Serge Coosemans

Best of 2013: Tous ces moments perdus dans le temps comme la glace pillée dans le Mojito

Serge Coosemans Chroniqueur

Au moment de compiler son best of 2013, Serge Coosemans s’est rendu compte qu’il avait cette année moins parlé de soirées où il avait effectivement été que de bouquins sur la nuit, de politique libertaire et de sociologie de comptoir. Il n’est pas trop tard pour se rattraper. Sortie de route, S03E15.

Promenons-nous dans les bois. Le rhum coca semblait avoir été coupé à l’essence de torpille, le genre de cocktail touillé par le personnage de Joaquin Phoenix dans The Master. Dans le salon, un deejay bruxellois micro-célèbre passait une house-music ni bonne, ni mauvaise, aussi générique que la bibine du hard discount qui marinait dans nos verres. Cela rendait les voisins hystériques, 4 ménages au bas mot à tambouriner sur les murs, leurs sols et leurs plafonds, malheureusement trop en rythme pour être vraiment entendus. Dans la cuisine, un sosie des 3 Beastie Boys à la fois explorait le dessous de l’évier, à la recherche d’ammoniac, « pour se faire du crack », dit-il, très sérieusement. Ça baisouillait aussi dans la salle de bains, et pas qu’à deux. Puis, on s’est tous retrouvés au Wood et les jeunots ont trouvé très amusant de me présenter comme un mec de « la même génération que Carl et Fifi », espérant sans doute que cela nous ouvre le bar mais ça n’a finalement pas impressionné le staff plus que ça. Je crois même qu’ils ont fini par me virer de la boîte, en fait, je ne sais plus. Je suis rentré seul, à pieds, à travers bois, la nuit, sous la pluie, dans la boue. Et c’était gai, vraiment. Beaucoup plus gai que de tenter de pécho de la digitale native dans une discothèque que j’admire malgré tout pour son gros potentiel wtf. Le Wood, donc. Au fond des bois, tel le Cercle des 12 Sycomores dans Twin Peaks, c’est la porte d’entrée vers un Monde Noir où les nains parlent à l’envers et les blondes sont un peu malsaines.

Yallah! Bruxelles Les Bains, juillet, la soirée Focus Vif. Quand est venu mon tour de passer des disques, je crois que je n’avais plus assez de doigts, même avec les orteils, pour compter exactement le nombre de Mojitos que l’on s’est chacun envoyé derrière la cravate avec Kwak, les confrères et mon crew. À une table, près de la camionnette qui servait les cocktails, était assis le sénateur Alain Courtois, célèbre pour son « et alors, fieu? » ainsi que pour sa paranoïa de bobonne quand il s’agit de se rendre Place De Brouckère après la fermeture des bureaux d’assurances (vie). J’ai trouvé très rigolo et politiquement pertinent de lui imposer à volume élevé le remix très acide par Crackboy du Shift Al Mani d’Omar Souleyman, par ailleurs mon morceau préféré de l’année. Vu qu’il m’était caché par un pilier de tente, je n’ai pas vu la réaction de Courtois. Par contre, dans l’allée centrale de la Croisetteke, il y avait un attroupement de mamas marocaines ahuries de voir des hipsters danser sur une musique arabe tenant bien davantage des Chemical Brothers que de Faudel. Comme dans les vieilles bédés, on imaginait très facilement au-dessus de leurs têtes un phylactère à bulles représentant ma bouille ornée d’un entonnoir sur le sommet du crâne. Cela fit ma soirée.

Merci, Skieven! Porte d’Anderlecht, chaque année, au début de l’été, un collectif d’architectes devenu propriétaire d’un ilot d’immeubles organise une sorte de fête des voisins, aussi destinée à montrer leur travail aux journalistes, aux politiques et aux acheteurs potentiels d’appartements rénovés. Cela se veut bon enfant mais c’est relativement prétentieux. Le politique (Philippe Close, Henri Simons, quelques porteurs de serviettes…) y parle haut et se tient près des sources de lumière, histoire d’être vite repéré. Il faut un temps dingue pour se dégotter une bière ou un pilon de poulet aux stands débordés. C’est plein de gosses, de vieilles blondes du MR, de Flamands lookés à la Kris Peeters, avec les lunettes rectangulaires et le K-way. On visite une dizaine d’appartements, parfaitement fignolés, le Batibouw du branché, suffoquant devant tant de bon goût. Des toits, la vue est imprenable et il traîne quelques petits lots, quant à eux fabriqués par le Grand Architecte, qui ne sont pas mal non plus. Faut toutefois bien admettre une chose: on s’emmerde. Poliment, mollement. Jusqu’au moment où d’une fenêtre sort un son de basse impitoyable, qui fait exploser les oreilles des enfants, fuir les Flamands de 50 ans et pleuvoir des grenouilles. Dans l’un des appartements, il y a un type qui se pense au Fuse en 1995. Sur une sono de concert, il balance une grosse purée techno old school pour 200 ou 250 personnes: Meat Beat Manifesto, Dave Clarke, ce genre de finesse… On ne voit plus un seul politicien, un seul enfant, un seul m’as-tu-vu. Ne restent que les plus skief des skieven architekten et c’est, jusqu’au petit matin, assez dantesque. Pour tout dire, après des années à critiquer Bruxelles et ses limites, c’est même au retour de cette teuf que j’ai ressenti un petit retour de flamme pour cette ville, que j’ai estimé qu’il s’y passait encore des choses, qu’on pouvait encore y trouver des sujets sur lesquels écrire, que la culture de la fête y avait encore un avenir. Que Barcelone, Paris, Londres et Berlin étaient surestimées. Si vous aimez cette rubrique, dites « Merci, Skieven ». J’aurais arrêté depuis longtemps si je n’étais pas passé par là!

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