Critique | Musique

Björk, poignante sur Vulnicura

Björk © DR
Laurent Hoebrechts
Laurent Hoebrechts Journaliste musique

AVANT-POP | Disséquant sa récente rupture amoureuse, Björk signe un 9e album à la fois téméraire et bouleversant. Requiem for a love…

Rien n’y fait. Plus de quinze ans après le lancement de Napster, l’industrie musicale n’a toujours pas trouvé la parade au téléchargement illégal. Ainsi en va-t-il du dernier album de Björk. Alors qu’il n’était pas annoncé avant mars, sa sortie digitale a été précipitée suite à des « fuites » sur Internet. Et le label de confier ainsi en urgence la vente de l’album à la seule plateforme iTunes (provoquant la colère des autres réseaux de distribution)…

Cela étant dit, la situation comporte au moins un avantage. Alors que chaque nouvel album de Björk déclenche les grandes manoeuvres marketing, Vulnicura a échappé à l’emballement. Le 9e album de l’Islandaise arrive sans préavis, presque sans fard. Cela tombe bien: c’est probablement aussi ce qu’elle a produit de plus direct depuis longtemps. Une fenêtre grande ouverte sur ses émotions. Y compris les plus violentes.

Crash

Au centre de Vulnicura, il y a une peine de coeur. Celle de Björk, le palpitant laminé, retourné, traumatisé par l’explosion du couple qu’elle formait avec l’artiste Matthew Barney. Comme une otage, emprisonnée dans sa propre douleur, Björk aura patiemment consigné les moindres détails de l’épreuve. « Moments of clarity are so rare, I have to document this », chante-t-elle ainsi sur Stonemilker.

De Blood on the Tracks (Dylan) à Here My Dear (Marvin Gaye), l’album de rupture est presque devenu un exercice de style. Le seul cependant à imploser quasi systématiquement sous la force de son thème. C’est certainement le cas avec Björk. Découpant son propos en trois parties, l’Islandaise chante au ralenti l’amour qui se délite, en n’omettant aucune souffrance, jusqu’aux plus embarrassantes (History of Touches). C’en serait presque gênant si l’artiste n’allait pas jusqu’au bout de sa démarche. Et si, surtout, elle n’y mettait pas les formes. Ces dernières années, les obsessions de Björk, toujours à vouloir relier la pop et l’avant-garde, avaient souvent davantage suscité un intérêt poli qu’elles n’avaient touché. Renouant avec les cordes (celles par exemple d’Homogenic), Vulnicura est au contraire un raz-de-marée émotionnel. Pas tant un disque qu’un iceberg majestueux dérivant lentement.

Certes, aucun morceau ici ne retrouve la fantaisie des tubes du début. A cet égard, la matière de Vulnicura -co-produit en grande partie par Arca (le jeune Vénézuélien repéré chez Kanye West et FKA Twigs)- ne se laisse toujours pas appréhender facilement, à l’image de Black Lake, morceau-charnière long de dix minutes. Il n’en reste pas moins fascinant.

Au fil du temps, Björk a eu tendance à traduire sa quête musicale par une suite d’effets de manche, et de poses arty toujours plus spectaculaires (l’album Biophilia et sa série d’applications informatiques). De quoi construire un solide parcours d' »Artiste » (qui aura droit à sa rétrospective au prestigieux MoMA de New York, en mars prochain). Mais aussi de la voir s’effacer devant son personnage, planquée derrière ses multiples concepts. La voilà qui réapparaît tout à coup, chanteuse de chair et de sang, expurgeant la douleur personnelle pour en faire une plainte universelle. Et c’est poignant.

  • DISTRIBUÉ PAR ONE LITTLE INDIAN.

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