Couleur Café J2: musiques urbaines en tous genres

La Chiva Gantiva © Philippe Cornet
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Un deuxième jour marqué par le virage urbain, entre rap et ragga, entrepris par Couleur Café, au détriment des musiques du monde. Avec, entre autres La Chiva Gantiva et Starflam.

Bah, il est content, forcément, le Patrick Wallens, patron de Couleur Café en ce samedi début d’après-midi. « C’était une belle soirée, hier, vraiment, et les gens étaient au rendez-vous : on a du faire un peu au-delà de 23 000 entrées, ce qui est bien. Et avec ce temps-là, les bars ont cartonné. Il devrait y avoir un peu moins de monde aujourd’hui, et pour demain, on attend une affluence comparable à celle de vendredi. Je crains bien qu’il n’y ait encore un Couleur Café l’année prochaine ». Il se marre sous sa casquette castriste, Patrick. Quant à la prestation (décevante) de Wu-Tang Clan, sans son leader RZA et autres membres-clés du groupe new yorkais, Wallens ironise qu’il « s’agissait bien d’un groupe composé des cousins et neveux de Wu-Tang Clan. Ils sont en tournée en Europe depuis le 12 juin, et on n’a jamais réussi à avoir la liste exacte des musiciens qui seraient présents à Couleur Café. Ceci dit, à part deux remarques sur Facebook, genre « Le Wu-Tang Clan sans le Wu-Tang Clan, n’est pas le Wu-Tang Clan » -d’ailleurs pleines de bon sens- le public semblait content et réceptif ». Reste la véritable inconnue du moment: y aura t’il des orages dimanche après-midi ? Le rap passe, la météo reste.

Avant de savoir, on se prend la foudre latino de La Chiva Gantiva en direct, un peu avant 17 heures d’un samedi toujours sous canicule. Chaleur sur scène plus plaine bouillante: l’effet ne s’annule pas, malgré une audience timide, 2-3000 personnes à vue de nez. La Chiva, c’est donc, sans être vulgairement réducteur, les Red Hot version tropicana colombienne. En plus complexe. En deux albums, ces bruxello-latinos ont tracé une ligne courbe entre l’héritage volontiers surréaliste de Bogota et une forme de plaisir rock sous tatane funky. Six musiciens tous pareillement impliqués dans le gumbo, sous la direction naturelle du leader Rafael Espinel, bouclé trentenaire virtuellement sorti d’un film à la Pasolini mais d’un chaudron que personne ne peut légitimement identifier. Drôle de paroissien, qui trouve dans des histoires en espagnol pas forcément captées, matière à plaisir nucléaire universel. Musique faite pour le corps -avec background poétique plus complexe – qui finit par lever les fesses du public. Là, entre une tournée internationale-nord-américaine et le début des sessions du troisième album à la fin de l’été, Rafael trimballe toujours cette énergie surnaturelle et sympathique. Comment ne pas aimer un mec qui vous dit avoir refusé de jouer en Corée -du Sud, mais quand même- pour honorer une date de La Chiva à Soignies?

Mais ce n’est pas la question centrale de CC 2015. Elle s’oriente plutôt autour du choix artistique de cette édition, et donc de la voie choisie des musiques urbaines dans lesquelles on fourrerait hip hop ainsi que reggae/ragga. Ce samedi, le genre est à tous les étages: dans le mix brésilien de Flavia Coelho comme dans le rythme kingstonien de Collie Buddz. La première, née à Rio il y a trente-cinq ans, profite de la France où elle réside depuis une décennie, pour faire des rencontres, et métisser ses musiques de graines diverses, dont celle, abondante, de la Jamaïque. Sur la scène du Move, elle trimballe ses kilos de frisette avec ce carburant des showwomen agitées de la croupe comme des dents: la carrosserie des dites-gencives impliquera le coït instantané de tout orthondiste diplômé. Ou non. Avec des doses de reggae revues version tropicao: aucune trace de génie mais une présence physique qui se donne. Le public aime. Comme il suit Collie Buddz, américain ayant croisé la route de Shaggy et Kid Cudi. Mais là, aucune audace sonore chez le mec, seulement le labourage de vieux champs, dont celui de Bob Marley repris ici via un Waiting In Vain sans originalité aucune. Pourquoi tant de succès pour si peu de personnalité ? Merci d’avoir posé la question.

L’autre mamelle de Mère Couleur Café 2015 est donc le hip hop. Starflam bourre le chapiteau Univers qui tutoie l’apoplexie sous température honteuse. La bande liégeoise, quatre Mc’s et un DJ, ramène quelque chose qui s’approche de la belgitude dans son scan social, verbe wallon qui a su toucher une fibre urbaine. Et plus encore. Impression que la machine s’emballe lorsque Kaer chante dans sa langue natale, l’espagnol, qu’il fustige en même temps qu’il ne le roucoule, pudding de genres apte à définir l’époque fissurée qu’on vit. Electricité agréable même si le mix ne laisse pas toujours passer les nuances et l’impulsion des textes, certains ayant près de 20 ans. Le vrai moment de possible décalage intergénérationnel se passe à nouveau sur la scène Titan lorsque 1995 prend l’espace, un peu après 20 heures. Ce n’est pas seulement une date mais aussi un collectif parisien emmené par Nekfeu, gros buzz récent. La vaste plaine enfin balayée par un vent secouriste, exulte d’un désir (post) adolescent, hurlant par coeur grammaire et syntaxe des titres, enthousiaste, bluffée, submergée de testostérone et peut-être même bien, d’endomorphine communautaire. Perso, cela nous laisse froid et interloqué, en tout cas sur la « musique » –degré zéro quand même sur l’échelle de Grandmaster Flash- et pose la question d’un décalage entre l’adoration teenage du machin et l’appréciation, disons, des générations suivantes. Enjeu au coeur de la philosophie même de Couleur Café. Et puis, comment aimer un MC qui porte un t-shirt d’Iron Maiden? Merci de proposer vos réponses.

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