Du nouvel majestueux d’Andrea Laszlo de Simone au retour de Tortoise, en passant par Nathan Roche, Sudan Archives ou Crayon: coup d’oeil sur les bonnes pioches musicales du moment
1. Andrea Laszlo de Simone – Una Lunghissima Ombra
Jusqu’il y a peu, la musique d’Andrea Laszlo de Simone restait un secret bien gardé. Le genre de mystère cultivé par quelques initiés, écartelés entre la volonté de répandre la bonne parole et la peur qu’une fois ébruité, le charme ne se rompe. En 2019, l’EP Immensità a toutefois amené un nouveau public, trop heureux de pouvoir s’appuyer sur les mélodies majeures du Turinois pour traverser la pandémie mondiale. Depuis, Andrea Laszlo a écrit au moins deux B.O. (Les Promesses en 2021, et Le Règne animal en 2023, César de la Meilleure musique originale).
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Il publie aujourd’hui un troisième véritable album, qui lui vaut les louanges de la presse, aussi bien chez lui que de l’autre côté des Alpes, du Monde à Télérama – dont il a même récemment fait la Une. Une couverture amplement méritée. Malgré cette nouvelle attention, les chansons du discret musicien n’ont en effet rien perdu de leur beauté majestueuse.
Le bien nommé Una Lunghissima Ombra (« Une très longue ombre ») est une merveille de pop orchestrale à la fois instantanée et indicible. Alignant 17 morceaux, dont cinq instrumentaux, Andrea Laszlo de Simone y dépeint « l’imprévisibilité de la vie » à coup de mélodies éblouissantes, rappelant, certes, la grande chanson italienne des années 60-70 (Lucio Battisti en tête), mais plus encore les rêveries psychédéliques des Américains de Mercury Rev (Pienamente) ou des Anglais de Radiohead (les humeurs électroniques de Quelle che ero una volta).
La voix délicate et filtrée comme si elle venait d’une autre époque, l’Italien sublime ainsi ses mélancolies dans une musique à combustion lente mais à haut potentiel émotionnel : comment ne pas vouloir se lover au creux de la ballade diaphane de Ricordo tattile et ses « la la » réconfortants, ou se laisser happer par les cordes de Planando sui raggi del sole, noyant joliment son spleen dans une trompette insouciante. ● L.H.
Distribué par Virgin.
La cote de Focus : 4/5
2. Sudan Archives – The BPM
Sur ses deux premiers projets –Athena (2019) et Natural Brown Prom Queen (2022)–, l’Américaine Sudan Archives, née Brittney Denise Parks, du côté de Cincinnati, avait déjà pu prouver ses talents d’exploratrice pop, élargissant régulièrement sa palette. Sur son nouvel essai, la multi-instrumentiste (violoniste de formation) tente à nouveau des couleurs inédites, mais en resserrant son nuancier. «The BPM is the power», annonce-t-elle ainsi sur le morceau qui donne également son titre à ce nouvel album. Enregistré entre Detroit (creuset de la techno) et Chicago (le berceau de la house), The BPM s’épanche sur la piste de danse.
Pour l’occasion, Britt Parks s’invente un nouvel alias technologique. Son nom? Gadget Girl. «La première fois que j’ai pu m’exprimer musicalement, c’est quand j’ai eu mon premier iPad et que j’ai commencé à créer des beats avec, et quand j’ai eu mon premier violon électrique», raconte-t-elle, dans la présentation de l’album. Boosté par les machines (vintage, majoritairement), The BPM n’en reste pas moins profondément humain. Sous la boule à facettes, Parks y décortique ses angoisses, ses doutes ou ses hésitations amoureuses. Elle le fait en alternant techno-dance eighties (The Nature of Power), pianos house (A Bug’s Life), jersey atmosphérique (Los Cinci) ou breakbeat saturé (A Computer Love). Avec un goût confirmé pour l’exploration et les structures originales –au hasard, la ballade David & Goliath, changeant plusieurs fois de direction, mêlant synthés mélancoliques, violon languide et beat drum’n’bass. Mais sans pour autant perdre de vue une certaine immédiateté, envisageant la danse à la fois comme un moyen de communion et d’émancipation personnelle. ● L.H.
Distribué par Stones Throw/Pias. Le 30 novembre, au Botanique, à Bruxelles.
La cote de Focus : 4/5
3. Nathan Roche – 35 rue du Théâtre
Du mitan des années 1970 à la fin des eighties, Celluloid Records, créé par Jean Karakos (à l’origine de Kaoma et sa Lambada), défendait une musique des marges. Du rock français (Metal Urbain), de la no wave (James Chance), de la world (Gilberto Gil, Mory Kanté) et du rap de pionnier (Afrika Bambaataa)… Trente-cinq ans plus tard, le label revient à la vie avec le nouvel album solo de Nathan Roche. L’Australien signe avec 35 rue du Théâtre un disque à guitares qui lui va bien.
Alors que sa vie partait en sucette et lui imposait un retour dans son pays natal, il a troussé quatorze titres en une semaine, les jouant en boucle pour ne pas les oublier avant de monter dans un avion, et les a enregistrés à Sydney avec son ami Joseph Ireland. Un disque de punk, de crooner et de cow-boy, chanté en anglais et en français, rock’n’roll et bancal, mais varié et joliment habillé. ● J.B.
Distribué par Celluloid Records.
La cote de Focus : 4/5
4. Crayon – Home Safe
Sous le nom de Crayon, le Français Lorenzo Larue taille sa route depuis un moment. Auteur d’un premier album en duo (Hundred Fifty Roses, avec son camarade Duñe, en 2020), il a également glissé son grain de sel soul dans les productions de rappeurs comme Dinos, Josman, Prince Waly, ou Ichon. Il dégaine aujourd’hui en solo. Mais toujours pas seul.
Du Français Yamê à l’Américain Rhye en passant par le Bruxellois Swing (pour lequel Crayon avait notamment produit S’en aller, le duo avec Angèle), ils sont une dizaine à se succéder au micro. Crayon les a invités à poser leur voix sur des chansons intimistes, entre rêveries soul domestiques (Kill Your Idols) et ballades cosy quasi folk (Feelings Don’t Rest). Le genre de morceaux à écouter en marchant « dans la nuit, un peu éméché, en rentrant » chez soi, comme le débriefe Arthur – Feu ! Chatterton – Teboul, en toute fin d’un disque, qui, sans jamais accélérer le tempo, distille subtilement ses charmes. ● L.H.
Distribué par Erased Tapes.
La cote de Focus : 3,5/5
5. Tortoise – Touch
Originaire de Chicago, Tortoise a durant les années 90 grandement contribué à définir un genre nouveau. Un genre qui invitait l’auditeur à respirer et s’évader. Laissait libre cours aux esprits rêveurs et aux imaginations fertiles. Rien ne servait de courir. Tortoise était parti à point. Inventant une musique instrumentale accidentée et voyageuse qui s’exprimerait à la croisée des chemins dans un ambitieux bouillonnement stylistique. Pionnier du post-rock, Tortoise a ouvert la voie aux Mogwai, Explosions in the Sky, Godspeed You! Black Emperor et autre Silver Mount Zion (accompagné ou non de son Tra-la-la Band) et jeté les bases d’une musique communautaire, anarchique, intuitive et égalitaire.
Premier album de la bande à John McEntire depuis quasiment dix ans, Touch démontre qu’elle n’a rien perdu de ses talents. Mélangeant habilement le rock, le kraut, le jazz, l’electronica, le dub et l’ambient, Tortoise fait à la fois de la musique d’after, de méditation et de spaghetti western… Un disque à écouter les yeux fermés et les oreilles grandes ouvertes.● J.B.
Distribué par International Anthem/Nonesuch Records. Le 23/1 à l’Aéronef (Lille), le 24/1 au Brussels Jazz Festival et le 11/4 au Cactus (Bruges).
La cote de Focus : 4/5