Ysaline Parisis
Y’a plus de saisons
Les saisons littéraires se suivent et ne se ressemblent plus. Ou comment se réveiller en plein mois de juin dans une odeur de châtaignes et de feuilles mortes.
La chronique d’Ysaline Parisis
Ça a commencé en janvier. Les éditeurs, dont c’est devenu une habitude, ont littéralement fait déferler les titres en librairie, tenant là un cahier des charges ambitieux, exceptionnellement gonflé. A tel point que, côté bouquins, ce début d’année avait presque un goût d’automne et de chute des feuilles, une saveur digne de l’officielle rentrée littéraire de septembre. Ça a continué quand les maisons d’édition ont pris le parti de diffuser leurs programmes de -vraie- rentrée début avril. A 6 mois de l’échéance: du jamais-vu. Et de 2 entorses au bon vieux déroulement des événements. Goûter aux menus de rentrée au printemps, c’est comme mordre dans une fraise en hiver. Un plaisir délicieux et coupable. Et complètement déboussolant. Des programmes prématurés qui annoncent, qui plus est, une rentrée à (très) faible teneur en sang neuf. Production en pleine saturation mais ventes plongeantes, les éditeurs limiteront visiblement les risques en septembre, n’y prévoyant pas -ou très peu- de premiers romans. Une autre mutation à laquelle il va falloir se faire: septembre, jusque-là, c’était traditionnellement, outre le coup de feu dans les starting-blocks de la course aux prix -Goncourt en tête-, le moment que choisissaient les maisons d’édition pour faire monter les marches à leurs nouveaux poulains. C’est aujourd’hui, semble-t-il, devenu une course pour étalons rôdés -Jonathan Franzen, Paul Auster, Emmanuel Carrère, Douglas (Coupland et Kennedy) ou Haruki Murakami en tête.
Location à l’année
D’ici là, les éditeurs ont trouvé comment tromper l’attente. Et tout chambouler à nouveau. Le coup de la raclette en plein été. On assiste ainsi -à l’heure où les libraires composent, avec des piles, les tables « lectures d’été »- à une sorte de pré-rentrée (ou on ne sait plus trop quoi au juste). Certains sortent un premier roman (POL, First), tandis que d’autres, Siri Hustvedt, Laurent Gaudé, Philippe Djian -des noms qui jusqu’ici trouvaient leur chemin dans la jungle automnale-, foulent désormais les pavés printaniers. Dans l’espoir à peine dissimulé de sortir la tête du troupeau. Un joli coup, en ce qui les concerne. Et un pas en faveur d’un jeu plus ouvert. Qui ne peut toutefois manquer de nous questionner. A force de se presser autour d’une trouée pour y placer un protégé en pleine lumière, on trouvera de moins en moins d’orées vierges. Et la littérature, dont la vie mondaine était jadis rythmée par de grands rendez-vous, menace de basculer dans la location à l’année un peu morne. Avec le risque de voir les catalogues s’étirer, l’événement sombrer dans le quotidien et le désir se tarir à force d’être gavé, chez un lecteur dont on manipule toujours un peu plus la notion du temps. Heureusement, il y en a qui ne perdent pas le nord. Des repères immuables. Presque des fuseaux horaires. Suivez Amélie « l’horloge parlante » Nothomb, en tête de gondole. En septembre.
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