mais cela nous convient parfaitement.» Il a l’avantage de traverser les modes. «Au début des années 2000, c’était encore un peu mal vu de faire une musique trop mainstream. Aujourd’hui, tout le monde veut faire un morceau qui cartonne, avec des edits d’une seconde!» Vitalic se marre et confirme: «L’idée, c’est de ne pas se retrouver coincé. Rester dans sa bulle underground peut aussi freiner la créativité. Quand je vois le morceau le plus «pop» du disque, Lift Me Up, on l’a fait de la manière la plus naturelle et spontanée qui soit. Pourquoi se priver?… Au fond, je pense que l’un comme l’autre, on doit notre « longévité » au fait d’être restés toujours droit dans nos bottes. J’ai toujours fait la musique que je voulais faire, au moment où j’avais envie de le faire. Tout n’est pas forcément bon. Mais j’ai été sincère avec moi-même.»
Lire aussi | Nicolas Jaar en mode électro-pop déviante
Playing/Praying
de Kompromat, distribué par Warrior Records.
Le 11 avril prochain aux Nuits Bota, Bruxelles.
3,5/5
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici