Azmari: connection Bruxelles-Addis Abeba-Kingston-Istanbul et autres destinations dansantes

Azmari: connection Bruxelles-Addis Abeba-Kingston-Istanbul et autres destinations dansantes... © ARTHUR ANCION
Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

Les Bruxellois d’Azmari chauffent la marmite éthiopienne dans un premier disque mondialiste –Sama’i- qui digère aussi jazz, sonorités orientales et jamaïcaines. Show devant.

Qu’en aurait pensé Bob Marley, adorateur mystifié de l’Éthiopie et de son ex-dictateur Haïlé Sélassié? Qu’aurait ressenti Corto Maltese trimballé dans la corne dangereuse de l’Afrique, entre autres terrains romanesques? Dommage que la musique-fiction n’existe pas. Ou peut-être, dans la concrétisation de Sama’i, premier album des six Bruxellois d’Azmari, puisant dans l’éthiojazz comme dans d’autres sources dévoreuses de rythmes. Soit neuf titres qui électrifient le tropical en digressions transies: si cela ne vous fait pas danser, vous êtes sans doute gravement covidé. Voire juste mort. Arthur Ancion, batteur et porte-parole du jour, explique que l’affaire commence il y a huit ans déjà, à Boitsfort sous l’impulsion d’un guitariste. D’autant plus oublié d’Azmari qu’il quitte très vite le groupe: « On s’est donc retrouvés avec les musiciens actuels, moi, Basile Bourtembourg (claviers, percussions, saz) , Jojo Demeijer (percussions), Niels D’haegeleer (basse) et Mattéo Badet (saxophones, kaval). Et puis il y a deux ans, Ambroos De Schepper, originaire de Nieuwpoort, est venu nous rejoindre avec ses saxs et sa flûte. La première idée, créer un groupe de reggae, a été estompée par le goût pour les polyrythmies, la volonté de sortir du 4/4 et de la Jamaïque. »

La bande des six renifle, cherche, jamme, travaille les musiques africaines et orientales et finit par se stabiliser dans une première formule discographique il y a un peu moins de deux ans via l’EP Ekera. Les Européens du Nord reconnaissent alors une filiation avec Mulatu Astatke et la série des Éthiopiques, disques réédités par les Français de Buda Musique, soit l’essentiel d’un répertoire puisé dans l’Addis-Abeba urbain des années 70. Ajoutez-y une tournée turque d’Azrami qui explore les recoins inspirants d’Istanbul en 2018, et vous avez le début d’un tableau de Mendeleïev. Une chimie afro-bruxello-orientale. Qui dans les noms d’emprunt conserve des traces éthiopiennes: « Le mot azmari est une référence aux musiciens éthiopiens de rue, les griots qui racontent les histoires et qui s’accompagnent généralement d’une sorte de violon à une corde. Quant au titre de l’album, Sama i , c’est de l’arabe. Il vient du soufisme et signifie « l’écoute », « l’audition mystique ». L’état d’esprit dans lequel se mettent les gens qui participent à des cérémonies dans l’espoir d’entrer en transe, grâce à la musique. C’est ce qui a motivé ce projet de groupe: amener le public vers des états extatiques… Avec l’envie de toucher aussi à quelque chose de transcendantal. C’est ce que l’on vit et que l’on cherche. On ne veut pas jouer à l’éthiopienne ou à la balkanique comme là-bas. On joue ce qui sort de nous. Et puis, il ne faut pas oublier que la musique éthiopienne est déjà un mélange entre le jazz américain et les sonorités traditionnelles, deux histoires différentes. D’ailleurs beaucoup de gammes éthiopiennes ont influencé notre façon de jammer et de composer, comme les rythmes turcs, indiens ou gnawas. »

Anthropo, maths et psycho

La bande de Bruxellois est, comme tout l’actuel monde musical, en attente de jours meilleurs. Et de concerts. Hormis De Schepper, musicien à temps complet, y compris via les cours, chacun fait bouillir la marmite non-musicale sur le côté. Arthur: « Chacun fait des jobs. Moi, je suis vidéaste et photographe, je travaille aussi le bois. Tout le monde a grandi dans un environnement musical, et à part le Nieuwpoortois (sourire), tout le monde est autodidacte. Moi par exemple j’ai étudié l’anthropologie et la psycho, Mattéo, les maths, Basile, l’Histoire, etc. »

Azmari a pris son temps pour enregistrer. Une mini-décennie après leurs débuts, les musiciens -désormais entre 25 et 35 piges- ont digéré le chemin arpenté qui mène à la porte des labels. Leur premier EP autoproduit grâce à KissKissBankBank est initialement tiré à 300 exemplaires, se vend vite, se retire à 300 et finit par être distribué par Sdban Records. La compagnie gantoise est déjà l’hôte de Black Flower ou de STUFF., deux entités dont les paraboles de jazz éclaté imprègnent aussi Azmari. La signature chez cette société transversale, pour un premier album, n’en est donc que plus naturelle. Arthur: « Ça met un coup d’accélérateur à notre parcours. Le marché flamand s’offre à nous. On a fait à l’automne, entre les deux confinements, quelques dates en Flandre. Mais le fait d’être chez Sdban nous a très vite amené des perspectives à l’étranger, notamment en Allemagne. Grâce au label, on y a trouvé un chouette booker. »

Azmari, c’est d’abord un collectif: pas de leader instrumentiste ou compositeur. D’où un processus « riche mais très lent ». La musique naît donc de jams et d’impros. Au téléphone, Arthur l’anthropo-psychologue, rappelle le point névralgique des musiques d’Azmari: « On fait ce qui nous vient des tripes, du plus profond de nous. Il n’y a ni grand message ni aiguillages obligatoires. J’en reviens à l’idée d’autres manières d’interagir avec le monde. C’est ce que certains spectateurs ressentent et nous disent. »

Azmari

« Les morceaux sont forts, longs et portés par la percussion et la polyrythmie. » Oui, il y a quelque chose d’initiatique à entrer dans ces neuf instrumentaux, à laisser tomber tout réflexe de défense naturelle. Rarement, un album belge n’a autant grondé, ruminé, groové et fait danser. Neveux de l’Éthiopie certes et des parfums planétaires, mais aussi successeurs de Jah Wobble ou du Can hypnotique, dans cette volonté un peu cinglée de ramener la transe comme actuelle norme européenne. Il faut absolument voir cette proposition ensoleillée en live. On attend. Impatiemment.

Azmari: connection Bruxelles-Addis Abeba-Kingston-Istanbul et autres destinations dansantes

« Sama i » , distribué par N.E.W.S. ***(*)

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