Crash-test réussi pour les Ardentes
Nouveau site, nouvelle affluence, affiche rap XXL : bilan de la version 2.0 du festival liégeois
La séquence se déroule dimanche. Un late trentenaire repart du Konbini Forcing Club, le plus petit podium des Ardentes, l’air dépité. « Je crois que je suis dans un conflit générationnel. Cela fait 4 jours que je suis là, et je ne comprends toujours pas ce qui se passe ». Quasi au même moment, sur scène cette fois, J9ueve est, lui, sur son nuage : « C’est la première fois de ma vie que je mets les pieds dans un festival, c’est incroyable ! ». Rappeur parisien, souvent raccroché à la « next gen » (la nouvelle vague de rappeurs post-2015), J9ueve doit avoir à peine 20 ans. Et il vit sa meilleure vie.
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L’anecdote résume parfaitement la mue des Ardentes. Elle ne date pas d’hier. Mais après deux ans de covid, le festival liégeois a définitivement tourné la page de son passé plus rock. Avec succès : en rassemblant quelque 210 000 festivaliers durant 4 jours (avec un sold out à 55 000 dimanche), les Ardentes ont réussi leur pari. Il était double. Il s’agissait non seulement d’attirer le public, mais aussi d’inaugurer un tout nouveau site, du côté de Rocourt. C’est aussi en cela que l’événement ne ressemble plus à ce qu’il a pu être auparavant, quand il squattait le Parc Astrid et les halles des foires, en bord de Meuse. En passant d’une capacité de 25 000 spectateurs au double, les Ardentes ont changé de visage et de catégorie.
Dans un contexte pas forcément évident (inflation, pénurie des fournisseurs), il a fallu trouver ses marques. La machine a parfois un peu grincé – une barrière qui s’ouvre sous la pression du public, le premier jour. Mais dans l’ensemble, assurent les organisateurs, le plan a bien fonctionné. Il y aura bien sûr des améliorations à apporter dans le futur – sur la mobilité, le stage design, etc. Mais en attendant, le crash-test a été plutôt concluant. D’ailleurs, de son côté, la police s’est aussi montrée satisfaite : elle a compté un peu plus de 1600 interventions de la Croix-Rouge (un chiffre « comparable » aux éditions précédentes), mais pas de blessé grave. Et, jusqu’à présent, aucun cas avéré de spiking, comme cela avait pu être avancé ici et là.
Les Ardentes ont donc aujourd’hui une bonne base pour asseoir le projet. Cette assise est aussi financière – la participation à hauteur de 49% de Fimalac Entertainment, holding français dirigé par le milliardaire Marc Ladreit de Lacharrière. Dans un paysage particulièrement concurrentiel et bousculé, elle devrait permettre de verrouiller la position de l’événement : celle, assez unique en Europe, d’un festival (quasi) entièrement dédié au rap. Démarré vers 2015, la mutation est aujourd’hui totalement opérée : les Ardentes sont devenues la dernière place-to-be du genre. Côté francophone surtout. Quelques-unes de ses plus grosses stars étaient en effet présentes (de Ninho à Damso, de SCH à PNL, etc). Certains ont même prolongé leur passage liégeois pour profiter du reste de l’affiche, voire se sont carrément invités en dernière minute (Maes). Pas question, assure Jean-Yves Reumont, programmateur, de lâcher les gros noms internationaux, américains surtout (comme Tyler, The Creator ou A$AP Rocky). Mais il a bien fallu constater que ce n’était pas forcément les stars US qui attiraient le plus de monde. Des spectateurs présents durant les 4 jours, quelque 35% venait ainsi de France…
Au-delà, hormis le dimanche, plus « ouvert » dans sa programmation, on a surtout croisé un public que l’on ne voit pas forcément ailleurs : en gros, les 15-25 ans. Gaëtan Servais, co-fondateur des Ardentes, a d’ailleurs insisté sur le tournant « générationnel » du festival. Difficile de lui donner tort : c’est en effet tout le mérite du festival liégeois d’avoir su capter l’air du temps, et réussi à cristalliser une certaine culture. Ce qui n’est pas sans contrepartie. Cette génération est aussi celle qui se montre préoccupée et engagée par certaines thématiques bien précises, environnementales, sociales. Ces dernières semaines, les Ardentes ont ainsi dû encaisser une série de critiques – pas assez de mixité dans l’affiche, une campagne contre les violences sexuelles aux slogans au minimum maladroits, etc. C’est aussi ce chantier-là qu’il faudra prendre en compte dans l’avenir.
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Un autre étant de réussir à upgrader petit à petit la culture scénique d’une génération d’artistes qui découvrent souvent l’exercice du live en direct. Encore trop souvent, durant les 4 jours, on s’est en effet retrouvé confronté à des non-shows, résumés à un micro et, éventuellement, des platines. Ce qui peut tout à fait passer pour un festival de 25 000 personnes. Devant 50 000, c’est plus compliqué… Peut-on faire tourner un festival XL avec des propositions scéniques balbutiantes ou imaginées pour des espaces plus réduits ?
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Bien sûr, les codes évoluent, et aujourd’hui, le spectacle est souvent autant sur scène que dans la fosse – quelqu’un comme A$AP Rocky, toute star qu’il est, l’a bien compris, mouillant le maillot pour aller chercher le public. Et il est tout à fait possible de créer un moment, en se passant du moindre instrument. Mais tout le monde ne s’appelle pas Tyler, The Creator ou Damso, capable, chacun à sa manière, de tenir, seul, la scène.
En cela, les derniers concerts donnés par Orelsan ou évidemment Stromae, ont aussi montré la voie. Certes, leur musique est aujourd’hui devenue pop. Mais leur déclinaison live pourra inspirer les uns et les autres. Et faire grandir à la fois un festival et une culture rap devenue aujourd’hui dominante.
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