Confessions d’un plouc de sortie

Semaines après semaines, Guillermo Guiz nous plonge dans les eaux troubles et troublantes de la nuit bruxelloise. Night in, Night out, épisode 10.

Ca commence mercredi. Par une veille de jour férié donc. Et par un vieil engrenage tout pourri, de ceux qui te hachent menu pour une poignée de vent, pour rien en somme, pour le plaisir d’engorger façon « Vodka mon amour » les dernières cellules innocentes de ton organisme ou de lancer ton fric à l’assaut de la machine économique. Ouille, je sens que cette chronique va se barrer en fil de fer.

En acceptant de coucher sur papier électronique mes errances nocturnes, je me savais exposé à la crasse angoisse de la nuit blanche. A celle de ces soirs pisse-vinaigres où la perspective d’affronter les masses te file un coup de tournevis dans les tripes. Parce que la pluie à l’infini t’exécute le moral, parce que le déjà-vu t’inquiète, parce que tes vendredis, samedis et dimanches ressemblent systématiquement à des films de zombies. D’un zombie réveillé par une voix coup de fouet: « Viens, on va boire un verre vieux débris ». « Où? » « A l’Axess. » « C’est bien parce que c’est toi. » Et parce que la saison 4 de Rescue Me craint des douilles et des nouilles.

Après, faut se faire biche. Au cas où. Et se faire biche quand on a les nerfs, c’est comme choisir à manger quand on n’a pas faim. Puis faut se jeter dans l’obscurité, réchauffer l’habitacle, se taper Tour et Taxis, ranger la ploucomobile devant le K-Nal (je me connais), tester l’étanchéité de ses souliers de bois sur les tapis d’automne, débarquer blasé à l’Axess, contourner l’immense bar la tête haute mais le regard mystérieux. Et s’accouder, seul, à quelques pas d’une tablée de huit filles. Au cas où. C’est la clé. Ecrire son avenir sur un tabouret. En laissant quelques heures Tommy Gavin, Vinnie Chase, Hank Moody, Nancy Botwin ou même Omar Little à leurs fabuleux destins : au cas où…

Seul… Ca fait ténébreux. En fait, c’est bêtement génétique: j’ai juste rendez-vous avec une FILLE. Dans ces cas-là, être en retard, c’est quand même être en avance. L’urgence? Trouver une contenance. Observer. Remarquer les centaines de bouteilles de gin vides renversées au plafond, qualifier de « plutôt élégante » la déco aux halos bleutés du resto-bar, trouver « plutôt judicieuse » l’idée d’y tenir une ladies’night le mercredi (dîner à -50% pour elles), et puis chipoter « plutôt compulsivement » son GSM. Forcément. « Hey, Daniel C., chui à l’Axess, j’attends Julie G. Tu fais quoi? » « Soirée Elle, à Tour et Taxis. » « Cool! » Bonne nouvelle? Presque… Julie G., assoiffée de la nuit aussi déglinguée que pertinente, daigne enfin pointer ses naseaux: « Soirée Elle? On se fait chier en général là-bas, non? ». Laconique. Mais perspicace. « Oui, clairement. Cela dit, tant qu’à être à Tour et Taxis… »

Minuit. Le plus curieux? L’entrée. Apparemment, le portier a avalé un Bisounours. Il nous sourit, on passe. Simplement. Comme dans un Quick, alors qu’Elle Belgique a sorti l’open-bar. A l’intérieur, les chacals assermentés de la nuit bruxelloise scrutent froidement leurs proies. Tout le monde est bien beau, faut dire. Mon pote Daniel C. roucoule avec Alizée P. pendant que Selah Sue fait vibrer les dernières notes de son showcase. Un DJ reprend les rênes, fort bien d’ailleurs, mais ce n’est pas lui qui chauffe les coeurs: dans ce genre de sauteries aérées, les imperceptibles traces d’excitation décelées dans l’assistance proviennent essentiellement, nonobstant l’open-bar, du sentiment grisant d’appartenance à la caste brancho-privilégiée des jolis gens.

Parlant de jolis gens… Tatiana Silva, l’essentielle Tatiana Silva, mon running-fantasme (copyright Nicolas C.), prend calmement un verre près du bar à cocktails. Compte à rebours, stratégie, affolement. Je finis par m’imposer en terroriste pour lui parler de Night in Night out, de sa présence régulière dans ces colonnes, de mes déclarations à distance mi-c’est-pour-rire / mi-épouse-moi-meuf. Rien à foutre, ou presque, fallait s’y attendre. « C’est plouc de parler de moi comme ça, non? », m’assassine-t-elle, cinglante et sympa en même temps. « C’est ta soeur la plouc. » J’aime bien la répartie sur les soeurs. J’essaye de me suicider avec une paille mais je manque de technique. Reste à aller noyer dans le K-Nal cette pétrifiante indifférence. Avec les mix de Brodinski, de Yuksek et de Stephen the Magician. En espérant qu’il me fasse disparaître…

S’extirper douloureusement de son lit pour se faire traiter de plouc par Tatiana Silva, ça fait mal au pelvis. J’aurais mieux fait d’aller voir Wim Delvoye et les fabuleux Glimmers au Bozar. Ou Simon Le Saint au Marquee. Mais peu importe. Me restera toujours la Maïté sanitaire du K-Nal, Mamy Jacqueline, pour recharger mes batteries de self-estime-de-moi-même. Mamy Jacqueline ou peut-être cette jeune femme, le cheveu humide, samedi soir au Barsey. « Excuse-moi. Mes copines et moi, on te regarde depuis un moment et on voulait te demander quelque chose. » « Vas-y, je t’en prie. » « T’es Autrichien? » C’est dans ces moments-là que le Loser de Beck prend tout son sens. « J’ai une tête d’Autrichien? » Celle-là, on ne me l’avait jamais faite. Latino, Espagnol, Asiatique, Polonais, Ashton Kutcher et Stephan Pauwels, mais Autrichien… « Viens avec nous… » J’ai noté: « Je serais volontiers venu, si tu ne faisais pas 1m97. Maintenant, laisse-moi réessayer avec une paille. »

Le Barsey, hôtel chic de l’avenue Louise, c’est bas de plafond. Ca sent le sport en intérieur, le parfum âcre, le cigare aussi. Et ça se voit fort quand les filles sont grandes. Qu’est-ce que je fous là, s’intrigueront encore les plus pointus de mes contacts Facebook? Simple: à force d’évoquer les DJ’s enthousiasmants de Bruxelles, j’ai fini par négliger ceux qui m’insupportent. En clair, si je mets les pieds au Barsey, ce samedi soir, c’est pour être méchant. Pour balancer sur la manie qu’a Jonathan Loys, pourtant l’ami d’une amie, de TOUJOURS jouer des trucs que je déteste. Mala racha… Ca se sent? A l’entrée, l’organisateur, Daniel Szczekacz, donne le ton, un chouia arrogant: « Si t’es pas sympa dans ton article, je te retrouve, je te (? me rappelle plus du terme, mais c’est un truc qui fait mal) et je te noie dans le canal. » « Ben si la soirée est bien, je serai sympa. » De fait: pas si mal, cette Eurocrats party. Même qu’au départ, Loys oublie Katy Perry et Lady Gaga ! Au départ…

Malgré cette pollution-punition auditive intense, je me force à appliquer le critère des critères, celui qui, définitivement, sépare le bon grain de la mauvaise soirée: est-ce que les gens s’amusent? Ben oui, manifestement. Si l’on excepte les pincées de poseurs cachés derrière leurs bouteilles de champagne, l’essentiel des expats présents paraissent au comble de la joie. Surtout quand David Guetta (je suis à court de qualificatifs pour David) et les Black Eyed Peas braillent une nouvelle fois leur tube digestif pour les faire hurler à la mort.

Etonnement, l’indigence musicale diffusée sur la piste du Barsey n’est qu’un début. Parce que dans la foulée, je me tape une nouvelle fois le Louise Gallery. Alors que j’aurais pu danser à l’usine « I Love Techno » ou me frotter aux chaleurs de la « Bitchy Butch »: deux heures plus tôt, à la sortie du Wiels, où se tenait la quatrième « Customisez-Moi », c’est là que les freaks et mannequins de récup’ réquisitionnés pour l’excellent défilé vintage de Bernard Gavilan semblaient en partie se diriger.

Mais non, aux technos-héros et aux bains-maries homos, je préfère aller PARLER EN BIEN du Louise Gallery. Parfaitement ! Copinage? Parfaitement! Tu te rappelles de Julie G., ma pote en retard de l’Axess? Elle est à l’origine des soirées mensuelles et thématiques « I Feel… »: un concept dont le mérite consiste à remettre en selle l’événementiel nocturne dans sa forme déguisée et extravagante. Faute de gros moyens, c’est un peu cheap, les Louisiens ressemblent aux Louisiens, la musique est à se taper la tête contre les murs (Casanova, d’Ultimate Chaos, par exemple), mais au moins, Julie G. et les siens proposent autre chose qu’un DJ et un bar. Pour cette « I Feel… Vegas », tables de blackjack, roulette, poker, mini-chapelle de mariage essaiment un peu partout dans la boîte. Question: « Julie G., c’est quoi ton déguisement Vegas? » « Ben regarde ». Deux seins de compétition, élevés au lait de dromadaire: tellement Vegas, c’est vrai. Mignon. Mais pas assez pour me persuader d’appuyer sur le champignon de la débauche. Définitivement, j’ai le sortant en arrêt maladie cette semaine. La saison 4 de Rescue Me? Pas si naze, finalement. Rideau.

Guillermo Guiz

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