Au Gent Jazz Festival, la flûte (re)devient un instrument dans le vent
Avec André 3000 (Outkast) qui lui a consacré un album et Melanie De Biasio, la flûte sera par deux soirs à l’honneur du Gent Jazz Festival. Zoom sur un instrument dans le vent…
L’année dernière, André 3000 sortait à 48 ans son premier album solo. Pas question de hip-hop. L’ancienne moitié d’Outkast (Ms. Jackson, Hey Ya!) nous revenait avec un disque entièrement instrumental dans lequel il troquait le rap pour la flûte. Le titre de son morceau d’ouverture en rigole. I Swear, I Really Wanted to Make a Rap Album but This Is Literally the Way the Wind Blew Me This Time… (en français, « Je vous jure, je voulais vraiment faire un album de rap mais voila où les vents m’ont porté cette fois« ). André n’est pas le seul à s’être entiché de la flûte ces derniers mois. Shabaka Hutchings, le saxophoniste star de la scène jazz anglaise au sens le plus large du terme, a annoncé qu’il abandonnait son instrument de prédilection pour lui consacrer toute son attention.
Au magazine GQ, André 3000 confiait avoir préféré jouer de la flûte plutôt que de rapper sur les sujets de son âge, notamment sa coloscopie. Pour sa part, Jack, le décodeur pop de Canal+, se demandait récemment si la flûte n’était pas en passe de devenir l’instrument le plus cool de la musique. Ce serait une belle revanche pour cette mal-aimée régulièrement ringardisée. Pour un Nights in White Satin des Moody Blues, un You’ve Got to Hide Your Love Away des Beatles, un California Dreamin’ des Mamas and the Papas et un Groove Is in the Heart de Deee-Lite, la flûte est trop souvent associée au rock progressif. À la musique casse-bonbon de Jethro Tull, de Genesis, de Camel et de Traffic. Elle a pourtant mené une vie plutôt dissolue et dispersée ces 60 dernières années dans l’Histoire de la pop music.
Tantôt liée à un psychédélisme plus ou moins orientalisant (The Left Banke, The Rolling Stones, The Beach Boys), à une musique minimaliste, expérimentale et ambient (Laraaji, Lapalux, Pharoah Sander…) ou à la pop de chambre (The High Llamas, Belle and Sebastian…), la flûte n’a sans doute jamais été aussi cool que dans les mains des rappeurs. Durant les années 90 et au tournant du siècle, elle faisait déjà plus souvent qu’à son tour l’objet de samples. Snoop Dogg (Tha Shiznit), les Beastie Boys (Sure Shot), Jay-Z (Big Pimpin’), Common (Tricks Up My Sleeve), Talib Kweli (Waitin’ for the DJ) ou encore Timbaland (Indian Flute)…
Elle est depuis une dizaine d’années revenue sur le devant des tubes. Mask Off de Future, X de 21 Savage, Hot de Young Thug, Praise the Lord d’A$AP Rocky, Antidote de Migos, Hot Wind Blows de Tyler The Creator et Lil Wayne ou encore Both de Gucci Mane et Drake. N’en jetez plus la coupe est pleine. Un des plus grands fabricants de flûtes au monde, Haynes, une société dont la création remonte à 1888, clame d’ailleurs dans les colonnes du Rolling Stone que ses ventes ont augmenté de 30 % sur les trois dernières années. Remerciant au passage la chanteuse, rappeuse et flûtiste Lizzo.
Une place à trouver
« Dutronc a utilisé une flûte pour Il est cinq heures, Paris s’éveille, commente Melanie De Biasio. Et c’est ce qui fait, pour moi, tout le morceau. Il y a aussi pas mal de samples dans le rap. Et je peux bien entendre de la flûte indienne dans des projets plus jazz ou plus trippants mais je n’en vois et n’en entends pas très souvent dans la pop. Je n’ai pas l’impression que ce soit un instrument très commun. Moins en tout cas que le saxophone et le trombone.«
La chanteuse et flûtiste en apesanteur de Charleroi a son petit avis sur la question. « S’il est joué en hauteur, ce n’est pas un instrument qui trouve sa place facilement. Je veux dire: une place pertinente sur la longueur. La flûte peut vite fatiguer. Enfin, je parle pour moi. Sauf si tu l’utilises comme tu utilises une voix, c’est là où ça m’intrigue. Je trouve intéressant d’envisager comment cette flûte peut devenir un instrument rythmique, un instrument qui peut s’effacer, qui peut soutenir, qui peut répondre, qui peut se perdre. La flûte est un instrument qui doit se mettre au diapason du reste. Et ce n’est pas simple de lui donner cette place avec la sonorité qu’elle a à la base.«
La flûte n’a jamais eu l’aura de la guitare. Elle a même longtemps incarné, à l’école, un instrument de torture obligatoire. Toute le monde traînait les pieds pour aller au cours d’éducation musicale avec ce bout de plastique dont personne ne savait jouer. « Moi, j’espérais qu’on nous emmène dans un endroit où on ne devrait pas reproduire. Et en même temps, c’était le cursus fourni par l’institution. » En France, la flûte à bec a tout simplement été rayée des programmes en 2008. Ça n’a pas empêché Kylian Mbappé, tout de suite plus funky, d’étudier la flûte traversière au Conservatoire de Bondy…
Melanie a commencé à en jouer dès l’âge de 8 ans. « Je me souviens avoir entendu un orchestre philharmonique et cette petite flûte, ce son… Je ne sais pas. J’étais gamine. Mais c’est vraiment un son qui m’a parlé. Il m’a aussi rappelé Le Livre de la jungle. Quand Mowgli rencontre cette jeune fille. Il y a de petites choses comme ça. Bref, j’ai flashé sur cet instrument qui allait bien avec moi. Petit son. Petit instrument. Petite voix.«
Melanie ne l’a pas toujours aimée. « Quand j’étais adolescente, je ne trouvais pas sa place. Ni même un réel intérêt à la bosser tous les jours. Je crois que ça a vraiment pris du sens quand je me suis mise à en jouer dans des groupes et quand j’ai pu lui trouver une autre identité que celle du cursus classique dans lequel j’étais inscrite. Ça a été assez facile de lui trouver sa place. Parce que quelque part, c’est un instrument qui fait du bien. Je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’il a une sonorité un peu particulière. En tout cas aujourd’hui, dans ma manière de l’utiliser, la flûte est vraiment une extension de ma voix.«
Il y a dix ans, les Australiens de King Gizzard and The Lizard Wizard étaient en gros des Oh Sees avec de la flûte. Là où l’exceptionnel projet belgo-franco-burkinabé Avalanche Kaito, qui vient de sortir son deuxième album, se veut plus expérimental. Entre modernité rock et tradition africaine. « Ça dépend vraiment des cultures. J’ai voyagé en Inde cette année et je me suis rendue compte à quel point cet instrument y était hyper sacré évidemment. Il est dans toute la musique que tu y entends.«
André 3000, le 12/07, et Melanie De Biasio, le 20/07, sont à l’affiche du Gent Jazz Festival qui se déroule à Gand du 5 au 20 juillet.
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