Christophe, le flambeur: « Je ne fais pas de promo, seulement des rencontres »

Détail de la pochette du vinyle d'"Aimer ce que nous sommes". © DR
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Toutes les chansons de Christophe ressemblent à des mélodrames traités au vaccin expérimental. A l’occasion de la sortie d’Aimer ce que nous sommes, en 2008, le parleur nocturne évoquait ses obscurs objets du désir…

Une interview parue initialement dans le Focus Vif du 18 juillet 2008, que nous republions ici en guise d’hommage.

Christophe, c’est Howard Hughes convivial, Elvis qui ne serait pas mort, Kraftwerk accro au slow italien. Un puzzle humain qui « ne fait pas de promo, seulement des rencontres« . Sans tenir compte du temps, d’ailleurs Christophe n’a pas de montre. Son nouvel album lui a pris quatre ans, le plus souvent calé dans son appartement de Montparnasse garni d’objets précieux et d’un Mac. Avec des sorties à Londres pour les cordes ou en Andalousie pour les guitares. Ce soir de juillet, Christophe ressemble plus à Vercingétorix qu’à un chanteur de charme vieillissant, même s’il y a aussi de cela chez Daniel Bevilacqua, ex-vedette des sixties, né en octobre 1945 près de Paris, d’un père italien et entrepreneur et d’une mère bretonne et artiste. Quand il parle, doucement, on retrouve la voix comme mémoire émotionnelle de ses chansons. Parfois, il sourit et son corps s’agite d’un spasme enfantin. Avec Bashung, son double timide, Christophe patronne le club des effrontés qui ne s’imposent aucune limite. Peut-être parce qu’il est gourmand de nature. Devant un superbe repas thaï près du Quai d’Orsay, ses sens sont en éveil. Il est presque 23 heures.

Christophe: la gourmandise est une jolie qualité, comme le langage. Ma boulimie n’est pas réfléchie. Dans mes disques, il n’est pas question de textes mais d’engrenages de mots qui s’emboîtent.

Focus: à quel moment considérez-vous qu’une chanson est finie?

C’est assez inexplicable: mais tant que je n’ai pas envie de chanter dessus, elle n’est pas accomplie. Au départ, je chante en yop (faux anglais phonétique) et c’est une poussière qui me dévoile un univers, chaque chanson est une étoile, l’idée est de former une galaxie.

It Must Be A Sign, comme la plupart des morceaux du nouveau disque, est fortement influencé par le principe du collage de sons et d’accords divers. On y entend la voix d’une vieille femme qui parle d’une autre femme lisant Artaud, autre fou…

Il y a quelques années, à la radio, j’ai entendu parler cette photographe, contemporaine des surréalistes et de Man Ray. Je l’ai enregistrée et mis le son de côté. Et puis, de tous les pianos que je fais chaque nuit, un m’a semblé résonner par rapport à cette voix-là et je l’ai récupérée du tiroir où elle attendait. Mon idée de la musique est celle du voyage. Je suis allé enregistrer des guitares en Andalousie, dans le studio du Camaron (1) et j’ai senti sa présence, vivante. Je fonctionne avec l’idée de clan intérieur, de gens avec lesquels j’ai une affinité: en font partie David Lynch, Lou Reed ou Isabelle Adjani qui est venue poser sa voix, chez moi un soir, sur le morceau qui ouvre l’album, Wo wo wo wo.

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Dans vos disques, il y a aussi l’idée de jeu, d’expérience, de défi. En scène, les chansons sont plus directes.

Je suis attiré par l’expérience du studio et intrigué par les futures réactions extérieures: mes chansons provoquent des rencontres. J’aime l’idée de jeu, les cartes, la vitesse. Lors de mon retour à l’Olympia en 2002 (2), j’ai voulu que le son soit parfait: cette perfection autorise la respiration et certains mots frôlent le silence…

A vos débuts discographiques, en 1963, vous enregistrez des chansons assez simples mais arrivé à la cinquantaine, dès Bevilacqua en 1996, vous livrez des disques puzzle, beaucoup plus expérimentaux. Pourquoi?

Au début, il n’y a simplement pas de technologie pour expérimenter. L’époque est archi-formatée et j’enregistre, par exemple, avec des mecs qui sortent de cinq ans de tournée avec Franck Fernandel (3) (rires), de purs requins showbiz. Je leur montre quand même que je suis là, au bon moment, au bon endroit. Je m’émancipe en écrivant la B.O. de Sur la route de Salina, le film de Lautner sorti en 1971. Je comprends alors que j’ai autant besoin d’apprendre que de me diriger moi-même. Ma culture est inscrite au quotidien: elle est émotionnelle et instinctive. J’utilise mon intimité dans ma musique, ma respiration, mes mystères. Aujourd’hui, je suis dans le même état d’esprit qu’avant mes vingt ans, lorsque je faisais mes expériences sonores en frappant sur des lessiveuses. J’ai toujours aimé la percussion, l’écho: c’est pour cela que je pense que les mélodies doivent être habitées par de nouvelles couleurs. J’aime ce peintre belge, Marembert (1900-1970), un surréaliste des années 1950, qui est mort seul, sur une péniche. Qui est mort comme il l’a voulu!

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Vous avez vécu comme vous avez voulu, non?

Oui, mais… Je suis me marié très tôt, j’ai aimé très tôt. Je suis resté longtemps, trente ans, avec une femme, Véronique, la mère de ma fille Lucie qui a aujourd’hui trente-sept ans. Véronique a été la femme de ma vie (il s’arrête). J’ai des blessures (…), une famille cassée laisse beaucoup de marques. Mais je garde un regard positif sur la vie. Je suis un flambeur, je prends des risques…

Le premier choc musical?

Le blues… Sonny Boy Williamson, l’harmonica. Je me tirais de Juvisy chez ma grand-mère et j’allais à Viry-Châtillon pour écouter des disques puisque je n’avais pas le droit d’aller en boum, je n’avais que quatorze ans. Et puis, Presley et Eddie Cochran m’ont complètement déstabilisé. J’étais fou des disques et je les volais, beaucoup… Il y a prescription (rires). Maintenant, je rencontre des jeunes de vingt ans qui n’osent pas trop me parler, c’est çà le blues…

Il est minuit trente, entre alors Jean-Daniel, un sexagénaire trop bronzé accompagné d’une nettement plus jeune créature. Hasard cosmique, c’est JD qui a pris les photos de Christophe aux premiers temps d’Aline (1965). Champagne, rires, anecdotes sur les textos d’Adjani. Une heure trente, tout le monde est dans la rue. Christophe et ses rencontres d’un soir posent sur la Porsche de Jean-Daniel. Christophe, privé de permis depuis neuf ans, aime toujours la grande vitesse… Les dandys ne meurent jamais.

(1) Camaron de la Isla (1950-1992), mythique chanteur flamenco.

(2) Après vingt-six ans d’absence scénique, Christophe s’embarque par une tournée également passée par le Cirque Royal et le Théâtre 140 à Bruxelles.

(3) Crooner-chansonnier jazzy, fils du célèbre comique français.

Aimer ce que nous sommes chez Universal, en concert début 2009?

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