Serge Coosemans
Aujourd’hui, je me la pète en Imax…
En pleine promo pour son Glossaire du DJ, petit bouquin très officiellement paru ce vendredi 13 février 2015, Serge Coosemans s’est rappelé que dans le journal Libération, l’une de ses rubriques favorites était La Semaine de l’invité. Il s’est donc lui-même invité à se raconter sa semaine. Sortie de Route S04E23.
Lundi
Il y a déjà bien longtemps, en ayant marre de souffrir 1000 morts et de m’engueuler avec la Terre entière chaque début de semaine, j’ai décidé que les lundis n’existaient pas. Dont acte.
Mardi
Interviewé par le site Goûte Mes Disques, on me demande quel DJ j’ai le plus envie de voir en 2015. Je réponds Manfredas. Ce n’est pas faux mais je dois bien avouer que l’idée de voir prester un DJ, tout excellent et chaud-boulette soit-il, ne m’excite plus autant que ça. C’est un plaisir un peu trop disponible, comme le sont les chips, la drogue et les saucisses. J’ai l’impression que c’est un peu différent dans le rock, où il y a à nouveau de l’attente, de la fébrilité, de l’imprévu, de la passion. Le psyché, le garage et le punk sont des réseaux pas toujours bien couverts par les médias, qui ne savent même pas toujours bien communiquer, qui manquent de sous pour correctement se marketer, qui n’intéressent et ne touchent souvent que les plus tapés et les plus défoncés, autrement dit les vrais motivés. Il y a ce côté underground réservé aux initiés, un peu caché, qui faisait justement aussi le sel des grandes années des musiques électronique. Par ailleurs, si beaucoup de groupes de rock des nineties/noughties étaient fondamentalement chiants -parce que souvent très fiers dans leurs slips, appliqués, et à la recherche d’un plan de carrière-, les enfants de la crise d’aujourd’hui privilégient plutôt le tapage, l’énergie, la déconne et la défonce. Autrement dit, ce rock-là fonctionne exactement de la même façon et pour les mêmes raisons que la musique électronique lors de ses plus glorieuses années. And that’s the way ha hein ha hein I like it ha hein ha hein.
Mercredi
« Pour paraphraser tes compatriotes les 2 Many DJ’s, est-ce qu’il n’y a pas actuellement trop de DJ’s? », me demande Olivier Pernot, du magazine français Trax. « Ouais mais il y a trop de tout et c’est, je pense, la conséquence directe de la sacralisation du Do It Yourself: trop de DJ’s, trop de stand-up, trop de chroniqueurs, trop de caricaturistes, trop de blogs, trop de bédés, trop d’émissions culinaires, trop d’experts… » Mais pas assez de bande passante, vu que la connexion Skype saute précisément à ce moment-là. Ce n’est qu’après avoir achevé la conversation par téléphone que me vient en tête l’idée de désormais défendre le très fumeux concept de « décroissant culturel ». Ça me semble jouable jusqu’au moment où je finis par me rendre compte qu’un « décroissant culturel », c’est finalement rien de plus qu’un « bon esprit critique ». Me vient alors une autre idée débile: proposer à un éditeur un concept où je passerais 6 mois à ne consommer que du mainstream, à ne m’intéresser qu’à ce dont tout le monde parle. Ne plus écouter que Christine & the Queens, ne lire que Zemmour et Houellebecq, m’obliger à avoir un avis sur la liberté d’expression, Miss France et l’Islam, écrire en écoutant NRJ, ne bouffer que des verrines et des hamburgers. C’est wild. Ça doit faire souffrir dans la chair. C’est le Koh-Lanta de la consommation culturelle. Ça doit donc pouvoir marcher.
Jeudi
J’apprends le décès de Steve Strange, le chanteur du groupe Visage. Je n’ai jamais vraiment aimé Fade To Grey, cette grosse scie, mais vers 13-14 ans, j’avais acheté un peu par hasard le maxi-single Mind of a Toy, qui est ensuite devenu une sorte de classique personnel. Ce n’est qu’après m’être débarrassé du vieux bac de vinyles dont il faisait partie que j’ai appris qu’il s’agissait d’une pièce de collection.
Frequency 7, sa face B, est en effet considérée comme une influence majeure sur la techno de Detroit, un gros totem joué par tous les grands DJs du genre, de Jeff Mills à Dave Clarke. Je me suis bouffé quelques doigts en apprenant cela, parce que ce n’est pas la première fois que je bazarde des vieilleries (des jouets Star Wars de 1977, notamment) dont la revente aurait pu m’assurer une confortable retraite. « Bon, souffrons », me suis-je dit en introduisant ce jeudi la référence « Mind of a Toy » sur Ebay. Prix de vente: entre 4 et 15 euros. Ça va. Mes doigts ont repoussé, du coup.
Vendedi
Aujourd’hui est officiellement sorti Le Glossaire du DJ, MON Glossaire du DJ. 130 pages, 12,90€, un peu moins de 250 grammes. J’ai promis d’envoyer un exemplaire à Arlon, alors je consulte les tarifs sur le site Web de la Poste. Je n’y comprends rien, personne n’y comprend rien, même Alan Turing n’y comprendrait rien. Je finis par coller sur l’enveloppe tous les timbres que je trouve dans l’appartement.
J’ai l’impression que ça me coûte plus cher que d’aller le porter moi-même à Arlon en train mais il est probable que je me trompe. Je suppose aussi que suite à cette anecdote, un employé des services postaux va vouloir me répondre sur Facebook, Twitter, dans les commentaires ci-dessous ou même se débrouiller pour me joindre par e-mail. Ça arrive souvent, ces temps-ci: je balance une couillonnade pour amuser la galerie et un idiot me répond tout à fait sérieusement. Très fort chez certains le Côté obscur du premier degré est.
Samedi
Sortie de Route n’étant ni un bouquin de la collection Arlequin, ni une émission de Jaimie Oliver, ni PornHub, ni un cours d’oenologie, ni le blog de Taylor Swift, vous ne pensez tout de même pas que j’allais vous raconter ma Saint-Valentin, non?
Dimanche
Ma mère au téléphone: « C’est mardi que tu es interviewé à la radio? C’est sur Bruxelles, c’est ça? »
Moi: « Maman, c’est La Première. La RTBF. C’est national depuis au moins que la radio existe. »
Elle: « Tu viens manger après? »
Moi: « Oui, oui. Je serai là vers 11h30. Est-ce que tu veux un livre, d’ailleurs? Il ne m’en reste plus beaucoup à refiler et c’est quand même pas un sujet qui vous intéresse des masses, à la maison… »
Elle: « Bien sûr que je veux un livre! Même si les didjés ne m’intéressent pas, je veux quand même savoir ce que t’as à en dire et regarder comment c’est fait. »
Moi: « Waow, Maman, merci. Ça, c’est la meilleure phrase publicitaire du monde! »
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