Critique | Musique

Born to be Wild

4 / 5
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Album - Hell Gate

Artiste - The Wild Classical Music Ensemble & Lee Ranaldo

Genre - Rock

Label - La Belle Brute

Le Wild Classical Music Ensemble sort un disque avec Lee Ranaldo né d’une expo dans le plus vieil asile de Belgique.

Bâti sur la honte suscitée par la manière dont nous traitions jadis les patients psychiatriques, le Musée Dr Guislain (médecin visionnaire qui fut l’un des premiers à considérer les malades mentaux comme des patients à part entière) tord depuis 1986 le cou aux préjugés qui continuent de définir ce qui est normal et ce qui est fou. Aménagé à Gand dans un asile, le plus vieux du pays (1857), ce lieu de culture illustre l’Histoire de la psychiatrie, possède sa collection permanente et organise des expositions temporaires.

C’est dans cet hôpital psychiatrique dont une partie est toujours en activité que le Wild Classical Music Ensemble, groupe de musiciens aux handicaps mentaux divers, a rencontré le guitariste de Sonic Youth Lee Ranaldo. “Blood Test était une expo qui tournait autour de la modification génétique, de l’effacement programmé des personnes différentes, explique Damien Magnette, le chef d’orchestre du Wild. Elle parlait de naissance, d’avortement…” Comme à son habitude, l’asbl Wit.h avait invité des artistes à travailler avec des créateurs outsiders et a demandé pour l’occasion à l’artiste contemporain Johan Tahon d’envisager une collaboration. “Johan fait des structures monumentales. Je ne connaissais pas vraiment son travail. Mais il avait envie de bosser avec nous et il a proposé de convier à l’aventure Lee Ranaldo, qui est lui aussi artiste plasticien et qu’il avait rencontré lors d’une expo à Menin.”

L’idée de Tahon est simple: réunir et faire jouer toute la bande dans son atelier, filmer la rencontre et la diffuser pendant l’exposition. En mai 2019, la clique se donne rendez-vous pour deux jours au milieu de ses immenses moules. “C’était assez comique parce que l’endroit n’est pas du tout conçu pour enregistrer de la musique, poursuit Damien Magnette. Johan travaille le plâtre. Il y a de la poussière partout. Il a donc fallu s’organiser. L’ingé son super débrouillard a établi la régie dans sa camionnette qu’il a garée juste devant l’entrée. Il a tiré tous ses câblages et a installé une petite caméra pour pouvoir nous voir.

Le Wild et Lee Ranaldo improvisent. Ils enchaînent les sessions de trois quarts d’heure. Les membres du groupe n’ont pas conscience de jouer avec une légende du rock… “J’avais juste fait écouter à Séba (Faidherbe, basse et chant) dans la voiture et Wim (Decoene, sampler) va beaucoup sur Internet. Donc, il s’était rendu compte qu’il était connu… Mais Lee est vraiment quelqu’un d’extrêmement humble. Aussi bien humainement que musicalement parlant. Ce n’est pas du tout le type qui se met en avant. Ça s’est tellement bien passé qu’au sortir des deux jours on s’est dit: on sort un disque, c’est obligé.

L’album Hell Gate dure une trentaine de minutes mais n’est composé que de trois morceaux. “On a essayé de reprendre certaines de nos chansons et on avait préparé un titre pour lequel les gars avaient écrit des textes sur la thématique de l’expo mais ça ne marchait pas. Du coup, ce que tu trouves sur l’album, c’est ce qu’on a fabriqué à partir de rien.

Le Fond du cœur a été enregistré tel quel. Pour Hell Gate et The World Is Hard for Me, Magnette a effectué un travail de monteur, repris l’essentiel des idées et coupé les longueurs. “Dès que j’ai écouté le WCME, j’ai eu l’impression que c’était la musique la plus libre et décomplexée que j’entendais depuis longtemps, explique par mail Lee Ranaldo, qui n’avait jamais joué avec des musiciens souffrant de déficience mentale auparavant. Je me suis dit que ce serait un challenge intéressant. Que j’apprendrais de nouvelles choses et me souviendrais d’autres que j’avais oubliées.” Le Wild lui a rappelé les débuts de Sonic Youth. Quand tout était possible. Une liberté. Une énergie. On l’imagine aussi, une certaine forme de sauvagerie.

© National

Damien Magnette a toujours cherché à sortir le groupe de sa niche thérapeutique. “Je pense que la difficulté a été de créer un chemin vers une reconnaissance en tant que musiciens, en tant qu’artistes et non en tant que groupe d’atelier. Ça a pris du temps. Avant, si tu faisais de la musique avec des personnes handicapées, tu étais forcément considéré comme leur éducateur -cette question revient quand même toujours- et on te proposait souvent de jouer dans le cadre d’institutions spécialisées. Ce qu’on a toujours refusé. Au final, il fallait quand même souvent effectuer un travail d’éducation du public ou des organisateurs pour leur faire comprendre ce qu’on faisait. Maintenant c’est évident. Certains musiciens trouvent en ces personnes une force artistique authentique et viscérale qui est rarement ailleurs. L’aspect social et la question de la compassion semblent devenir secondaires.

Le public a suivi. Son regard a changé. Il faut dire que l’industrie de la musique est devenue de manière générale très manufacturée et poseuse. Là où le rock’n’roll semble avoir perdu son essence, les handicapés mentaux sont des punks qui s’ignorent… “On n’a jamais eu l’ambition de conquérir le monde. On a juste toujours fait les choses avec authenticité. Et petit à petit, ça s’est décloisonné. Avec le premier album chez SubRosa, on était clairement dans la scène des musiques expérimentales. On était invités dans des festivals de musique libre, d’improvisation bruitiste. Avec le deuxième, on s’est orientés vers un format plus punk, plus classique, plus abordable. On a signé chez Humpty Dumpty en Belgique et chez Born Bad en France. Ça a vraiment ouvert le projet sur l’extérieur et un truc plus mainstream.

Les lignes sont aussi en train de bouger en termes de rémunération. S’ils sont payés, les musiciens risquent pour l’instant de perdre leurs allocs mais la situation semble se décoincer. “Restera une grande question: que pourront-ils en faire? Je ne sais plus quel artiste disait de manière provocante: “Si les gars ne peuvent pas aller aux putes ou s’acheter de la drogue avec le fric qu’ils gagnent, alors, ça ne sert à rien.” Ça soulève clairement la question de la personne handicapée et de son manque de liberté.

En concert le 15/03 à De Kreun (Courtrai) et le 19/03 au Botanique (Bruxelles).

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