Serge Coosemans

Bruxelles de fin juin à septembre: l’été en pente molle

Serge Coosemans Chroniqueur

SORTIE DE ROUTE | L’été noctambule bruxellois se déclinant entre aimables couillonnades, hibernations et secrets bien gardés, le touriste ne peut repartir d’ici qu’avec en tête un polaroïd très Quatremer, estime notre chroniqueur. Attention, second degré.

Quand j’étais jeune et que je voyageais davantage, j’avais cette petite théorie comme quoi pour comprendre une ville et les gens qui l’habitent, il fallait en visiter non pas les musées et les lieux touristiques mais bien les quartiers mal famés, les supermarchés et la discothèque la plus branchée ou bizarre du coin. Cela m’est resté. Trois ou quatre ans avant la sortie du film The Commitments d’Alan Parker, je me suis ainsi retrouvé dans une petite boîte de Dublin où la sono ne passait que de la soul, du funk et du rap. Comme n’importe quel touriste, j’avais de la capitale irlandaise une image sinon folk, du moins principalement rock et new-wave, à cause de U2 et des Virgin Prunes, mais on m’expliqua là ce que tout le monde sait depuis le succès du film: l’Irlandais des années 80 se reconnaissait fort dans la musique black américaine, celle des durs à cuire, des opprimés. En visitant très dernièrement des supermarchés anglais, j’ai sinon aussi appris que le Britannique, contrairement à sa légende tenace de gobeur de merde à la menthe, se nourrissait désormais vraiment très correctement, même nettement mieux qu’ici. Il paraît que cela vient du traumatisme profond des années « vaches folles », quand le bétail contaminé était abattu et brûlé par l’armée, et que la qualité nouvelle de l’assiette anglaise découle aussi de la prolifération des émissions de télé-réalité culinaire, ainsi que de l’influence de chefs médiatiques comme Jamie Oliver et Gordon Ramsay. Je ne vais sinon pas m’étendre ici sur l’importance des quartiers mal famés dans la compréhension d’une ville. Des milliers de bouquins ont été écrits là-dessus.

Raconter tout cela pour dire quoi, au juste? Très simple: voilà l’été et je me mets à la place du touriste qui débarque à Bruxelles. Celui qui n’est pas là (que) pour les musées, les bières spéciales et le chocolat mais entend aussi prendre le pouls de la ville, s’imprégner d’une ambiance, essayer de comprendre ce qu’il s’y trame. Celui qui aurait comme moi l’idée de checker les quartiers mal notés, d’ausculter l’offre des supermarchés et de passer une nuit quasi sociologique sur le dancefloor le plus révélateur de la psyché bruxelloise. Quand vous prenez le train pour Londres, vous recevez un petit guide gratuit titré New London, édité par Eurostar, et écrit par une partie de la rédaction du magazine Technikart. Les adresses proposées mêlent l’incontournable au très pointu, voire au franchement osé, décalé, marginal. A-t-on l’équivalent de cela à Bruxelles, sinon sur des sites Web éventuellement inconnus à l’étranger? Non. A-t-on vraiment envie d’avoir l’équivalent de cela à Bruxelles? Non plus, je pense. Quand un touriste, en été, demande où bat le pouls de la ville, on a tendance à l’envoyer manger une tartine de fromage blanc avec des radis et boire une trappiste chez Moeder Lambic ou à La Mort Subite. On lui conseillera peut-être d’aller danser au Fuse ou chez Madame Moustache, établissements qui en apprennent plus sur la techno et les hipsters de série Z que sur l’esprit bruxellois, mais on se gardera bien de le rencarder sur le Beurs et les Recyclart Holidays. En fait, si un touriste demande à un Bruxellois où sortir en été, il risque surtout de s’entendre répondre: 1. Qu’en été, tout ce qui cartonne le reste de l’année est fermé ou hiberne; 2. Qu’en été, les rares trucs vraiment bien qui se font, on n’a pas envie d’y voir des touristes. Tout simplement.

Bref, nous voilà dans une ville où, qualitativement parlant, durant la haute saison touristique, l’offre noctambule se réduit à peau de chagrin. De juin à septembre, on a, en gros, d’aimables couillonnades festivalières ou outdoor « péteuses » genre Apéros Urbains, des DJ’s de bancs de touche qui n’arrivent pas à se caser en festivals et de rares fêtes valables tenues quasi plus secrètes qu’une assemblée de Franc-Maçons Méphistophéliques Sacrificateurs de Chatons. On ne va pas aller jusqu’à dire que c’est le monde à l’envers, vu que cela se passe aussi comme ça pas mal ailleurs. Il faut juste se mettre à la place de ce pauvre touriste qui va repartir de Bruxelles avec en tête le polaroïd d’une offre nocturne partagée entre festivals graisseux, boîtes et events qui suivent l’agenda scolaire et lieux valables où le noctambule local n’a au fond aucune envie de vous y voir. Ce qui tranche net avec la novlangue des brochures touristiques: « la ville accueillante et cosmopolite », « les habitants chaleureux », blablabla. Attention, second degré, satire: le premier qui me sort que je noircis trop le tableau et que si cela ne me plaît pas, je n’ai qu’à aller voir ailleurs gagne une photo dédicacée de Jean Quatremer!

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