Serge Coosemans

Breaking Dawn: j’ai testé le clubbing de jour

Serge Coosemans Chroniqueur

SORTIE DE ROUTE | Né en Transylvanie en 1669, Serge Coosemans est souvent bien à côté de son caveau quand il se heurte aux Diurnes. Surtout lors de fêtes régionales et de leur off électronique au Parc de Bruxelles.

Ce dimanche 5 mai 2013, dans le cadre de Voyage Voyage, l’après-midi tech-house organisée par Woodstrasse au Parc de Bruxelles en off de la Fête de l’Iris, j’ai testé le clubbing de jour. De midi à seize heures, j’ai vraiment tenté de fonctionner frais et en plein air comme je le fais généralement bourré et en boîte entre minuit et 4 heures du matin. Une expérience en soi. J’ai passé tout le week-end à travailler, lire et regarder des films et puis, dimanche donc, quasi au réveil, j’ai rejoint l’event frais comme une bonne couque matinale du Vatel; sans la moindre goutte d’alcool, ni le moindre résidu suspect traînant dans mon système. Ce qui est pour moi assez inédit, vu que jusqu’ici, le clubbing de jour a toujours consisté à vaciller vers 14 heures sur le cinquième dancefloor d’affilée après une virée débutée 24 heures plus tôt ou à couiner d’un bête rire psychotrope sous le brumisateur à poppers d’un jardin de DJ complètement lost in time and music. Là, je me suis levé et moins d’une heure plus tard, le cerveau switché en mode « sortie », j’étais devant des DJ-sets et un live de house-music. Ouvert à tout, y compris aux pires dérapages. Il s’est toutefois vite avéré que le trip allait plus tenir de la petite expérience un peu bizarre que de la grande nouba barbare. Déjà, je dois bien avouer un truc, un gros: je suis de ces gens qui sont plutôt rock et asociaux le jour, alors que la nuit me rend très blablateur, ouvert et beat-friendly. En plein soleil, le sang décontaminé, les gens me donnent des envies de génocides, pas de partouzes, et une majorité de ce qui se produit en matière de musique électronique à vocation dansante a aussi tendance à carrément me plomber les chaussettes. La techno de jour, ça sert à regarder défiler un paysage, accompagner un travail d’écriture difficile, les trajets sur autoroutes ou de train. C’est idéalement mental, triste, contemplatif. Fahrn fahrn fahrn auf der autobahn. Dès que ça bougne trop, la techno et la house en journée, j’y entends en fait le bruit des bottes aux portes du Ghetto de Varsovie.

Pourtant me voilà donc à l’heure du poulet-compote en famille devant le kiosque du Parc de Bruxelles. Prince Off, pilier des soirées Leftorium, y balance un excellent warm-up balléarique de house lente et lourde, « calée à -8 », rigole-t-il. Au début, il n’y a pas grand-monde, tout au plus une quinzaine de personnes et il semble manifeste qu’aucune n’a encore vraiment dormi. Je vois un mec croquer un demi ecsta juste sous le nez d’un type de la sécurité. C’est une idée de pique-nique en soi. Ces gens dansent bizarrement, en after, engourdis. Petit à petit, il se rajoute pas mal de monde au petit contingent camé, beaucoup de créatures mâles coiffées à la serpe, le genre centurion. Je relis mon carnet de notes et j’y vois indiqué que je leur trouve « des allures de gitans du Coachella Festival, avec une probable sexualité de Spring Breaker ». Sur le moment, ça me semble tout dire mais à la relecture, j’ai comme un doute. J’ai aussi repéré un type plus cocaïné que tout le plateau d’un film de Scorcese des années 70. Bref, c’est la faune habituelle des débuts de soirée, vers minuit. Il se fait juste que là, on est dans l’un des principaux parcs de Bruxelles, le jour d’une fête régionale et en pleine journée. S’ajoutent de fait au décor plein d’incongruités: des sosies de Lionel Jospin à vélo qui pavanent un air plus dégoûté qu’amusé. Des scouts. Des joggers. Des gosses, plein de gosses, trop de gosses. En se plaçant sur les bancs près de l’entrée du sous-bois, on entend même les vocalises du Grand Jojo sur la Place des Palais, en plein soundcheck. Mêlé au son house ambiant, cela donne un bien drôle de mix. Je tombe sur une amie affamée, qui m’emmène à la recherche d’un pain-boudin. On se retrouve au Mont-des-Arts, c’est atroce, du boudin à perte de vue, du boudin avec cet air ahuri qu’a le boudin quand il se sent obligé de trouver formidables des choses profondément inintéressantes, comme un pot de fleur géant qui vole. Près du Bozar, une animation me fait ricaner: les enfants peuvent monter sur un camion de ramassage d’ordures. Formidable Fête de l’Iris, me dis-je, où l’on exhibe avec fierté les camions poubelles aux mioches tout en imposant à leurs parents une politique de ramassage des déchets quasi moyenâgeuse. Histoire de définitivement me donner des envies de ne plus jamais vivre le jour, le boudin de mon amie est, qui plus est, décongelé devant ses yeux. Diurnes, je vous hais.

Je retourne au Parc et y preste maintenant un mec du nom de Jan Blomqvist, accompagné d’un batteur. C’est pas mal, proche de Trentemoller aux meilleurs moments mais aussi de Robert Miles et de son piano au fromage quand ça pédale dans la semoule. Le set est interminable, par moments, carrément soporifique. À d’autres, ça se montre pourtant bien percussif, voire carrément prenant. Il y a du monde, une très bonne ambiance, le public répond bien à Blomqvist. Je ne m’ennuie pas le moins du monde mais je me sens étranger à tout cela. Ce n’est pas vraiment mon son de prédilection et je n’ai aucune envie d’ivresse. Je suis en retrait et j’observe, sourire en coin. Le clubbing de jour, à sec, c’est compliqué. Il y a une réticence qui se fait dans l’esprit, un laisser-aller qui ne vient pas forcément. Le côté Brooklyn ou Barcelone du truc plus tard vanté sur Facebook me passe complètement au-dessus de la tête, même s’il est évident que c’est avec ce genre de manifestation, sous le soleil comme sous la lune, que Bruxelles revit un peu comme il faut, après 9 mois d’hiver intra-muros. Les Godefroid de Bouillon à polos roses, les dégénérés en phase terminale de la nuit de 40 heures, les scouts et Lionel Jospin commencent toutefois à finalement sévèrement me brouter. Il est genre 16 heures, l’équivalent de 4 heures du matin et je décide de rentrer chez moi. Sur le chemin, j’écris dans mon carnet de notes un autre truc qui me semble à la relecture bien douteux: « certains saoûlards se font faire des tatouages ignobles au sortir de monstrueuses nuits de biture. Moi, au prochain pique-nique électronique plein de moutards, dès qu’un peu saoul, je vais me commander un bonne grosse vasectomie. » Vampire, vous avez dit Vampire?

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