Critique | Musique

Benjamin Schoos et Alex Gavaghan s’associent pour un acide Freaksville National Orchestra

3,5 / 5
Le Sérésien Benjamin Schoos et le Liverpuldien Alex Gavaghan: “La Meuse n’est pas si loin du Mersey”. © P. SCHYNS
3,5 / 5

Album - Freaksville National Orchestra

Artiste - Freaksville National Orchestra

Genre - Rock

Label - Freaksville/COD&S

Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Jamais en position repos, Benjamin Schoos emmène son label de l’autre côté du Channel pour l’album Freaksville National Orchestra, proposition plus acide que symphonique.

Un an après The Love Note, album de huit pièces modélisées pop-lounge, le suractif Benjamin Schoos propose un autre tour de passe, principalement instrumental. D’un genre différent. Sous l’appellation Freaksville National Orchestra, le Sérésien s’allie à une bande de Liverpool pour un album d’outre-Manche qui évoque les heures glorieuses d’un rock garage intemporel. Avec des nuances.

Pendant le Covid, Benjamin a demandé à Alex Gavaghan, artiste anglais de son label Freaksville qui a notamment travaillé avec Mademoiselle Nineteen, d’écrire des compositions. Le deal? Le Liverpuldien propose avec son collectif The Boss Jockeys un (gros) squelette de batterie, basse et guitares, et la bande belge met alors “toute une série de choses” sur le fish & rock britannique, notamment des couches épaisses de Hammond, du sitar, du synthé. Via un Zoom Lîdge/Liverpool, on en cause avec les deux principaux intéressés. Première question: Alex est-il conscient de tout le côté surréaliste de Freaksville? “Je crois que dans l’entreprise Freaksville Records, avec ces musiciens venant de différents coins d’Europe, la liberté offerte a de fait quelque chose de surréaliste et de psychédélique. Comme dans l’une des vidéos réalisées pour cet album qui est faite d’images lo-fi et peu réelles. J’ai voulu un aspect moins songy, mais avec toujours du groove. D’une certaine façon, on a travaillé dans un esprit jazz.” Pas au sens littéral: ici, vous trouverez beaucoup plus d’acidité que de be-bop, davantage de binaire que de musique dite savante. Benjamin enchaîne et précise: “Le titre Freaksville National Orchestra, s’il n’est pas symphonique (rires), est davantage en relation avec notre identité de musiques mutantes. Moi, je suis un peu comme le bourgmestre d’une ville qui demande aux musiciens d’être plus classe qu’un orchestre national. À Liverpool, ils ont d’ailleurs cette académie classique, fréquentée par de riches Norvégiens. Ici, je voulais l’esprit de collage.

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Bières et Brexit

Le disque fonctionne par son peu de vertu avouée, par ses méandres à dominante instrumentale, crayeuses voire crasseuses. Coproducteurs de l’objet, Schoos et Gavaghan installent aussi un pont musical qui nie l’absurdité politique d’une Grande-Bretagne quittant l’Union européenne. Alex: “Au-delà de mon amour pour les bières belges, je pense qu’on a amené quelque chose qui s’approche du Mersey Beat classique. Et bien que je ne sois plus un citoyen européen, c’est bien de garder un lien, un rythme, avec le continent. De toute évidence, la suite du Brexit a des conséquences, de visa, de merchandising, de coûts de douane. ça a rétréci notre champ d’action, dans un contexte généralisé de bureaucratie. Par exemple, importer le vinyle de l’album en Grande-Bretagne est vraiment devenu très coûteux.” Là, Benjamin répond indirectement que son intérêt pour l’outre-Manche vient aussi de cette culture qui pratique le live dans n’importe quelle petite salle: pub, club, cercle, café: “C’est ce qui me plaît dans ce pays, la possibilité depouvoir tester ma musique en direct, même si l’argent n’est pas forcément là. Le côté plaisant de Liverpool tient dans ses ex-usines. La Meuse n’est pas si loin du Mersey, les deux villes étant toujours dans une phase de réhabilitation de leur passé industriel qui en forme les paysages incroyables.” Alex ne fait que confirmer ce drôle de lien entre les deux cités industrieuses, mais aussi ce qui le rattache de manière indirecte à Benjamin. Clairement, cette connexion occupe pas mal de l’espace de l’album. Un peu comme un bond mental entre deux espèces physiques, architecturales, humaines, sociales et économiques, qui se nouent par un médium: la musique, bien sûr.

Boulets liégeois

Alex a bien senti que ce projet National incarnait aussi une façon de cimenter une Europe désunie et incertaine. Le cataplasme? Un disque de joie et d’entertainment. Lo-fi, cru mais pas toujours. “Le projet, avec ces allers-retours entre Benjamin et Liverpool, a aussi évolué au fil du temps, avec l’addition de sons et de chansons. Pour quelque chose qui soit plus grand, qui tienne davantage d’un truc garage, comme la collaboration de la vocaliste japonaise Shiomi Kawaguchi en ouverture de l’album.

Benjamin semble avoir ici navigué dans le cool, ayant mis l’ego à part. “Il s’agit d’abord d’un disque d’énergie, fermentée et nourrie par le chaos, le remixing. J’ai essentiellement agi comme un coordinateur.” Bon, si on terminait par une question d’envergure? Quelle est celle des deux villes qui offre la meilleure nourriture? À manger, pas à écouter. Alex: “Euh, je dirais quand même, sans trop d’hésitation, que ce serait les boulets à la liégeoise, hein”. On peut en avoir un aperçu, rayon goût, via un disque sans peur ni cholestérol. Qui peut-être prendra place en live, même si rien n’est confirmé en ce pré-printemps 2023.

Notre critique de Freaksville National Orchestra

L’étiquette garage, rock’n’roll, psychédélique, rockabilly résume le sentiment global face à ces onze titres qui sentent le bitume. Avec de fortes guitares mordantes et un harmonica promenant sa fièvre sur plusieurs morceaux. Mais l’affaire vire parfois aussi aux plumes. La ballade Marina Goes Electric est un bel exemple de manifeste de légèreté contagieuse et au moins deux autres chansons labourent un terrain plus sophistiqué. Don Simon emballe ses sentiments cosmiques dans une fontaine d’orgue Hammond, de sitar et de Fender Rhodes. Partageant la place d’honneur avec Carr Mill Nights et Amber’s Song, deux moments où le retour sonore vers les années 60 déploie au mieux les ailes d’une néo-nostalgie solaire.

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