Comment les salles de concerts font face à la crise

À Liège, le KulturA attend le retour de son public, mais son équipe n'a pas chômé pour autant. © JF JASPERS
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

Crowdfunding, appels aux dons, merchandising exclusif ou encore préachat de tickets: secouées par le Covid-19, les salles de concerts multiplient les astuces pour tenir bon dans la tempête Et maintenir le lien.

Avec le coronavirus, la formule de politesse la plus simple prend désormais des contours quasi existentiels. Exemple: comment ça va? vraiment? À l’autre bout du fil, Jean-François Jaspers jauge: « Disons que le bulletin météo du jour n’est pas trop mauvais. » L’effet déconfinement? Lieu essentiel de la vie culturelle et associative liégeoise, le KulturA, dont il est l’un des fondateurs, est toujours fermé au public. « En attendant, on essaie de reprendre tout doucement une activité, en respectant les mesures sanitaires. On en profite pour faire de la maintenance, améliorer la salle, etc. » Le ralentissement forcé aura aussi permis de lever la tête du guidon. « Depuis le lancement, il y a trois ans, on a beaucoup cravaché. La situation actuelle aura au moins eu comme effet positif de pouvoir prendre un peu de recul. » Mais ce qui met surtout du baume au coeur de Jean-François Jaspers ces jours-ci, ce sont les premiers résultats de l’appel aux dons, lancé le 4 mai. « Au-delà de mettre un peu de beurre dans les épinards, c’est un chouette coup de boost au moral. »

L’opération a déjà permis de rassembler quelque 10.000 euros. Visiblement, le slogan « une bière par mois pour sauver le KulturA » a été efficace… « Il a un côté potache (rires), mais au moins il est parlant. C’est moins plombant que d’annoncer qu’il nous faut trouver 6.000 euros par mois pour garder la tête hors de l’eau. » Sur le site web, il est possible d’effectuer un don -unique ou mensuel- à partir de 2,50 euros, l’équivalent d’une chope virtuelle. « L’an dernier, on a comptabilisé plus de 26.000 entrées. On se dit que si chacun contribue, même par la plus petite somme, ça peut vraiment avoir un impact. » Pour le lieu, encore jeune, et qui ne bénéficie pas de subsides structurels, l’idée est de pouvoir payer au moins les frais fixes, soutenir les prestataires habituels du lieu (artistes, techniciens, etc.), et envisager une reprise qui ne soit pas trop plombée par les dettes, « dans un secteur qui a montré toute sa fragilité ».

Le KulturA n’est d’ailleurs pas le seul à avoir sollicité sa « communauté ». Après le coup de massue lors de l’annonce du confinement, chacun a commencé à s’organiser. À Bruxelles, par exemple, le C12 est également une structure assez récente. En deux ans à peine, le club est devenu l’une des nouvelles références des nuits bruxelloises. Depuis le 8 mars, ses portes restent cependant fermées. Pour autant, il n’est pas resté inactif. Tom Brus est l’un des fondateurs: « On en a profité pour concrétiser certains projets qui étaient dans l’air. Comme la création d’un label. Ou le développement d’un vrai merchandising, auquel on pensait depuis un moment, mais qui n’était jamais vraiment une priorité. » Le lockdown a changé ça. Il a fallu trouver de nouvelles sources de financement pour pouvoir se donner un peu d’air et payer ici aussi les charges incompressibles. D’où le lancement d’un crowdfunding, avec pour objectif de récolter 50.000 euros d’ici le 28 juin! « On s’est inspirés de plusieurs clubs à l’étranger, qui avaient adopté ce genre de démarche, en le faisant à notre sauce. Ça nous a amenés à réfléchir à ce qu’on voulait proposer comme rétribution pour chaque don: des produits -t-shirt, livre, poster-, mais aussi des expériences inédites, comme des workshops, un shooting photo, etc. » Ou encore des pass pour un mois (50 euros), voire un an (250 euros), valables dès la réouverture -un peu comme l’ont fait les collègues du Fuse, en proposant d’acheter des bons à échanger pour n’importe quelle future soirée.

Portes fermées, esprit ouvert

À Liège, le KulturA n’a pas prévu de contreparties aux dons. « On a voulu « démercantiliser » au maximum la démarche. Puis, il faut bien avouer qu’on n’était pas certains d’avoir les reins solides pour se lancer là-dedans. » Cela n’a en tout cas pas empêché de voir la « communauté » du KulturA répondre présente. « Il y a les dons, et puis les mots qui, souvent, les accompagnent. Ça vous fait prendre conscience de la dimension sociale du lieu. Pour certains, c’est vraiment un repère, une seconde maison. »

Maintenir le lien, c’est aussi l’une des motivations du Rockerill. Récemment, la salle carolo a également lancé une action de soutien, mais aux dimensions plus modestes. Ici, il était question de proposer un t-shirt exclusif signé par l’illustrateur Elzo Durt, accompagné éventuellement d’un vinyle d’un des groupes signés sur le label du Rockerill. Julian Trevisan, chargé de com: « En recevant des subsides de la Ville et de la Fédération Wallonie-Bruxelles, nous ne sommes pas les plus mal lotis. Donc quand on propose 200 t-shirts inédits, ça fait évidemment rentrer un peu d’argent. Mais ce n’est pas la motivation principale. » L’idée est plutôt de conserver le contact avec son public, de le revoir même, « quand la personne vient rechercher son achat, ou quand on va lui déposer. Chaque fois, c’est l’occasion de discuter, et de réaliser à quel point tout le monde n’attend qu’une chose: que les activités reprennent. » Après les DJ sets en streaming live, le Rockerill va lancer un nouveau format sur le Net, en collaboration avec l’éden et le Vecteur. Baptisée Dites 33, l’émission de… 33 minutes proposera interview et live avec un invité (le premier sera La Jungle). « C’est aussi l’occasion de mettre l’accent sur les artistes, leur filer un coup de pub. Quelqu’un comme Elzo Durt, qui réalise des pochettes de disques, ou des posters de tournées, est forcément impacté par la situation. »

Car au-delà de sauver sa propre structure et de maintenir le lien avec sa « communauté », l’ambition est aussi de soutenir les artistes. Au C12, Tom Brus ne dit pas autre chose: « En deux ans d’activités, on a rencontré plein de gens chouettes qu’on a envie de mettre aujourd’hui en avant, en les faisant participer à notre crowdfunding. Chaque fois, une partie de la somme leur revient directement. Au-delà, ça permet de leur donner une visibilité. »

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