Black Lips: « Je n’aurais jamais pensé que la country redevienne populaire. J’adore! »

Jared Swilley la mèche au vent et les Black Lips dernière mouture. Country boys... © DANI PUJALTE
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Avec Sing in a World That’s Falling Apart, les Black Lips ont sorti leurs Stetson et leurs bottes de cow-boy pour visiter les méandres de la country. Yee-haw…

Il a la voix super rocailleuse et éraillée. Comme s’il était né avec une clope dans la bouche et avait toute sa vie durant déglingué du whisky au petit-déjeuner. Mi-novembre, Jared Swilley grille une cigarette devant l’Atelier 210, où les Black Lips passent donner un avant-goût, deux mois avant sa sortie, de leur nouvel album. Pour ceux qui les suivent de près, ce n’est pas vraiment une surprise. Les Américains annonçaient déjà en 2017 que leur prochain disque serait country. Sing in a World That’s Falling Apart sent bon la poussière et le fin fond des États-Unis. Le saloon, le Stetson et les bottes de cow-boy. « On a enregistré tellement de disques. On voulait changer quelque peu le décor, explique-t-il devant un verre de rouge. On aime la country. Ça a toujours été un de mes styles de musique préférés. J’ai grandi avec elle. Mes parents en jouent. Tout le monde dans la famille. Ma grand-mère était une danseuse de sabots. C’était le nord de la Géorgie. Ils étaient tous prédicateurs. Alors, tu sais, la country et le gospel… Mes oncles, tantes et certains cousins avaient un groupe dans les années 60 et 70: The Swilley Family. lls ont enregistré plein de disques. J’ai aussi un grand-oncle au Rockabilly Hall of Fame. Mon grand-père et son frère ont épousé ma grand-mère et sa soeur. C’était courant dans les petites villes du Sud… »

La country ne fait pas seulement partie de leur éducation. Elle est partout à Atlanta. « C’est en fait là que le premier studio country a ouvert. Tout le monde pense que c’est à Nashville mais c’est faux. C’est là que tout a commencé. Le premier studio, le premier disque… Ce qu’on considère généralement comme le premier enregistrement country est crédité Fiddlin’ John Carson. Il a grandi dans le quartier où Cole et moi vivons et il a enregistré chez OKeh Records. »

En 1923, le label new-yorkais ouvrait dans la capitale de la Géorgie un laboratoire d’enregistrement sur Nassau Street où était immortalisé le 19 juin ce fameux The Little Old Log Cabin in the Lane. L’ingénieur du son Ralph Peer n’était pas particulièrement convaincu par le morceau mais il s’écoula à 500.000 exemplaires… « Pour l’instant, le bâtiment est menacé de démolition par un projet immobilier. Un Jimmy Buffett’s Margaritaville. Tu connais cette chaîne de restaurants dégueulasses? Tout le quartier s’est mobilisé. On a signé des pétitions. Mais Atlanta se préoccupe peu de son Histoire. La ville a été brûlée pendant la guerre et ça a donné le ton. Ils se contrefoutent de toutes ces choses magnifiques. C’est le business qui les intéresse. La Nouvelle-Orléans est différente. New York sans doute un peu aussi. »

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Flower country

Du Canada à l’Angleterre, de Mac DeMarco à Pete Doherty, de l’indie sous xanax au britrock à violon, la country est depuis quelques mois à la mode et semble pénétrer tous les courants musicaux actuels. Le Old Town Road de Lil Nas X en est l’exemple le plus frappant et déconcertant. La chanson a battu le record de longévité en tête des ventes de disques aux États-Unis. Dix-neuf semaines d’affilée!

« Je n’aurais jamais pensé que ça arriverait. Un morceau country hip-hop chanté par un Noir gay… J’adore! La country redevient populaire. Même Miley Cyrus s’y est mise. Pendant longtemps, beaucoup de gens, surtout les jeunes générations, l’ont snobée. Considérée comme une musique de demeurés. Poussiéreuse, raciste, redneck. Je ne sais pas pourquoi ni comment ce nouvel élan est arrivé. Tout va vers l’électronique, le dansant. Mais ça me rend heureux. C’est bizarre que la culture rap ait embrassé tout ça. Outkast avait déjà essayé. Mais pas bien longtemps. Ils ont voulu utiliser le drapeau confédéré comme symbole. Ils ont porté des chapeaux de cow-boys aussi. Les gens n’ont pas trop apprécié. »

C’est à la fois une surprise et une bonne nouvelle. Même les charts et les stations country (certains du moins) ont embrassé cette chanson d’un homosexuel black. L’industrie avait conscience que le genre devait être rafraîchi. Qu’il avait besoin d’un coup de jeune. « Puis, elle est juste contente de vendre encore plus de disques. J’espère que les auditeurs ne pensent pas qu’on essaie de capitaliser et de profiter de la tendance. »

Ce serait cruellement se méprendre. La tentative dans le chef des Black Lips est tout ce qu’il y a de plus naturel. Swilley a appris à jouer de la guitare sur des disques de country… « La country a toujours été présente dans notre ADN. Prends une chanson comme How Do You Tell a Child that Someone Has Died ou Sweet Kin sur notre premier album. Ça a toujours été là. Après tant de disques punk, c’était logique de s’y frotter. »

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Les Black Lips faisaient du flower punk. Désormais, ils font de la flower country. « De la country bizarre en tout cas. C’est ce qu’on aime. Des mecs comme Charlie Feathers, Hank Williams, George Jones. Des trucs lo-fi. La country a été en avance sur son temps dans pas mal de domaines. Ces mecs sont les premiers à avoir utilisé le fuzz sur disque. Lee Hazlewood a réalisé plein d’expérimentations cool. De la reverb, des échos. C’était presque psychédélique. »

À la base, pour Jared, la country music est juste la version américaine du folk. « Tous les pays ont leurs traditions musicales, leurs chansons d’ouvriers. C’est un type de musique working class. Honnête. Simple. » Elle a commencé, selon lui, à craindre dans les années 80. « Ça va mieux maintenant. Même si la plupart des trucs populaires à Nashville ne sonnent pas comme de la country mais comme de la pop à mes oreilles. »

Rodéo de prison et G.I. Joe de famille

Quand il parle de sa country préférée, Swilley évoque des outsiders: Charley Pride, qui en a longtemps été le seul Black, ou encore George Jones dont il adore la voix. Jones a fait beaucoup parler de lui avec son penchant pour l’alcool, sa relation aux femmes et ses violentes crises de rage. Surnommé No Show Jones parce qu’il avait pris l’habitude d’annuler des concerts, il en a fait l’intitulé d’une de ses chansons. « Moi, j’ai pleuré en entendant pour la première fois son morceau He Stopped Loving Her Today . » Il cite encore Johnny Paycheck et David Allan Coe. « Paycheck a fait de la prison parce qu’il avait tiré dans la tête d’un mec. Son plus grand succès c’est Take This Job and Shove It . La série animée Tales from the Tour Bus lui a consacré son premier épisode. C’est l’une de mes émissions préférées. Quant à David Allan Coe, c’était un vrai hors-la-loi. Un mauvais type. Son fils tient un super podcast: Cocaine & Rhinestones. C’est génial. »

Un petit tour au saloon?
Un petit tour au saloon?© YANA YATSUK

Si certains détestent parler de leurs chansons, expliquer leurs textes, Swilley adore raconter les anecdotes qui accompagnent la musique des Black Lips. « Je ne pense pas que le fait de se tourner vers la country a changé grand-chose à ma manière d’écrire. J’ai toujours imaginé des espèces d’histoires. Bon d’accord. J’ai fait une chanson sur un rodéo. Mais ça, c’est parce qu’on a assisté à un rodéo complètement dingue. » « The Wildest Show in the South » disent d’ailleurs son slogan et un court documentaire réalisé à son sujet fin des années 90. L’Angola Prison Rodeo se déroule dans le plus grand établissement pénitentiaire des États-Unis. Surnommé l’Alcatraz du Sud, il s’étend sur 73 kilomètres carrés encerclés par des barbelés et des marécages infestés d’alligators. Les prisonniers, condamnés aux travaux forcés dans les champs de canne à sucre, de coton, de maïs ou de légumes, y passent une grande partie de leur vie et y sont même parfois enterrés. « C’est comme une ferme gigantesque et incroyablement violente. Depuis les années 50, les prisonniers font des rodéos. Ça se passe deux fois par an. Tu peux y assister. Et on y est allés. »

Les journaux locaux assurent que les détenus qui n’ont pas le droit de s’entraîner « seront projetés dans tous les sens par des taureaux de 900 kilos ». « C’est un truc unique et très américain. Vraiment incroyable. Complètement dingue. Ils sont par exemple à quatre autour d’une table en train de jouer aux cartes et ils font entrer un taureau en furie. C’est celui qui reste le plus longtemps assis qui a gagné. Ils sont parfois 20 à essayer d’attraper une pièce attachée aux cornes de la bête. Il y a déjà eu des morts… Tu n’es pas libre quand tu triomphes mais tu gagnes beaucoup de pognon. Il y a un gros prize money. Ils se mélangent à tout le monde toute la journée. Tu vois les prisonniers jouer au basket avec leurs gamins. Tu peux également acheter des oeuvres d’art qu’ils ont fabriquées… »

L’histoire de Rumbler est elle aussi particulièrement surprenante. Elle parle de son grand-oncle, un vétéran du Viêtnam revenu fou de la guerre. « Je regardais en ligne la liste des G.I. Joe. Je ne sais pas pourquoi. Et je suis tombé sur une figurine qui portait son nom: Earl-Bob Swilley. J’ai lu la bio. Il venait du même village. Donc, j’ai questionné mon grand-père. Il pense qu’un ami de son frangin a bossé sur les figurines. J’en ai acheté une sur eBay et j’ai écrit cette chanson. Un récit fictionnel de ses exploits. En gros, c’est un peu « My great uncle is a G.I. Joe »… »

Ils ne sont pas entrés en résidence à Nashville comme ils l’avaient prévu (« Je ne suis guère un grand fan; c’est devenu trop cheesy même si l’Histoire musicale de la ville est incroyable ») mais les Black Lips sont partis enregistrer du côté de Laurel Canyon, en Californie, au Valentines Recording Studio… « Il avait fermé ses portes dans les années 70. à la mort du proprio, son petit-fils, qui n’était pas dans la musique, a mis la clé sous le paillasson. Trente et quelques années plus tard, un pote a appelé la famille pour savoir si l’endroit existait toujours et elle n’avait touché à rien. Ça n’avait pas bougé… Il a juste fallu quelques semaines pour nettoyer. À l’intérieur, tout le matos est d’origine. Analogique. Fifties, sixties. Le groupe de mon ex est le premier à y avoir enregistré après sa résurrection. »

Zappa, Titi et Grosminet…

Engagé dans l’armée pour servir son pays durant la Seconde Guerre mondiale, Jimmy Valentine avait ouvert les lieux avec sa femme rencontrée en permission alors qu’elle travaillait au Pentagone. C’était un ancien cabinet de dentiste. « Plein d’artistes ont enregistré là-bas. Les Beach Boys, Frank Zappa, Bing Crosby…. Disney et Looney Tunes y bossaient même les voix de leurs dessins animés. » Ces excités de Black Lips dans le même studio que Bugs Bunny, Speedy Gonzales, Titi et Grosminet? Il y a une certaine logique. « J’ai beaucoup de country, de folk et de blues dans ma collection de disques. Ils sont mélangés. C’est pas mal le bordel. Mais pour la pochette, on voulait donner l’impression d’un vieux disque. J’ai eu l’idée en voyant un album de ma famille: The Swilley Family Sings . C’est à ça que les disques de country et de gospel ressemblaient dans les années 50 et 60. » Les Black Lips ne sont pas pour autant des cow-boys comme les autres…

No country for old men

Black Lips:

Lil Nas X, « Old Town Road »

Inspiré par Young Thug, l’un des pionniers du country rap, Lil Nas X a décroché la timbale avec Old Town Road alors qu’il n’avait plus que 5,62 dollars sur son compte en banque. Invité sur le morceau, la légende de la country Billy Ray Cyrus n’est autre que le père de Miley…

Black Lips:

Mac DeMarco, « Here Comes the Cowboy »

Contrairement à ce que laisse sous-entendre son nom, le dernier album de Mac DeMarco n’est pas un disque de country mais la chanson titre en a plus que de fauxairs. Gamin, le Canadien détestait les chansons pop de cow-boys qu’écoutait sa mère.

Black Lips:

Peter Doherty, « All at Sea »

Truffé de violons campagnards, l’album de l’Anglais Peter Doherty et de ses Puta Madres fait clairement écho aux musiques traditionnelles américaines. Le Libertine ne cache pas son admiration pour Hank Williams, Johnny Cash et Billy Hughes.

Black Lips:

Black Lips – « Sing in a World That’s Falling Apart »

Distribué par Fire Records/Konkurrent. ***(*)

On va tous crever. La fin du monde nous guette et les Black Lips font la fête… Cocasse, c’est sur le label anglais Fire Records que les gugusses d’Atlanta sortent leur premier album country. La musique traditionnelle et folklorique américaine sert désormais d’écrin aux pop songs imparables que Cole Alexander, Jared Swilley et leur tripotée de complices déclinaient jusqu’ici en mode flower punk. Mauvaises graines, les Lips remontent à la racine, bouffent les pissenlits et les recrachent, sourires édentés, à la tronche d’une société malade. Les tubes sont là ( Rumbler, Angola Rodeo, Dishonest Men, la ballade sixties Locust). Parfois un peu poussiéreux, certes, mais toujours imbibés.

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