Clément Nourry crée de l’espace de repos sonore: “On vit aujourd’hui dans une espèce de chaos d’interaction”

Clément Nourry: "La musique peut rassembler les gens. Mais elle existe aussi comme intimité sonore." © DR
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Dans un monde saturé de mots, de bruits intempestifs et d’informations, les musiques instrumentales offrent des moments de respiration. On fait le topo avec le guitariste Clément Nourry, qui vient de sortir Amor, son nouvel album solo.

Mi-novembre, Godspeed You! Black Emperor remplissait et époustouflait l’Ancienne Belgique. Le post-rock n’est pas mort. Le jazz est revenu sur le devant de la scène. Les musiques instrumentales se portent bien. Merci pour elles. Elles semblent même particulièrement adaptées à notre époque. Sonnent comme une bénédiction dans le brouhaha ambiant, le bombardement permanent et la surenchère d’informations. « On vit aujourd’hui dans une espèce de chaos d’interaction, analyse le guitariste Clément Nourry (Adam Green, Irma Thomas…) qui vient de sortir l’instrumental Amor chez Capitane Records (le 5/12 au Café Bornhem à Gand et le 8/12 au Casino, à Saint Nicolas). Tu n’as plus vraiment d’intimité désormais. Il y a beaucoup plus d’événements sonores qu’avant et on a en même temps plus de mal à les vivre. Peut-être parce qu’on manque d’endroits de repos. Je le ressens aussi. Et je me demande si c’est parce que je vieillis ou parce que quelque chose change réellement dans le monde. Il m’arrive en tout cas d’être dans des endroits tellement bruyants que j’ai énormément de mal à me concentrer. »

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Entre la musique de fond, le marteau piqueur qui défonce les pavés et les gens au téléphone, sur haut parleur bien sûr, histoire qu’on puisse tous en profiter… « La musique instrumentale permet peut-être de donner de la place à des émotions dans un espace verbal totalement saturé. On est inondés d’informations contradictoires. Tout est très polarisé. Il est extrêmement compliqué d’exprimer les choses parfois. »

Clément Nourry évoque le cas, parlant, de Bernie Krause. Un folker qui a joué avec Peter Seeger et s’est lancé dans le field recording après avoir été victime d’un burn-out. « Sans le vouloir, Krause (qui se définissait comme un bioacousticien, NDLR) a documenté la disparition du biotope d’un point de vue sonore. Ce qu’il montre, c’est comment les espaces changent. On plante des forêts là où il n’y en a plus. Mais ces forêts restent silencieuses. Dans le son, elles n’existent pas. Il montre visuellement comment chaque espèce animale a besoin d’un territoire sonore pour vivre et se construire à l’intérieur d’un spectre. Et si tu remplis ce spectre avec autre chose, tu peux éradiquer une espèce. Par exemple en faisant passer une ligne d’avion au dessus d’un endroit où les grenouilles ne peuvent plus se reproduire parce qu’elles ne sont plus en mesure de communiquer. » Cette idée l’a beaucoup chamboulé. « En tant qu’humain, on a une forme de logique sonore mais c’est un aspect de notre existence dont on ne se saisit pas toujours. Faire de la musique, c’est une manière d’habiter notre vie auditive et de rendre notre monde sonore supportable. »

© DR

(inter)Contrastes

Adepte de la métaphore, Clément Nourry voit la musique instrumentale comme une espèce de maison sonore sans les mots. « On peut donc s’y reposer tout en étant dans un territoire auditif où l’on se retrouve. » Nourry a commencé à bosser sur son nouvel album solo dès la sortie du précédent en 2016. « J’avais envie d’avancer. J’écoutais beaucoup John Fahey. Je voulais creuser. J’avais quelques idées fixes sur la musique que je tenais à explorer. Les contrastes entre le doux et le fort d’un point de vue sonore. Les contrastes entre le doux et le fort aussi d’un point de vue physique et gestuel. Il y avait également des choses plus musicales et guitaristiques qui me tenaient à cœur. »

Le Bruxellois d’adoption a enregistré l’album une première fois en 2018 dans une maison et une certaine forme d’intimité mais n’en fut pas pleinement satisfait. Avec la pandémie, l’arrivée d’un deuxième enfant et Under The Reefs Orchestra qui lui a pris plus de temps, de place et d’énergie que prévu, la matière s’est périmée. « C’est marrant, à un moment, j’ai aussi commencé à écrire des chansons. Je n’étais pas sûr de ce que je voulais. J’ai toujours aimé chanter. Ce que j’ai fait d’ailleurs, en anglais, dans Joy as a Toy. Cette fois, j’ai voulu me diriger vers le français et voir comment je pouvais remuer ces émotions. J’aime parler. J’aime les mots. J’aime lire. J’avais envie de triturer cette matière. De voir comment je pouvais émouvoir les gens. Faire vibrer une pièce. Mais je me suis rendu compte du chemin à parcourir au niveau de l’écriture du texte et de la difficulté de le porter. »

Ambiance nocturne. Insomniaque même. Influences musiques de films. Neil Young (Dead Man), Ry Cooder (Paris Texas)… « Quand j’ai commencé à avoir la matière pour un album, je me suis rendu compte que je fantasmais un truc très rock’n’roll. Très rythmique. Un peu punk. Mais c’était pas du tout ça. Il y avait des morceaux très doux, très beaux. Sur le précédent, il y avait davantage de psychédélisme. Des pédales d’effet dans tous les sens. Assumer la douceur comme un endroit d’intensité m’a pris du temps. Descendre à fond dans l’énergie pour affirmer les contrastes aussi. »

Amor parle de ses huit dernières années. D’un amour pas spécialement romantique. « De quelque chose de très sourd finalement. Comme une vibration qui te rattache à la terre. C’est le quotidien. C’est la maison. C’est faire les tartines de tes enfants. Prendre soin de l’autre comme tu aimerais qu’on prenne soin de toi. »

La parole n’est pas une nécessité pour faire passer un message. « On peut vite se retrouver prisonnier de structures syntaxiques, du son et des mots. Il y a des gens hyper doués pour les utiliser, exprimer des émotions et faire ressentir des choses. Mais il y a des trucs qu’on vit qui ne peuvent prendre qu’une certaine forme avec les outils qu’on a pour les partager. Le son a sa logique propre et il peut devenir l’incarnation d’émotions complexes. Y compris des choses dans lesquelles les enjeux affectifs sont très différents et qui ne pourraient pas trouver place dans le langage. »

Puis avec la musique instrumentale, l’auditeur n’est pas arrêté par la fin de l’histoire qu’un chanteur lui raconte. « La musique est située autour d’un autre récit et d’une autre temporalité. » Nourry évoque de lui même le retour de l’ambient… « Cette idée de reprendre le pouvoir sur le temps en faisant des musiques très lentes où tout événement est tiré en longueur. C’est un peu comme si par le son on créait un territoire dont le rythme nous convient mieux que celui de la vie. »

Clément Nourry, Amor ***(*), Capitane

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