Avec Guitar, le beautiful branleur Mac DeMarco revient avec un album détendu du slip

Derrière son attitude de slacker, Mac DeMarco bosse. Pour preuve, ses 20 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify.
Julien Broquet
Julien Broquet Journaliste musique et télé

Slacker des temps modernes et star potache de l’indie rock, Mac DeMarco est de retour avec Guitar un album fait maison sur lequel il joue de tous les instruments. Portrait d’un faux fainéant.

Mac DeMarcoGuitar

Album folk distribué par Mac’s Record Label/Virgin.

La cote de Focus: 3,5/5

Deux ans après l’instrumental Five Easy Hot Dogs et la compilation de neuf heures et demie et 199 (ébauches de) chansons One Wayne G déjà parus sur sa petite maison de disques Mac’s Record Label, Mac DeMarco s’offre un nouvel album studio. Un disque de singer songwriter essentiellement guidé par sa voix et une guitare acoustique. Il y a carrément du Neil Young sur Shining, le titre d’ouverture de Guitar. Un album à la cool, doux, calme et mélancolique, entièrement fabriqué chez lui, tout seul comme un grand. Un disque personnel, minimaliste et intimiste à l’humeur nostalgique qui lui va comme un gant. Mac DeMarco a fini de terroriser le quartier et d’amuser la galerie. Avec Guitar, le trentenaire préfère se livrer en toute sobriété. Le Mac nouveau est arrivé…

Il n’a pas l’air d’en toucher une avec sa gueule de Goofy, ses dents du bonheur, son sourire un peu benêt et ce regard malicieux de sale gosse qui vient de faire de travers. Mac DeMarco semble tout droit sorti d’un film de collégiens américains. Il a toujours l’air de n’en avoir rien à caler, mais avec la tête et l’attitude du mec au fond de la classe qui passe des heures à regarder le ciel par la fenêtre en mâchant des boulettes de papier pour les balancer au tableau dès que le prof a le dos tourné. Adolescent attardé? Né le 30 avril 1990 à Duncan, dans la province canadienne de Colombie britannique, Vernor Winfield McBriare Smith IV (il a adopté le nom de jeune fille de sa mère Agnes DeMarco à l’âge de 5 ans) est plutôt un branleur et fier de l’être.

Roi du n’importe quoi, il a donné des interviews avec sa mère dévoilant des détails croustillants sur son enfance. Il a dansé sur des rochers déguisé en Michael Jackson (Another One). Ou encore joué un de ses morceaux qui parle de chien (This Old Dog) dans un salon de toilettage canin. Zinzin? Quand il a décidé de mettre aux enchères sa vieille paire de Vans pour l’association Willie Mae Rock Camp, un programme dédié à l’autonomisation des femmes dans la musique, le Canadien n’a rien trouvé de mieux à faire que de filmer sa copine reniflant ladite paire de godasses pour prouver qu’elle ne sentait pas mauvais.

Humour potache, ambiance cour de récréation… Mac a pour couronner le tout des tendances exhibitionnistes. Adepte du string, le farfelu aime se désaper et a montré ses fesses plus souvent qu’à son tour. Il a aussi exposé ses testicules dans un clip (Way To Be Loved de Tops) et a même construit une partie de sa légende en s’enfonçant les baguettes de son batteur dans le derrière tout en chantant Beautiful Day de U2. Buzz garanti…

Derrière toutes ces frasques, DeMarco a surtout pondu un tas d’excellentes chansons. La plupart placées sous le signe de la coolitude et de la décontraction.

Un mode vie

Le monde de la musique, et plus généralement celui de l’art, a toujours abrité un tas de rebelles et d’inadaptés. Ainsi, après les zazous, les hippies et les punks, la fin des années 1980 a vu débarquer les slackers. Glandeurs? Fainéants? Branleurs? En ouverture de son film Slacker qui suit des excentriques et des anticonformistes dans les rues d’Austin (notamment la batteuse des Butthole Surfers Teresa Nervosa qui essaie de refourguer à des potes un frottis vaginal de Madonna agrémenté d’un poil pubien), Richard Linklater définit l’espèce comme «un individu se soustrayant à ses devoirs et à ses responsabilités».

Le cinéma (Clerks de Kevin Smith, The Big Lebowski des frères Coen ou encore Wayne’s World de Penelope Spheeris) et la littérature (Generation X de Douglas Coupland en tête) ont abondamment décrit ce mode de vie très relâché un temps tombé en désuétude. Mais artistiquement parlant, le terme est avant tout associé à la musique. Et pour cause. Il a donné son nom à un sous-genre du rock indépendant apparu au tournant des années 1980 et 1990. Un courant à l’aspect désordonné caractérisé par une attitude nonchalante, une esthétique lo-fi et des paroles désinvoltes abordant avec plus ou moins d’humour la vie quotidienne, l’ennui et l’aliénation.

Derrière les chansons bancales gratouillées sur une guitare à 30 dollars se cache en fait pas mal de boulot.

Détendu du slip

Do it yourself, le rock des slackers se caractérise par une musique pas trop regardante sur la technique et des chansons souvent composées avec des instruments désaccordés. Si le groupe Dictators avec Handsome Dick Manitoba peut dès les années 1970 être considéré comme précurseur, Pavement, Beck, Sebadoh et autre Dinosaur Jr. se sont surtout inspirés de groupes lo-fi comme les Tall Dwarfs et le Beat Happening de Calvin Johnson. Des artistes à la posture anticommerciale affichant un mépris revendiqué pour toute forme de virtuosité.

Avec l’Américain Kurt Vile (qui est quand même un fameux guitariste) et sa pote australienne Courtney Barnett, DeMarco incarne un peu le slacker 2.0. Un slacker à succès avec 20 millions d’auditeurs mensuels sur Spotify et un compte TikTok dédié à son travail qui réunit plus de 800.000 followers. Il y raconte des blagues souvent scatologiques et toujours absurdes. Les slackers sont des artistes détendus du slip, vrais, authentiques. Et dans le cas de DeMarco, proche de son public. Big Mac a par exemple organisé un grand barbecue avec ses supporters pour écouter un de ses albums sur les enceintes de son autoradio ou mis sur pied un concours où il invitait ses fans à écrire une histoire fictive à son sujet.

Annoncé par le principal intéressé comme la représentation la plus véritable et crue de son état d’esprit actuel telle qu’il a pu la coucher sur papier, Guitar repose sur douze nouvelles chansons écrites, interprétées et enregistrées dans leur intégralité par le Canadien entre le 16 et le 28 novembre 2024 dans son home studio à Los Angeles. Derrière les chansons bancales de DeMarco gratouillées sur une guitare à 30 dollars achetée à un toxico, se cache en fait pas mal de boulot. Avant de signer chez Captured Tracks, le Mac faisait de la musique sous pseudo (Makeout Videotape), la publiait sur Bandcamp et vendait des cassettes. Puis Guitar est son neuvième album en treize ans. Ce qui est vraiment pas mal pour un fainéant. Le trublion y joue de tous les instruments. Il l’a produit et mixé. En a réalisé la pochette et les clips. Et le sort même sur son propre label.

Il y en a aussi en France des «beautiful branleurs». Que ce soit les mecs du Villejuif Underground ou leurs potes de Bryan’s Magic Tears… Qu’ils ne s’inquiètent pas. Les slackers résistent plutôt bien à l’épreuve du temps. Les Lemonheads d’Evan Dando s’apprêtent à dégainer un nouvel album (Love Chant sortira le 24 octobre chez Fire Records). Stephen Malkmus (Pavement) s’offre une seconde jeunesse avec The Hard Quartet. Et Jay Mascis est toujours dans le coup à 59 ans. Take it easy

Le 5 novembre au Cirque royal, à Bruxelles.

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